Cabinet de d’Augier

Témoignage du voyageur bâlois Thomas Platter. Cabinet visité au cours d'un voyage dans le Languedoc.

Curieux personnage que ce M. D’Augier, grand prévôt de la province du Languedoc et gouverneur de la ville de Bagnols, mais qui passe aussi pour un original, si ce n’est un sorcier, dans sa propre juridiction. Outre un surprenant jardin, il possède dans un cabinet de nombreuses raretés naturelles et artificielles, non détaillées par Platter, dont certaines ont dû être collectées lors de ses voyages. Platter ne détaille pas les différents objets, mais commence son compte rendu par les parures de plumes d’Indiens, le seul élément exotique mentionné. Tandis qu’il insiste systématiquement sur le fait que les objets sont nombreux, il ne manque pas de souligner que toutes les curiosités sont enfermées dans un cabinet « très petit ». On peut alors imaginer que celui-ci est tout à fait rempli.

Le 16 avril, je me suis adressé au gouverneur de cette ville de Bagnols, Monsieur d’Augier, grand prévôt de toute la province du Languedoc, dans son jardin. D’Augier m’a montré ce jardin où il préfère que soient plantés des groseilliers et des petits pois, les uns et les autres rares en Languedoc, plutôt que d’autres végétaux.
Ensuite, il me conduisit dans sa maison qui donne sur la place « théâtrale » dont je parlais à l’instant ; il m’y fit visiter son cabinet de curiosités : on y voyait quantité de parures de plumes d’Indiens, des antiquités très diverses et des peintures excellentes, artistiquement confectionnées. Ce cabinet était très petit, mais pourvu d’une exquise ornementation. S’y trouvaient aussi d’innombrables pierres précieuses de grande valeur et des images sculptées. Il m’invita également chez lui, dans le château, pour y prendre en sa compagnie le repas du soir. C’est pourquoi, au cours de la soirée, je me rendis dans le château. D’Augier y habitait seul, sans épouse, avec plusieurs valets et des soldats. Nous étions donc isolés, tous les deux, pendant le diner. Il me raconta sa vie : étant jeune, il fut étudiant en médecine, puis il voyagea sur mer, et enfin grimpa socialement d’un poste à l’autre, jusqu’à ce qu’au bout du parcours le roi et le connétable le nomment grand prévôt de tout le Languedoc, et gouverneur de Bagnols. Il jouissait alors, in situ, d’un prestige considérable. Seulement voilà ! Il se targuait volontiers de choses bizarres. Il faisait cadeau de bagues d’or à tel et tel personnage particulier. Dans chacun de ces anneaux logeait un esprit familier, spiritus familiaris. En conséquence, on le tenait pour un sorcier ou pour un spécialiste de magie noire.

Source : Le siècle des Platter. II, Le voyage de Thomas Platter : 1595-1599, par Le Roy Ladurie, Emmanuel (éd. , trad. ) et Liechtenhan , Francine-Dominique (trad.), Paris, Fayard, 2006, p. 274.