Cabinet de De Baillou, Jean (Chevalier)
Le catalogue très partiel de ce Cabinet est dressé dans un ouvrage de 1746 intitulé Description abrégée du fameux Cabinet... , avec en fin de volume, p. 149, un "Plan de la description générale du cabinet de M. le Chevalier de Baillou".
Le Cabinet de Jean de Baillou, directeur général de la Galerie du Grand-Duc de Toscane, contient essentiellement des pierres précieuses, des fossiles et des coquillages. Les 24 collections qui composent le Cabinet sont décrites de façon exhaustive dans ce catalogue, catalogue qui présente également des considérations bibliographiques sur les Cabinets, des considérations scientifiques sur les instruments d’étude du règne minéral comme le microscope, et des descriptions de sites comme les jardins et la grotte de Colorno. Cette « description abregée » se presente comme un prélude à l’entreprise ambitieuse qui consisterait à rendre compte des quelque 30000 pièces qui composent le cabinet : Joannon de S. Laurent donne en fin d’ouvrage, p. 149, un « Plan de la description générale du cabinet de M. le Chevalier de Baillou ».
Cette Description intitulée « Traité Universel des Pierres Précieuses, etc. » était projetée en sept volumes in folio destinés à être imprimés en grand papier impérial, et devait contenir « environ six cens planches de même grandeur, lesquelles représenteront les principales piéces du Cabinet, aussi-bien que les machines inventées pour faire les expériences qui y ont raport ». Il faut dire que le cabinet, comme le précise l’auteur, compte quelque 30000 pièces. Cependant, précise l’épître liminaire, une telle entreprise de publication demande trop de fonds, Baillou a trop investi dans la constitution de ses collections et dans les expériences : « si votre Ouvrage devoit voir le jour, ce ne pouvoit être, comme on vous l’avoit promis autre fois, que par un éfet de la générosité d’un Souverain, ou tout au moins par celui de l’empressement d’une association de Curieux ».
Jean de Baillou était par ailleurs directeur général de la Galerie du Grand-Duc de Toscane, François Ier de Lorraine, qui possédait lui-même un cabinet d’Histoire naturelle et de médailles.
Nous reproduisons à la suite quelques extraits de cet ouvrage qui mettent en évidence l’orientation décidément scientifique du cabinet tel qu’il est conçu par le Chevalier de Baillou, parfaitement représentatif en cela de son époque. Ainsi Joannon de Saint Laurent oppose-t-il à l' »admiration de curiosité », celle du « simple curieux », les « vues d’utilité » de celui qui est animé par « l’esprit du naturaliste ».
Extraits de l’Epître liminaire de Joannon de Saint-Laurent « A Monsieur le Chevalier de Baillou directeur général de la galerie de S. M. I. Gran-Duc de Toscane, etc. etc. etc. »
« Monsieur. Jamais personne n’eut autant de titre en donnant un livre au Public sous les auspices d’un savant et d’un patron des arts, que j’en ai à vous ofrir celui-ci. Il contient une description abregée de votre Cabinet. […]
Ce n’est pas sans raison, Monsieur, que je m’exprime de la sorte. Vous m’avez mis sur les voies de la vérité, et je vous dois les connoissances que je viens de prendre dans l’Histoire Naturelle des fossiles.
Un peu de goût pour la Physique en général, un amas de diférentes recherches puisées çà et là, et déposées à ma mémoire, domestique infidele qui nous trompe trop souvent, c’étoit tout mon partage : le Public s’en est bien aperçu ; je lui ai laissé entrevoir combien peu j’avois de fond.
Pour n’avoir pas comparé des Astroïtes avec leurs Analogues, je les croïois des juxta-positions de coquillages ; j’attribuois même par le defaut de ma memoire ce sentiment à un Auteur grave. Je pensois aussi avoir lu qu’un savant Académicien prétendoit que les Pierres de foudre apartiennent au Regne Animal. J’en suis venu jusqu’à croire sur la foi d’une personne respectable à la vérité, que vous, Monsieur, vous étiez l’auteur d’un systéme qui établit que le Corail est l’ouvrage de quelques insectes de mer : tout cela je l’ai dit, vous le savez, dans des Observations de Physique qui depuis ont vu le jour.
