"Science, savoir, curiosité, connaissance... Les noms du savoir et leurs avatars" : 1ère journée d’étude du programme “Formes du savoir” consacré aux “Mots de la science à la Renaissance”

affiche mots du savoir

Organisation :

Violaine Giacomotto-Charra (Univ. Bordeaux 3) et Myriam Marrache-Gouraud (Univ. Brest)

 

Programme :

Vendredi 10 janvier 2014
MSHA – Salle 2

Matinée
Présidence : Jacqueline Vons (Tours – F. Rabelais)

9h30 – Violaine Giacomotto (Bordeaux) et Myriam Marrache (Brest) : Introduction

10h15 – Guylaine Pineau (Pau)
La notion de curiosité chez Ambroise Paré .

11h – Nicolas Correard (Nantes)
Curiosité/pérégrinité : points de vue critiques sur un désir aventureux.

11h45 : discussion.

 

Après-midi
Présidence : Pascal Duris (Bordeaux 1)

14h – Noémie Castagné (Lyon 3)
Les mots de la « scienza delle mecaniche » : dans le laboratoire de la traduc-tion du Mechanicorum liber de Guidobaldo Dal Monte

14h45 – Sophie Singlard (Paris 4)
Transmettre les savoirs ou enseigner les disciplines: les mots de l’apprentissage à l’Université de Salamanque au XVIe siècle.

15h30 : discussion et pause.

16h00 – Magda Kozluk (Lodz)
Comment mémoriser « les mots de la science » aux XVIe et XVIIe siècles

 

Programme à télécharger (version pdf)

Affiche à télécharger (version pdf)

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crapaud mots de la science

 

Présentation:

L’histoire des sciences et des savoirs à la Renaissance se heurte à un problème constant et profond : celui de l’exacte nature du lexique scientifique et de sa progressive inscription dans les différentes langues vernaculaires, à une époque d’importantes transformations linguistiques, conceptuelles et scientifiques. Si le lexique savant médiéval et celui de la période classique commencent à être bien étudiés, la période 1450 – 1630, de la naissance de l’imprimerie à la « révolution scientifique », est une période d’entre-deux encore mal explorée, tant du point de vue de l’histoire des sciences et des savoirs que du point de vue du lexique savant qui sous-tend et incarne cette histoire.

Le projet d’un travail sur le lexique savant de la Renaissance est donc né d’un constat simple, fait par un ensemble de chercheurs littéraires, linguistes et /ou historiens des sciences et des savoirs venus de disciplines différentes (médecine, mathématiques, philosophie naturelle, zoologie, botanique…) : nous manquons d’outils performants pour comprendre ce lexique et savoir le lire sans anachronisme. En outre nous devons, nécessairement, prendre en compte un aspect crucial du problème, le passage du latin, et parfois du grec, aux langues vernaculaires et le dialogue presque constant entre les cultures gréco-latine et vernaculaire.

Sur le plan concret, il s’agit de commencer à réaliser, le dictionnaire dont nous aurions tous souhaité disposer au cours de nos recherches. Nous proposons aux chercheurs travaillant sur le projet de réfléchir à la pertinence d’un « lexique raisonné » dans leurs disciplines respectives, en établissant un ensemble de mots clefs, leur évolution historique. La première étape collective sera ainsi la constitution progressive de ce corpus de mots clefs, donnant lieu à des articles, par mots aussi bien que, point important, par notions.

 

