Jean Hiernard, professeur à la faculté d’Histoire de l’université de Poitiers, a l’amabilité de nous communiquer cet extrait du Raisbuch  (Livre des voyages) de Hans Georg Ernstinger, Tyrolien natif d’Innsbruck, fils d’un conseiller impérial. Le manuscrit d’Ernstinger, publié en 1877 à Stuttgart par Philipp Alexander Ferdinand Walther (Bibliothek des Litterarischen Vereins in Stuttgart, t. 135), est resté inexploité. C’est dans la relation du 41ème voyage qu’Ernstinger raconte son court séjour à Poitiers, les 9 et 10 juillet 1606, et sa visite au cabinet de Paul Contant, que l’on reconnaîtra dans le « monsieur Condan » du texte allemand, que nous reproduisons avec, juste au-dessous, la traduction proposée par Jean Hiernard, avec la complicité de François Kihm :

« Weiter haben wir gesehen das cabinet des monsieur Condan, in welchem gemach wir vil selzamer stückh gesehen, unter anderen sachen aber fürnemblich dise : Ain ganzen klainen trackhen, das vorder thail aines kopfs von ainem rinoceros sambt seinem spizigen horn vorn daran auf der nasen bey zway spannen lang; den augapfl von ainem walfisch, ainer grossen spannen und vier finger lang und 4 finger dickh, dern etlich alda sein ; cameleon, ain klaines selzam thierl ; ain schiff auss der neuen weld, 16 1/2 meiner schuech lang, die end desselben sein zuegespizt, von holz und merfischheuten gemacht, in der mitten hats ain loch, darein man sizt und sonst ist es oberhalb als bedeckht ausser des bemelten lochs, und inwendig ist es hol ; mancherlay selzame habit von claidern und anderem aus der neuen weld; mancherlay art selzamer spiegl, welche ain regenbogen, vil form ainer ainigen sachen, hessliches angesicht und anders dergleichen repräsentiern; vilerlay art todter meerfisch und schlangen; ain kopf von ainem meerwolf und dergleichen meerwunder; vilerlay schöne meermuschl, corallen u. s. w. ; ain tauben mit zwen köpfen in ainem glass verwart und andere singulariteten vil. »

« Nous avons vu ensuite le cabinet de Monsieur Contant, où nous vîmes beaucoup d’objets étranges, dont voici les principaux : un tout petit dragon; la partie avant d’une tête de rhinocéros avec sa corne, devant sur le nez, de deux empans de longueur environ ; le globe oculaire d’une baleine, long d’un grand empan et 4 doigts, épais de 4 doigts, dont plusieurs existent au même endroit ; un caméléon, étrange petite bestiole ; un bateau du Nouveau Monde, de 16 fois et demi la longueur de ma chaussure, dont le bout est pointu, fait de bois et de peau de poisson marin (phoque ?) ; au milieu, il a un trou pour s’asseoir, sinon il est tout fermé sur le dessus, à l’exception du trou en question, et à l’intérieur il est creux ; divers habits étranges, vêtements et autres, du Nouveau Monde ; toutes sortes de miroirs bizarres qui renvoient un arc-en-ciel, ou diverses formes d’un même objet, ou enlaidissent le visage et autres de même acabit ; toutes sortes de poissons et de serpents morts ; une tête de loup de mer et des merveilles marines du même ordre ; divers beaux coquillages et coraux, etc. ; un pigeon à deux têtes conservé dans un verre et beaucoup d’autres bizarreries. »

Si la liste que donne Abraham Gölnitz, visiteur plus tardif, est infiniment plus détaillée, la comparaison n’en est pas moins intéressante, pour les points communs qu’elle présente avec celle d’Ernstinger : tous deux retiennent en priorité le dragon, qui ouvre la liste du Tyrolien, et ouvre celle des animaux terrestres chez le Silésien . Tous deux sont frappés par le rhinocéros, le caméléon, l’œil de cétacé, les collections de coquillages et de miroirs. Mais ce qui est passionnant dans cette petite évocation du cabinet de Contant, c’est la dernière des « bizarreries » à être mentionnée, ce pigeon à deux têtes, parce que Ernstinger précise que l’animal est conservé dans un bocal… Or il y a de grandes chances pour que ce pigeon à deux têtes soit celui qui apparaîtra sous le n° 35 dans l’une des planches destinées à l’édition de 1609 du Jardin, et cabinet poétique : autrement dit, ce n’est pas parce que le dessin ne représente pas le bocal qu’il faut s’interdire de penser à ce moyen de conservation. Voilà qui tend à accréditer la thèse que j’avais proposée à propos des enfants siamois, au n° 33, dans mon article « Piquer la curiosité… » (reproduit sur ce site) : à mon sens, ils sont eux aussi conservés dans un bocal qui n’est pas représenté parce qu’il n’offre aucun intérêt à l’œil du curieux en puissance, et le dessin édulcore la réalité sans doute assez choquante de corps moins développés et de tissus que la solution dans laquelle les siamois baignent n’empêche pas complètement d’être altérés.

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