Ainsi aurois-je perseveré dans ces erreurs, si je n’eusse eu, Monsieur, l’honneur de votre connoissance. Mais assez génereux pour oublier que mal à propos je venois de vous mettre en compromis, vous avez suivi à l’ordinaire les mouvemens de votre cœur. Vous vous êtes ataché à me désabuser, à m’éclairer, et à me faire toucher au doigt et à l’œil tout ce qui regarde la nature dans la partie qui fait le sujet de votre magnifique Cabinet. »
[…]
Mon imagination me représentoit encore ces fameux Cabinets que j’ai vus en Alemagne, en Angleterre, en France, dans ces contrées. Crainte de me tromper dans mon jugement, je m’aidois de la lecture des meilleurs Auteurs qui ont écrit dans ce genre, et particulierement de nostre Historien moderne de la Lithologie et de la Conchyliologie. Je comparois cabinet à cabinet, description à description, et chaque chose à vos collections : il ne m’en venoit pas moins au bout cette même décision que le Cabinet de M. le Chevalier de Baillou l’emportoit sur tous ceux qui ont été formés des piéces du Regne minéral. »[…]
Extraits du « Discours préliminaire » :
p. 8
[…]
« L’Art de faire des expériences que posséde M. le Chevalier de Baillou, l’emporte sur cette
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finesse vantée de plusieurs physiciens. Il se précautionne tellement contre l’erreur des sens, qu’après les avoir tous emploïés dans des expériences, sur quelque sujet, il en fait des combinaisons qui persuaderoient que sa nature est avantagée d’organes particuliers. Ce seroit un trésor pour les gens d’étude, qu’un traité de ce qu’il pense à cet égard, et de la maniére de diriger les sens.
[…]
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Si l’on manque souvent les expériences par le défaut des instrumens, notre Philosophe se met à l’abri de cet inconvénient : il imagine, lui-même, ceux qui lui sont nécessaires. Lors qu’il observe, c’est avec des microscopes de son invention ; il en a de solaires, par réfléxion, et de toute sorte. Ils font voir les objets d’une extrême netteté, et d’une grandeur qui ne le céde à aucun de ceux qui sont connus. Son microscope solaire en particulier sert admirablement pour déssiner en grand les plus petits corpuscules soit opaques ou tranparens.
Veut-il, après cela, chercher les principales propriétés des corps qu’il a observés ? Voici d’autres inventions de son génie qui se trouvent prê-
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tes à éprouver la Nature. Il met en usage les machines suivantes. Une machine par le moïen de laquelle on voit la diférence de la réfléxion de lumiere que cause chaque espéce de corps.
Une machine pour peser les corps et pour en connoître la gravité spécifique : machine faite principalement pour ceux qui sont petits et irréguliers, comme les pierres précieuses et les diamans. On n’y est point exposé aux inconvéniens des méthodes que l’on a acoutumé de suivre en semblables cas.
Une machine qui fait trouver, quelle est la dureté, et quels sont les dégrés de dureté des corps.
Une machine qui sert à calculer très-scrupuleusement les forces acquises par la chûte des diférens corps.
D’autres machines en-un-mot, dont l’usage fait voir soit la cohésion et l’engrenement des parties des corps, soit certaines propriétés qui leur sont atachées.
La Méchanique de tous ces instrumens est parfaite : on y trouve l’utile, l’aisé, l’agréable. Aussi M. le Chevalier de Baillou dirige-t-il les ouvriers ; et quand les piéces par leur délicatesse, exigent une certaine atention, il ne dédaigne pas
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d’y mettre la main ; il devient alors un autre Louville. » [une note renvoie à son éloge dans les Mem. de l’Ac. 1732 p.184]
Extraits du Chapitre premier.
« Idée générale de ce qui se trouve de plus remarquable dans ce Cabinet.
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§1. Les Ouvrages qui donnent la description des cabinets, où sont des collections du Regne des Mineraux et autres fossiles, ne peuvent être considerés ordinairement que comme des catalogues bien détaillés. Ils ne vont pas au fond de l’Histoire Naturelle : et à les voir, on diroit que le sort
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des cabinets fût d’entretenir la théorie dans la physique de ce regne. §2. En éfet malgré nos collections nous n’avons pas avancé beaucoup à cet égard. Depuis Aristote et Théophraste à peine y avons-nous fait un pas en pratique, si ce n’est du côté de la Métalique. Quant à ces belles spéculations qui sont l’objet des recherches de nos Naturalistes, et qui ont donné lieu aux plus curieuses productions des modernes Ecrivains du Regne minéral ; que peut-on dire, sinon que les Anciens avoient observé aussi-bien qu’eux, des coquillages dans les montagnes, dans les carrieres, dans les pierres, et qu’ils en expliquoient la cause.
§3. Nous voïons ces vieux phénomenes, phénomenes usés, le dirai-je ainsi ; cela vaut-il la peine de nous tant arrêter ? Des plantes et des poissons dessechés dans des pierres ! des coquillages sur les montagnes ! qui peut les y avoir portés ? Des coquilles pleines de pierre-à-fusil et de craie ! celles-ci n’ont pu y entrer qu’en forme de liqueur. Cette disposition des couches de la terre l’une sur l’autre ! Ce sont autant de sédimens qui sont tombés au fond de l’eau. [en note : expressions tirées de l’Hist. de l’Ac. 1703 p. 28 et de Wodvv. Geog. ohys. p. 12, et 41]
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§5. Toutes les pierres au-dessous des pierres précieuses ont passé par les mains des Naturalistes. Le Médecin Venette et M. de Réaumur sont peut-être les seuls qui aient suivi leur formation avec intelligence. Les autres pourtant ne les ont pas moins rangées dans leurs armoires. Nous en aprennons, il est vrai, les noms, les pays, et quelques usages très-connus : ce qui apartient à un catalogue détaillé. Mais pas un mot sur ce qui regarde leur nature : et on la connoit si peu que Césalpin, l’un des plus puissans génies qu’ait eu l’Histoire Naturelle, prend de l’albâtre pour de l’agate.
