Cycle de journées d’étude : « Les mots de la science »
Projet coordonné et organisé par Violaine Giacomotto-Charra (Bordeaux 3 – TELEM / MSHA) et
Myriam Marrache-Gouraud (Université de Bretagne Occidentale – Brest, HCTI EA 4249)
Appel à communication pour la troisième journée d’étude
L’histoire des sciences et des savoirs à la Renaissance se heurte à un problème constant et profond : celui de l’exacte nature du lexique scientifique et de sa progressive inscription dans les différentes langues vernaculaires, à une époque d’importantes transformations linguistiques, conceptuelles et scientifiques. Si le lexique savant médiéval et celui de la période classique commencent à être bien étudiés, la période 1450 – 1630, de la naissance de l’imprimerie à la « révolution scientifique », est une période d’entre-deux encore mal explorée, tant du point de vue de l’histoire des sciences et des savoirs, que du point de vue du lexique savant qui sous-tend et incarne cette histoire, en latin ou en vernaculaire.
Le projet d’un travail sur le lexique savant de la Renaissance est donc né d’un constat simple, fait par un ensemble de chercheurs littéraires, linguistes et /ou historiens des sciences et des savoirs venus de disciplines différentes (médecine, mathématiques, philosophie naturelle, zoologie, botanique…) : nous manquons d’outils performants pour comprendre ce lexique et savoir le lire sans anachronisme. En outre nous devons, nécessairement, prendre en compte un aspect crucial du problème, le passage du latin, et parfois du grec, aux langues vernaculaires, et le dialogue presque constant entre les cultures gréco-latine et vernaculaire. L’outil linguistique ne peut cependant être appréhendé comme une entité en soi ; il demande constamment d’être examiné au prisme des realia d’une époque (collections, antiquaires, archéologie des objets servant aux artes…)
Pour commencer à donner vie ce projet, l’équipe « Formes du savoir » (Bordeaux 3), associée à l’équipe HCTI (Brest), organise un cycle de journées d’études, intitulé « Les mots de la science à la Renaissance », dont la première a été consacrée aux noms par lesquels la science et le savoir se désignent eux-mêmes : science, connaissance, savoir, curiosité… (Bordeaux, 10 janvier 2014). Nous nous proposons de poursuivre cette journée introductive, par l’étude de deux catégories de mots qui sont revenus constamment dans le champ des recherches, mais qu’il est nécessaire de distinguer et d’ordonner : la série des mots du regard et de l’observation, d’abord, celle des mots de l’expérience, ensuite.
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Appel à communications pour la troisième journée
Bordeaux, 17 octobre 2014
« L’on ne doibt faire difficulté d’essayer tous experiments » :
l’expérience et ses mots à la Renaissance
(en collaboration avec Jacqueline Vons, Université François Rabelais, Tours)
Dans le prolongement raisonné de la journée sur les mots du regard, qui engagent profondément la question de la prise en compte du réel et de sa description dans la constitution des savoirs scientifiques, nous souhaitons poursuivre la réflexion sur la manière dont se construit le rapport théorie / pratique dans les savoirs renaissants, et en particulier sur la notion polysémique de l’expérience, dont on restreint généralement l’usage et le rôle à l’une des composantes distinctives de la science telle qu’elle se conçoit et se construit après la dite « Révolution scientifique ». Dès le Moyen Âge, pourtant, le terme d’expérience est attesté dans le d’un savoir acquis « par observance et experience », qui peut avoir de ce fait valeur de preuve. Ce mot, ainsi, est omniprésent dans les textes scientifiques de la Renaissance, qu’il s’agisse de découvrir par expérience, d’apprendre par expérience ou de démontrer par expérience. Que l’idée soit simplement d’appréhender par les sens (en particulier par la vue), ce qui implique déjà un rapport complexe au regard et à la maîtrise du savoir, d’avoir acquis un savoir grâce à une longue pratique, dont la conséquence est le « savoir-faire », ou, déjà, de construire des essais probants, l’expérience est, comme la notion d’observation, une donnée importante pour le discours scientifique renaissant, car elle interagit avec le savoir transmis par le livre et permet de le vérifier, de le corriger, de l’illustrer ou d’en organiser la démonstration. Selon une perspective semasiologique, on pourra donc s’interroger sur la signification exacte que reçoit ce mot employé par les naturalistes, les médecins, les voyageurs, les encyclopédistes et tous gens de savoir, en latin comme en vernaculaire. Quelle différence fait par exemple le latin renaissant entre experientia, expers, experior, experimentum ? Comment les nuances impliquées par l’existence de ces deux termes se résolvent-elles dans le passage dans les différents vernaculaires ? Le doublet français entre « experience » et « experiment », encore attesté au xvie siècle, est-il le miroir du latin ? Comment, par ailleurs, s’organisent les champs respectifs de l’expérience et de la pratique ? Et leur traduction textuelle ? Le recueil de cas, par exemple, est-il un genre lié à l’expérience comme peuvent l’être les Observationes ? L’évolution des termes implique-t-elle une redéfinition de la conception des savoirs et de leur hiérarchie ? Que devient la distinction aristotélicienne technè / épistémè / praxis dans un tel contexte ?
Mais, s’agissant d’une notion aussi capitale pour l’histoire des sciences que celle d’expérience, on pourra aussi suivre une démarche onomasiologique et s’interroger sur l’existence du concept que nous nommons « expérience » et des mots qui le disent. Les notions d’expérience construite, d’expérience de pensée, d’expérience cruciale, l’idée que l’expérience est quantifiable, reproductible sont-elles en germe ou déjà présentes dans la pensée renaissante ? Que ce soit à partir de l’étude des mots en leur contexte, l’étude des conditions matérielles de l’expérience, ou de celle des concepts et de leur traduction linguistique propre à une époque, ces journées se donnent pour but de cerner la notion d’expérience à travers l’usage réel qu’en font les hommes de savoir de l’époque.
Les propositions de contribution doivent être adressées à Violaine Giacomotto-Charra (violaine.giacomotto@u-bordeaux3.fr), Myriam Marrache-Gouraud (myriam.marrache-gouraud@univ-brest.fr) et Jacqueline Vons (jacqueline.vons@orange.fr) pour le 15 mai 2014.