Cabinet de Sartory, Ange-Michel

Le Cabinet d'histoire naturelle de M. Sartory est mentionné par Jacques Cambry, Voyage dans le Finistère ou Etat de ce département en 1794 et 1795, Volume 2 page 140.

 

« Sartory, peintre-décorateur, artiste italien, réside à Brest. Ses connaissances en mécanique, son imagination ardente feroient souhaiter que des travaux multipliés, un théâtre plus vaste le sortissent d’une espèce d’apathie dans laquelle il existe malgré les sollicitations de ses amis. Il possède une grande quantité d’estampes et de dessin des maîtres les plus renommés. Son cabinet d’histoire naturelle et de curiosités étrangères, renfermé dans un très petit espace, mais disposé avec l’intelligence d’un homme de goût, d’un artiste, frappe plus au premier coup-d’œil, arrête plus dans les détails, que les vastes amas de minéraux et de coquillages que des princes ou de riches particuliers entassent dans de vastes emplacemens.

Il n’a pas suivi d’ordre précis, les classes inventées par les naturalistes ; le goût seul présidait aux rapprochements qu’il a faits, aux faisceaux d’instrumens , d’ornemens, de plumages qu’il a si joliment grouppés, au mélange heureux de couleurs produites par ses papillons de la Chine, ses insectes de Surinam, et ses coquilles de l’Asie.

La principale armoire, qui reçoit d’une fenêtre à verre de Bohême, un jour brillant et lumineux, contient des salles polonoises, perlées de la Cochinchine, de 7 pouces de diamètre, dont la nacre éclatante est nuancée de diverses couleurs. Une oreille de sept pouces de diamètre, le soleil levant, la musique, le firmament, la tulipe, des moules de Magellan, des vis, des harpes, des tonnes, un superbe manteau ducal, des tonnes vertes à bouches opposées, des cœurs, des bouches d’or et des bouches d’argent, la grande hirondelle, le choux, le pavillon d’Orange, le marron rôti très-rare, espèce de rocher ; des grimaces blanches, des cadrans, le bonnet chinois, des huitres à longues épines, des oreilles de Malabar, des coraux noirs et rouges, des chevaux-de-frise, poires, rouleaux, araignées, marteaux, etc., etc. ; tous ces objets du plus beau choix, de la plus parfaite conservation.

Le morceau d’histoire naturelle qui m’a le plus frappé a pour base du spath calcaire, mélangé de talc, de mica, croisés dans tous les sens par des morceaux de schorls noirs, fauves, bleuâtres ; ces schorls ont quelquefois 15 lignes de long sur 4,5 ou 6 lignes de diamètre ; ce morceau précieux a 5 pouces de long sur 4 de largeur. Un négociant de la même ville en possède un de la même nature, mais beaucoup plus volumineux.

J’ai vu parmi les minéraux de Sartory, un bloc de cinabre qui feroit honneur au plus riche cabinet.

Il a dans ses tiroirs les gourgandines , le dormeur, un superbe cœur à tuyau, la cuirasse, des peignes, le parassol chinois, espèce de lepas ; une très-jolie harpe à 18 cordes, une huitre à robe, d’un blanc mat et luisant, à talon strié, feuilleté, tacheté, d’un beau violet très-rare.

Je ne vous parle pas d’animaux empaillés, d’insectes conservés dans l’esprit de vin, d’un millier d’objets curieux réunis dans ce cabinet.

On y voit la prise d’Utrecht : cette ville se rendit à Louis XIV, le 21 janvier 1672. C’est un charmant dessin de Leclerc; il a pour pendant la prise d’Orsoy, du même maître.

Hue fit présent à Sartory d’un dessin de sa composition ; c’est un naufrage: la pluie, la foudre occupent le fond du tableau. Cette petite composition est pleine de feu, de mouvement; c’est une de ces conceptions du moment, qu’un site fourni par le hasard, a fait naître, à laquelle un artiste habile adapte la scène qui convient. Elle est placée près d’un joli dessin d’Hannibal Carrache, qui peint la résistance de nymphes vivement pressées par des satyres. Le dessin d’un grand palais brillant, fait par Servandony ; des marines lavées avec intelligence, des plans achèvent de décorer ce joli cabinet, qu’un curieux, dans cette ville, ne peut se dispenser de visiter.

Pendant le séjour que le peintre Hue fit à Brest, pour prendre les vues de ce port, pour continuer les marines de Vernet, il habitoit chez Sartory. Une petite académie s’y réunissoit tous les soirs ; des amateurs, de jolies femmes y dessinoient d’après la bosse, d’après nature : on y chantoit, il  y regnoit une franche et folle gaité que j’ai toujours trouvée dans les ateliers des artistes. »

Source : Jacques CAMBRY, Voyage dans le Finistère, ou état de ce département en 1794 et 1795, Paris, Librairie du Cercle Social, 1799, t. 2, p. 140-144.  Livre numérisé par Google Books.

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Dans l’édition du Voyage de Cambry complété et annoté par le chevalier de Fréminville (J.B. Le Fournier, Brest 1836), celui-ci indique en note 41 :

« La meilleure partie du cabinet d’histoire naturelle de Sartory avait été, par les soins de M. Laurent, acquise pour le cabinet d’histoire naturelle de Brest ». Plus précisément, Selon Dany Guillou-Beuzit, auteur d’une édition critique du Voyage de Jacques Cambry, le ministre de l’intérieur écrivit le 28 ventôse an VIII, soit le 19 mars 1800 à l’administration centrale du Finistère pour attirer son attention sur la riche collection de Sartori : « J’ai pensé que cette collection, fruit de trente années de recherches, pourrait contribuer aux progrès de l’instruction publique dans une école centrale. Peut-être regarderez-vous comme avantageux d’entrer en arrangement avec le citoyen Sartori. Sa fortune n’est pas assez considérable pour faire croire qu’il n’entre pas volontiers avec vous en composition. Je pense donc que vous pourrez demander communication des catalogues, ou engager un professeur à se rendre de Quimper à Brest pour examiner ce cabinet et vous en rendre compte » (Arch. dép. Finistère, 16L12).

Mais Jean-Pierre Cordier précise sur son blog que les comptes de l’Ecole centrale de Quimper ne font pas apparaître cette acquisition, et que le cabinet de Sartori revint à Brest.

Enfin, ce même blog signale une mention du collectionneur dans le Dictionnaire des marins francs-maçons, gens de mer et professions connexes de l’Association ponantaise d’histoire maritime (2011,  ‎p. 474),

« SARTORI Ange-Michel, peintre, né le 29 septembre 1744 à Bologne remplace Babron au service de la marine et auprès de la communauté de Brest. C’est un homme d’imagination ardente selon son frère Jacques Cambry qui décrit sa maison dans son Voyage en Finistère. Outre son atelier d’artiste, il possède un cabinet de curiosité qui rassemble des pièces rares venues de tous les continents. Il aime aussi partager ses passions, et c’est ainsi qu’il réunit régulièrement chez lui une sorte d’académie. Il s’était affilié à L’Heureuse Rencontre brestoise le 20 novembre 1798. »

Il était maître-peintre de la marine depuis le 1er novembre 1784. Prosper Levot signale que ce « décorateur de la ville jusque sous l’Empire » avait peint en 1792 divers faits d’armes sur un autel érigé pour célébrer la fête de la Fédération, avant que cet autel ne soit renversé sous la Terreur pour être remplacé par la Sainte Guillotine.

 

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