Marseille, curiosités

Témoignage du voyageur bâlois Thomas Platter, de passage dans le sud de la France.

Pour le Bâlois qu’est Thomas Platter, Marseille, avec son port tourné vers les pays d’Orient, constitue une curiosité en soi, et s’avère une véritable mine de merveilles, autant que d’informations. Voici le témoignage d’une flânerie sur le port, et d’une « pêche miraculeuse » dans les échoppes, qui fournit des informations précieuses sur les conditions d’acquisition et de transport de tels objets : bien des raretés, ici trouvées ou confectionnées sur commande, naturalia ou artificialia, retourneront à Bâle après ce voyage.
Lire aussi le rapport sur les animaux vivants observés ailleurs à Marseille, chez l’aubergiste Caspar, et chez le duc de Guise.

J’ai vu aussi sur les quais du port décharger toute sorte de marchandises étranges. Car plusieurs navires venaient d’accoster peu auparavant. Quelques uns d’entre eux dégorgeaient une énorme cargaison d’épices. D’autres, c’était de la rhubarbe, et des médicaments. Ailleurs encore, des singes, et puis des animaux exotiques, car c’est l’habitude ici d’en apporter avec soi quand on revient de là-bas. Des oranges aussi, des citrons et d’autres produits de ce genre ; on ne s’en lasse jamais, tellement tout cela est amusant à regarder. Dans le même esprit, disons qu’au débarcadère on s’informe d’un tas de nouvelles venues des pays lointains ; et puis, on voit une extraordinaire quantité de gens toute la journée qui viennent se promener près du port.

(…) [Suivent les témoignages sur les curiosités de Mme de Castellane et autres animaux exotiques vivants aperçus dans la ville chez des particuliers restés anonymes.]

Le 15 février, je me suis rendu dans les rues des orfèvres et des corailleurs. Grand nombre d’échoppes, en ces lieux ! Et presque toutes consacrées au travail des artisans du corail et à l’orfèvrerie. Là, j’ai acheté de fort beaux objets : de la nacre, des cuillères, des sachets, des boites à aiguilles en ivoire, des coquillages, du corail et des plantes maritimes exotiques ; nulle part en France je n’aurais pu les avoir si facilement. Et tout cela, je l’ai expédié en direction de Bâle.
Après le repas du soir, j’ai souhaité qu’on fabrique pour moi quelques-unes de ces petites sphères de verre décorées de jolies figures, et qui flottent toujours sur l’eau de quelque côté qu’on les tourne. Ce qui fut accompli à mon attention. On façonne ces objets d’une façon charmante et de toutes les couleurs, à la flamme d’une lampe, avec l’aide d’un long chalumeau dans lequel on souffle. C’est avec admiration que j’ai pu contempler ce spectacle au cours de l’après-dîner. La manière dont les artisans confectionnent ainsi, en peu de temps, tout ce qu’un client désire, en fait d’anneaux, de chaînettes, de figures diverses, de coraux, c’est vraiment une merveille de l’art.
(…)
Après le repas du milieu du jour, j’ai empaqueté toutes mes emplettes: perles, œufs d’autruches, fruits, coraux, végétations marines… et j’ai passé commande à un patron de navire : il se chargeait de transporter par mer tout ce paquetage en direction de Montpellier.

Source : Le siècle des Platter. II, Le voyage de Thomas Platter : 1595-1599 , par Le Roy Ladurie, Emmanuel (éd. , trad. ) et Liechtenhan, Francine-Dominique (trad.) Paris, Fayard, 2000, p. 244-245 ; p. 258.