Bruxelles, Jardins zoologiques

« Un tel ensemble, c’est comme un paradis terrestre », s’exclame Platter. De labyrinthes en ravins où l’on découvre des animaux sauvages, ce lieu d’agrément et de promenade éblouit le voyageur bâlois Thomas par sa magnificence, comme il fascinera 50 ans plus tard John Evelyn.

En 1599, Thomas Platter visite à Bruxelles les jardins de la cour du roi installée par Charles Quint : jardins d’agrément, volières et jardin zoologique remarquables. Albrecht Dürer les visita aussi au tout début du siècle, puis en fit la description et en rapporta des dessins d’animaux exotiques qui firent le tour de l’Europe.

J’ai quitté cette cour et suis passé dans le jardin d’agrément ; j’y ai vu beaucoup de beaux labyrinthes entrecoupés de terrasses en maçonnerie surélevées, l’ensemble étant tout à fait ravissant. Le pourtour est en arcades et en belles haies vives, vertes, épaisses… On peut se promener dans la fraîcheur de l’ombre aux alentours de ces étendues jardinatoires, et puis l’on se repose commodément dans les pavillons. C’est là qu’on entend le chant (délicieux) des oiseaux ; grandes cages pleines de volatiles fixées ça et là dans le jardin…
Sortant d’icelui, je suis arrivé jusqu’à un bel étang quadrangulaire. Le fond en est pavé avec des dalles, et la périphérie de la susdite pièce d’eau est entourée par des marches de pierre. On peut vider cet étang à volonté ; dès lors, on descend jusqu’au fond, de tous côtés, à pied sec, en suivant ces marches. Au centre de la pièce d’eau se dresse, pour le plaisir, une jolie maisonnette. Elle est bâtie sur quatre piliers en pilotis enfoncés sous l’eau. Là aussi, depuis ce cabanon, un escalier descend jusqu’au fond de l’étang. Quand on ne peut pas se rendre à la maisonnette à pied sec, on va jusqu’à elle sur un petit bac ou esquif, lorsque l’étang est plein d’eau. De beaux poissons y nagent ; et puis, en permanence, des cygnes et des « oiseaux d’eau » exotiques. On n’est jamais rassasié d’un tel spectacle. Cette surface aqueuse est complétée par des puits artistiques et des jets d’eau jaillissants : joli bruit, très agréable. Ensuite, on m’a montré un tilleul qui recouvre de ses branchages un petit pavillon bien particulier.
Près de cette maisonnette se dresse une mignonne demeure d’agrément flanquée d’un labyrinthe.
(…)
Peu après, nous sommes parvenus jusqu’à une très longue allée. Elle est rectiligne, avec tellement d’arbres qu’on a l’impression d’être dans une forêt. C’est là que se trouve le jardin zoologique, entouré d’un mur. J’y ai dénombré plus d’une centaine d’animaux sauvages et gibiers divers. Il s’agissait surtout de daims, blancs et beiges, et puis pas mal de chevreuils et de bouquetins, des lièvres, des chamois… Ils sont tout à fait apprivoisés et ils font leur tournée à bonne allure, en troupe, dans ce zoo verdoyant où il y a des buissons, de la vigne vierge, des surfaces aquatiques, pour l’amusement d’une telle faune. Tout ça commodément, artificiellement, artistement organisé. Si bien qu’à la saison les courtisans peuvent se donner du bon temps : chasse à courre, chasse tout court ! Ensuite, on nous a emmenés dans un ravin : comme un gouffre, au milieu du bois ; c’est un lieu frais, ombragé. On se croirait dans une cave. Et puis, continuation de la promenade : un second étang, suivi d’une garenne, grouillante de lapins. En plusieurs endroits, l’eau courante fait son lit par moments sous la terre, au point qu’on a beau jeu d’y organiser des jeux d’une grande drôlerie. En somme, cour archiducale, jardins et bâtisses qui s’y rattachent les unes et les autres ceintes d’une même muraille, tout ç tient presque autant de place, à mon sens, que la partie de notre ville qu’on appelle le Petit-Bâle. Un tel ensemble, c’est comme un paradis terrestre. J’en ai esquissé ici, brièvement, les plus belles portions. Voyez aussi la gravure ci-jointe. C’est là que le prince a sa cour ; et donc courtisans nombreux, splendeur des nobles, la ville donne une impression visuelle et de glorieuse richesse.

Source : Le siècle des Platter. III, L’Europe de Thomas Platter : France, Angleterre, Pays-Bas, 1599-1600 , par Le Roy Ladurie, Emmanuel (éd. , trad. ) et Liechtenhan, Francine-Dominique (trad.) Paris, Fayard, 2006, p. 215-216.

*

John Evelyn, marchant comme souvent sur les traces de Platter, visite à son tour le site en 1641. Voici son compte-rendu :

8 th. Being the morning I came away, I went to see the Prince’s Court, an ancient, confused building, not much unlike the Hofft, at the Hague : there is here likewise a very large Hall, where they vend all sorts of wares. Through this we passed by the chapel, which is indeed rarely arched, and the middle of it was the hearse, or catafalco, or the late Archduchess, the wise and pious Clara Eugenia. Out of this we were conducted to the lodgings, tapestried with incomparable arras, and adorned with many excellent pieces of Rubens, old and young Breugel, Titian, and Stenwick, with stories of most of the late actions in the Netherlands.

By an accident, we could not see the library. There is a fair terrace which looks to the vineyard, in which, on pedestals, are fixed the statues of all the Spanish kings of the house of Austria. The opposite walls are painted by Rubens, being an history of the late tumults in Belgia ; in the last piece, the Archduchess shuts a great pair of gates upon Mars, who is coming out of hell, armed, and in a menacing posture ; which, with that other of the Infanta taking leave of Don Philip the Fourth, is a most incomparable table.

From hence, we walked into the park, which for being entirely within the walls of the city is particularly remarkable : nor is it less pleasant than if in the most solitary recesses ; so naturally is it furnished with whatever may render it agreeable, melancholy, and country-like. Here is a stately heronry, divers springs of water, artificial cascades, rocks, grots ; one whereof is composed of the extravagant roots of trees, cunningly built and hung together with wires. In this park are both fallow and red deer.

From hence, we were led into the Menage, and out of that into a most sweet and delicious garden, where was another grot of more neat and costly materials, full of noble statues, and entertaining us with artificial music ; but the hedge of water, in form of lattice-work, which the fountaineer caused to ascend out of the earth by degrees, exceedingly pleased and surprised me ; for thus, with a pervious wall, or rather a palisade hedge of water, was the whole parterre environed.

There is likewise a fair aviary ; and in the court next it are kept divers sorts of animals, rare and exotic fowl, as eagles, cranes, storks, bustards, pheasants of several kinds, and a duck having four wings. In another division of the same close are rabbits of an almost perfect yellow colour.

There was no Court now in the palace ; the Infante Cardinal, who was the Governor of Flanders, being dead but newly, and every one in deep mourning.

(The diary of John Evelyn, Ed. William Bray, J.M. DENT et E.P DULTON, London-New York, 1905, Tome 1, p.36-37.)