Cabinet de Platter, Félix

Cabinet situé à Bâle, cité par différents voyageurs et amateurs de curiosités


Hans Bock, Portrait de Félix Platter (1584).
Ce portrait était encore suspendu dans l’aula de l’Université de Bâle au XIXe siècle.

Félix Platter (1536-1614), médecin de Bâle, botaniste et anatomiste, est le fils de Thomas Platter le Vieux et le demi-frère de Thomas Platter le Jeune. Les deux demi-frères ont fait, l’un après l’autre, une partie de leurs études de médecine à Montpellier et ont parcouru l’Europe de la deuxième moitié du XVIesiècle. Leurs échanges avec les savants de l’époque sont nombreux et réguliers. Félix est l’auteur d’un traité d’anatomie, De corporis humani structura et usu (1583).
Thomas Platter le Jeune a laissé de ses pérégrinations européennes un récit très riche pour notre propos, car il mentionne tous les cabinets qu’il rencontre, ainsi que les curiosités locales des villes qu’il traverse. Les extraits en question sont consultables sur notre site.

En ce qui concerne Félix, qui est légèrement plus âgé, ses Mémoires traduites par Edouard Fick en 1866 (Mémoires de Félix Platter, Genève, Imprimerie de Jules-G. Fick), nous apprennent qu’il possédait lui aussi une collection personnelle, qui n’était pas uniquement tournée vers l’histoire naturelle, mais aussi vers les objets d’art et surtout les instruments de musique, pour lesquels il nourrissait une véritable passion. Il mentionne dans ses Mémoires la valeur de cette collection d’instruments de musique en indiquant qu’elle lui a occasionné de nombreuses dépenses ; en revanche, il ne semble pas parler des autres éléments de la collection. Ceux-ci nous sont connus par d’autres textes, que l’on trouvera ci-dessous : outre les explications d’E. Fick, trois témoignages, dont deux datent du XVIe siècle, et le troisième du XVIIe siècle.

  • Naissance précoce d’une passion, et collection d’instruments de musique
    J’avais un goût particulier pour la musique, surtout pour la musique instrumentale. Tout enfant encore, je tendois sur un chevalet les ficelles qui servoient à mettre sécher la lessive, et je les râclois soit avec les mains, soit avec un archet fait de cheveux ; cela m’amusoit beaucoup. J’étois grandement heureux d’entendre les ouvriers imprimeurs de mon père frapper en mesure sur le tympanon, instrument qui étoit alors très-répandu. Je me souviens de l’un de nos pensionnaires, Huber, de Berne, lequel en temps de carnaval jouoit du luth au clair de la lune après le souper : oh ! quelle délicieuse musique ! quel désir j’éprouvois de devenir un habile virtuose ; ce devoit être, me sembloit-il, le comble de la félicité. Aussi j’avois à peine huit ans que mon père me mit entre les mains de Pierre Dorn, qu’il prenoit pour donner les leçons de luth à nos pensionnaires. Dorn fit si bien que j’acquis le renom d’être son meilleur élève ; telle étoit mon habileté qu’à Montpellier on m’appeloit « l’Allemand du luth » et que les occasions de montrer mon talent dans les banquets et les aubades ne m’ont jamais manqué. Pareillement l’épinette, l’orgue me plaisoient fort. En même temps que je commençois le luth, le Dr Pierre Hoechftetter, commensal de mon père, m’apprenoit le clavicorde, qui m’inspira un goût si vif que plus tard je fus conduit à de grandes dépenses pour rassembler une collection de ce genre d’instrumens, collection qui valut un moment 200 couronnes.
    (Mémoires de Félix Platter, médecin bâlois, par Félix Platter et Edouard Fick, Genève, Imprimerie de Jules-G. Fick, 1866, p. 16-17)Une note p. 132 nous apprend qu’à sa mort, F. Platter laissa une collection de 42 instruments de musique, entre autres : quatre épinettes, un jeu d’orgues à deux soufflets, sept violes, six luths, dix flûtes, deux mandolines, une guitare, un tambourin, etc.
  • Présentation d’ensemble de la collection
    La musique le charma toujours. Habile de la main, il excella dans l’art du tourneur. Les plantes et animaux occupèrent aussi ses loisirs. Il aimoit les tourterelles et fut le premier à Bâle qui posséda des oiseaux des Canaries. Déjà en 1595, il s’appliquoit à l’élève des vers à soie. Son magnifique jardin, les végétaux rares qu’il y cultivoit faisoient l’admiration des visiteurs. Riche étoit sa collection d’objets d’art et d’histoire naturelle, qui malheureusement fut dispersée au XVIIIe siècle : entre autres curiosités, elle comprenoit des chefs-d’œuvre d’orfèvrerie, une galerie de tableaux, des portraits d’hommes célèbres, une quantité de monnoies romaines, grecques et modernes, et surtout un musée des trois règnes qui jouissoit d’une réputation européenne.
    (Mémoires de Félix Platter, médecin bâlois, par Félix Platter et Edouard Fick, op. cit.; Préface du traducteur, p. xi)
  • Les Mémoires de l’historien de Thou (1579) racontent : « Il visita Félix Platter, docteur en médecine, logé dans une grande et agréable maison, et qui le reçut fort civilement. Platter lui fit voir dans son écurie une espèce d’âne sauvage, de la grandeur des mulets de Toscane ou d’Auvergne, le corps court et de longues jambes, la corne du pied fendue comme celle d’une biche, quoique plus grosse, le poil hérissé et d’une couleur jaunâtre et brune. Il lui montra encore un rat de montagne de la grandeur d’un chat, qu’ils appellent une marmotte : ce petit animal étoit enfermé dans une cassette, et comme il avoit passé l’hiver sans manger, il étoit tout engourdi. Platter avoit aussi l’étui des fossiles de Conrad Gesner venu de Zurich, tel qu’il est décrit et dessiné dans un de ses livres. Cet étui renfermoit bien des raretés différentes, entre autres quantité d’insectes particuliers, qui semblent autant de jeux de la nature. De Thou les examina à loisir, et avec une grande curiosité, aidé de d’Amerbach, qui s’y connoissoit fort bien »
    (cité par E. Fick, op. cit., p. xi-xii)
  • L’année suivante (1580), ce fut le tour de Montaigne. Dans son Voyage en Italie, on lit à propos de Bâle : « Nous y vîmes de singulier la maison d’un médecin nommé Foelix Platerus, la plus peinte et enrichie de mignardises à la françoise qu’il est possible de voir ; laquelle ledit médecin a bâtie fort grande, ample et somptueuse. Entre autres choses, il dresse un livre des simples qui est déjà fort avancé ; et au lieu que les autres font peindre les herbes selon leurs couleurs, lui a trouvé l’art de les coller toutes naturelles si proprement sur le papier, que les moindres feuilles et fibres y apparoissent comme elles sont, et il feuillette son livre, sans que rien en échappe ; et montra des simples qui y étoient collés y avoit plus de vingt ans. Nous vîmes aussi et chez lui et en école publique des anatomies entières d’hommes morts, qui se tiennent (…). Nous y vîmes (à Bâle) force gens de savoir, comme Grineus, et celui qui a fait le Theatrum, et ledit médecin (Platerus), et François Hottoman. Ces deux derniers vinrent souper avec messieurs, lendemain qu’ils furent arrivés. »
    (cité par E. Fick, op. cit., p. xii-xiii)