§6. Après cela, nos cabinets, nos collections, sont-ce des choses bien utiles ? Les Savans qui s’y apliquent, et qui en écrivent, s’y changeroient-ils donc en simples curieux, qui sensibles au plaisir de la vûe, n’y recherchent que le coup d’œil ? Quoi qu’il en soit, ils nous servent peu, et l’Histoire Naturelle n’y a pas gagné. Si le Cabinet que nous anonçons, ne sortoit pas de cet état commun des autres : pourquoi le cacher ? Il ne seroit pas plus digne de notre atention, tout magnifique qu’il est.
§7. A l’envisager toutefois dans son matériel ; et j’apelle son matériel, le simple étalage de ses curiosités ; il ne céde à aucun de ceux qui sont connus dans le Regne des Minéraux et autres
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fossiles.
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§8. Un semblable Cabinet satisferoit le simple Curieux, j’en conviens. Voir sous la main d’un naturaliste, tant de piéces qu’il étoit si dificile d’avoir, que la Nature avoit cachées dans les entrailles de la terre et les abîmes de la mer, c’est assurément un spectacle merveilleux. Et comment faire un tel amas ! […]
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[…]
§9. Mais du moment qu’on en resteroit là, en se renfermant dans les bornes d’une admiration de curiosité, on verroit bien-tôt le prodige se dissiper : car on s’acoutume avec le beau et il devient indiférent ; être toujours piquant, c’est un droit réservé au seul utile. Ce n’est donc pas ce matériel qui nous peut fixer : c’est l’esprit du naturaliste qui fait s’orienter, et voir dans ces piéces ce que des yeux peu éclairés ne voient point : C’est cet esprit, dis-je, qui doit entretenir ou exciter de nouveau l’admiration par des vûes d’utilité. On me montre, par exemple, plusieurs morceaux rares du cabinet : je n’y vois d’abord qu’un extraordinaire que je ne sais développer. M’y fait-on remarquer que c’est un travail où la Nature a été prise sur le fait, où on la voit agir, où l’on aprend d’elle-même son secret ? Alors il faut l’avouer, j’aperçois des perfections qui m’étoient invisibles : pour le coup, c’est la grande merveille ; voilà de l’utile, et nous en sommes à l’école du vrai. »
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[…]
Extraits du Chapitre II.
« Sur le fondement de l’Histoire Naturelle.
§11. Il faut un fondement à l’Histoire Naturelle, comme il en faut un à l’histoire civile : ce n’est pas à dire qu’il faille que les faits qui en font l’objet, soient existens ; cela s’entend de reste. Mais il leur faut des authentiques qui servent d’apui ou de preuve à ce qu’elles envisagent. L’histoire civile n’en eut jamais de meilleurs que les médailles ; [marg : Spectacle de la Natur. tom.3 pag. 451] et de même il n’en est point de plus surs pour l’histoire natu-
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relle, que les diférentes piéces des familles de la nature qu’on rassemble dans un Cabinet. Nous en avons déjà fait sentir la conséquence.
§12. Si donc une histoire civile fondée sur une suite de médailles, n’est bonne après cela que par son raport à la Chronologie ou l’ordre des tems ; il est évident que l’histoire naturelle soutenue des piéces d’une collection, ne sauroit être estimée qu’autant qu’elle s’y raporte en entier, et qu’il y a de l’ordre et de l’arrangement parmi les piéces. C’est là pour l’histoire naturelle un équivalent de ce qu’est la chronologie pour l’histoire civile. »
Extraits du Chapitre III.
« Des Principes sur lesquels est fondé le Cabinet de M. le Chevalier de Baillou, et en premier lieu des Pétrification.
§21. Le Cabinet de M. le Chevalier de Baillou pouroit bien s’apeller selon notre sens, un Médailler de la Nature dans les Minéraux et autres fossiles. » [marg : M. de Fontenelle apelle l’Herbier de Scheuchzer de nouvelles espéces de médailles. Hist. de l’Ac. 1710, p.28]
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SOURCE: SAINT LAURENT, Joannon de : Description abregée du fameux Cabinet de M. le Chevalier de Baillou, pour servir à l’Histoire Naturelle des pierres precieuses, métaux, minéraux et autres fossiles. Par Joannon de S. Laurent. Luques, Sauveur et Jean-Dominique Marescandoli, 1746.
Localisation :
-Paris, Arsenal (deux exemplaires) : 4.S.1385 et 4.S.1386
– Paris, Bibliothèque nationale de France (deux exemplaires) : S.5557 et P96/2850
– Paris, Museum d’Histoire naturelle : FHNV
– Strasbourg, Université Louis Pasteur, Service commun de la documentation scientifique, « Sciences et techniques » : Hmll