Cabinet de Richelieu (cardinal), Armand-Jean Duplessis

Cité par Bonnaffé. John Evelyn visite en 1644 la maison de Rueil, qu'il qualifie de paradis.

« 1585-1642. Le plus grand ministre de la France et le plus illustre de ses amateurs ; Mazarin est son élève, comme Colbert est élève de Mazarin. Richelieu les précède et leur montre le chemin.

Il habita tour à tour l’Arsenal, la place Royale, le petit Luxembourg, qu’il donna bientôt à sa nièce, la duchesse d’Aiguillon, enfin le Palais-Cardinal et la maison de Rueil.

Commencé en 1629 par Le Mercier et terminé seulement en 1636, le Palais-Cardinal renfermait une suite de galeries et d’appartements magnifiques : la salle de comédie, la galerie de l’avant-cour, peinte par Philippe de Champaigne ; la galerie des hommes illustres, décorée par Vouet et Champaigne, contenant 26 portraits de personnages célèbres accompagnés de bustes antiques et modernes ; l’appartement du roi, celui de la reine, le grand cabinet que Sauval appelle « la merveille et le miracle de Paris », enfin la chapelle. On comptait dans le Palais-Cardinal environ 50 statues, 100 têtes ou bustes, la plupart antiques, 500 tableaux des plus grands maîtres, […] avec des tapisseries, des meubles à profusion et plus de 400 pièces de porcelaine de la Chine.

Comme tous ses contemporains, le Cardinal avait la passion de l’orfèvrerie. La chapelle servant à son usage personnel était d’or massif et garnie de deux cent vingt-quatre rubis et de neuf mille diamants. La vaisselle n’est pas moins magnifique […].

La bibliothèque, contiguë au Palais, la plus vaste et la plus superbe du monde avant celle de Mazarin, renfermait une collection de portraits historiques, un nombre considérable de livres et près de 900 manuscrits.

Rueil est la retraite favorite de Richelieu, son pied-à-terre hors Paris. Il avait acheté la maison en 1633 et commença par y dépenser 772000 livres en embellissements. Vers la même époque, il entreprit de reconstruire sur un plan grandiose son château de Richelieu (Indre-et-Loire). En 1632, les travaux étaient commencés sous la conduite de Le Mercier ; l’année suivante, on recevait un premier chargement de statues et de bustes arrivant de Rome. […].

A l’entrée se trouvait une belle statue de Louis XIII, en marbre blanc, ouvrage de Guillaume Berthelot et, sur le dôme, une Renommée en bronze, du même artiste. La cour intérieure était décorée de trente-huit statues antiques avec autant d bustes. Au fond de la cour, au-dessus de la porte d’entrée, de chaque côté du balcon, on avait placé les Deux Captifs de Michel-Ange, donnés au Cardinal par le dernier duc de Montmorency.

Les intérieurs étaient d’une richesse sans pareille : « Il y a tant d’or, écrivait La Fontaine qui visita le château en 1663, qu’à la fin je m’en ennuyai. » […]

Signalons encore les meubles de velours, de soie et d’or, la serrurerie aux armes du Cardinal, le fanal du grand escalier « d’un travail fort exquis » et la célèbre table de mosaïque à compartiments de cornaline, d’agate, de jaspe et de lapis, qui faisait l’admiration de tous les visiteurs, à ce point que le bon La Fontaine l’estimait 900 000 livres.

Tel était cet ensemble incomparable, le musée de la sculpture antique au XVIIe siècle, logé dans la plus belle maison de France.

Que reste-t-il aujourd’hui de toutes ces merveilles ? Le Palais-Cardinal a disparu, remplacé par le Palais-Royal. La collection des portraits est dispersée. […]

La bibliothèque du Cardinal fut léguée à son petit-neveu Armand de Wignerod qui devint, par substitution, duc de Richelieu. En 1660, tous les livres furent portés à la Sorbonne ; à la Révolution, ils ont passé dans la Bibliothèque nationale.[…]

Quant au château lui-même, il est complètement rasé ; il ne reste qu’une petite portion des communs.

(Extrait des Recherches sur les collections des Richelieu. Paris, 1883.) »

*

Témoignage de John Evelyn (1644)

From hence, about a league farther, we went to see Cardinal Richelieu’s villa, at Ruell. The house is small, but fairly built, in form of a castle, moated round. The offices are towards the road, and over-against it are large vineyards, walled in. But, though the house is not of the greatest, the gardens about it are so magnificent, that I doubt whether Italy has any exceeding it for all rarities of pleasure. The garden nearest the pavilion is a parterre, having in the midst divers noble brass statues, perpetually spouting water into an ample basin, with other figures of the same metal ; but what is most admirable is the vast inclosure, and variety of ground, in the large garden, containing vineyards, cornfields, meadows, groves (whereof one is a perennial greens), and walks of vast length, so accurately kept and cultivated, that nothing can be more agreeable. On one of these walks, within a square of tall trees, is a basilisk of copper, which, managed by the fountaineer, casts water near sixty feet high, and will of itself move round so swiftly, that one can hardly escape wetting. This leads to the Citronière, which is a noble conserve of all those rarities ; and at the end of it is the arch of Constantine, painted on a wall in oil, as large as the real one at Rome, so well done, that even a man skilled in painting may mistake it for stone and sculpture. The sky and hills, which seem to be between the arches, are so natural, that swallows and other birds, thinking to fly through, have dashed themselves against the wall. I was infinitely taken with this agreeable cheat. At the further par of this walk is that plentiful, though artificial cascade, which rolls down a very steep declivity, and over the marble steps and basins, with rises over the great shell of lead, from whence it glides silently down a channel through the middle of a spacious gravel walk, terminating in a grotto. Here are also fountains that cast water to a great height, and large ponds, two of which have islands for harbour of fowls, of which there is store. One of these islands has a receptacle for them built of vast pieces of rock, near fifty feet high, grown over with moss, ivy, &c., shaded at a competent distance with tall trees : in this rupellary nidary do the fowl lay eggs, and breed. We then saw a large and very rare grotto of shell-work, in the shape of Satyrs, and other wild fancies : in the middle stands a marble table, on which a fountain plays in divers forms of glasses, cups, crosses, fans, crowns, &c. Then the fountaineer represented a shower of rain from the top, met by small jets from bellow. At going out, two extravagant musketeers shot us with a stream of water from their musket barrels. Before this grotto is a long pool into which ran divers spouts of water from leaden escalop basins. The viewing this paradise made us late at St.Germains.

(The diary of John Evelyn, Ed. William Bray, J.M. DENT et E.P DULTON, London-New York, 1905, Tome 1, p.54-55.)