Pour commencer à donner vie à cette première étape, l’équipe « Formes du savoir », l’équipe HCTI de l’Université de Brest et le Center for the Study of the Renaissance, associés aux équipes et organismes divers auxquels appartiennent par ailleurs les membres de l’équipe de projet, organisent un cycle de journées d’études, intitulé « Les mots de la science à la Renaissance », dont la première sera consacrée aux noms par lesquels la science et le savoir se désignent eux-mêmes. Cette première journée cherchera ainsi à circonscrire en les étudiant les termes génériques employés à la Renaissance pour désigner le savoir et ses modalités, ses étapes (en amont, en aval), ses degrés, ses avatars, ainsi que les moyens d’acquérir ce savoir. Les noms science et savoir, mais aussi art, pratique, théorie, disciplines… existent, mais ne recouvrent évidemment pas exactement les notions qu’ils désignent aujourd’hui, de même que ces dernières ne sont ni conceptualisées, ni définies, ni nommées de la même manière. Les structures de transmission du savoir, par ailleurs, au premier rang desquelles les universités, témoignent à la fois d’une remarquable pérennité des systèmes d’organisation et de classification des savoirs, issus de la pensée d’Aristote, en même temps qu’elles font place à de nouvelles disciplines, à de nouvelles organisations, à de nouvelles hiérarchies, à de nouvelles pratiques savantes ainsi qu’à de nouveaux lieux destinés à nourrir la connaissance. Ceci inclut la botanique et la naissance de ses jardins, une zoologie nouvelle accompagnée de l’apparition des collections et des cabinets, ainsi que de la circulation des échantillons, l’anatomie, accompagnée de son amphithéâtre : on fait place à l’observation, on croit à la valeur de l’autopsie, on commence à utiliser l’expérience… tout en continuant de fonder une grande partie de la connaissance sur l’autorité du livre et la pratique textuelle du commentaire. Dans ce premier cadre polymorphe et en constante mutation, comment nomme-t-on la connaissance ? À quelles définitions, catégorisations et classifications sous-jacentes les mots qui la désignent et la dessinent renvoient-ils ? Quel est exactement le sens du nom science et que devient son opposition ancienne et complémentaire à celui d’ars ? Ces termes, et les concepts qu’ils désignent subissent-il une évolution perceptible ? Voient-ils leur charge sémantique se modifier selon les textes ? Cette modification est-elle consciente et formalisée par les philosophes, les savants, les penseurs ? Comment nomme-t-on et classe-t-on disciplines et pratiques nouvelles ? La naissance de nouveaux lieux de savoir, au sein ou hors des universités (les Académies), entraîne-t-elle une transformation du champ conceptuel de la connaissance ?

Existe par ailleurs toute une réflexion sur l’acquisition des connaissances nouvelles, l’ouverture à de nouveaux horizons, la contestation des savoirs institutionnels : comme l’écrit Rabelais, il peut être bon d’être amateur de pérégrinité pour s’engager vers des découvertes, « desyrant tous jours veoir et tous jours apprendre » à l’instar de Pantagruel. Ainsi, l’apprentissage et le désir de savoir s’accompagnent d’un déplacement dans l’espace – et le voyage est alors lié à la curiosité au sens large, qui n’implique cependant pas un simple état d’esprit, mais la conceptualisation de méthodes et de classifications nouvelles. Cependant, dans ce second cadre, la distance ou l’émerveillement ne sont sans doute pas les seules conditions nécessaires à l’augmentation des connaissances, puisque le même Rabelais, en humaniste, est capable d’écrire qu’on peut « sçavoir tousjours et tousjours apprendre, feust ce d’un sot, d’un pot, d’une guedoufle, d’une pantoufle », supposant que l’on peut apprendre de toute source, y compris de la plus ordinaire, de la plus proche. Qu’entend-on alors ici par docte, savant, ignorant ? Ces mots reçoivent-ils la même définition selon les milieux ? Existe-t-il de réelles différences entre ces mots selon les contextes ou les disciplines ? En quoi la définition et l’usage d’un mot comme science ou savoir peut-elle nous aider à penser les différences et les continuités entre les aspects variés du savoir et, par exemple, à repenser les rapports entre humanisme et scolastique, dont l’opposition a été largement exagérée et caricaturée ?

Autre, question, la libido sciendi est-elle la meilleure voie d’accès au savoir ? Comment s’articule-t-elle avec la notion de science ? Est-elle l’équivalent de la curiositas ? « Ce qu’on appelle curiosité n’a pas d’autre fin que la joie qui naît de la connaissance des choses », écrit Saint Augustin : doit-on envisager la curiosité en amont et en aval de la connaissance, et en quoi le savoir, la science, se distinguent-ils de cette dernière ? A la Renaissance, pense-t-on, comme Aristote, que la libido sciendi est une haute aspiration qui participe de la nature de l’homme, ou faut-il au contraire lui imposer des limites afin qu’elle ne s’apparente pas à une passion déréglée, vaine ou stérile, si ce n’est « superbe », qui égare plus qu’elle ne guide ? En somme, quel est son rôle, et quel est même celui de la connaissance, dans le rapport de l’homme au monde ?

L’objectif de cette journée est d’étudier précisément les mots et leurs emplois contrastifs, leurs définitions et leurs applications dans les textes savants ou relevant d’une réflexion sur la question du savoir, les notions de science et de disciplines (on pense en particulier aux textes préfaciels, aux chapitres des commentaires aristotéliciens sur la définition de la science et de ses parties). Il s’agit de définir des repères lexicaux et sémantiques précis, en synchronie comme en diachronie, pour ne pas se perdre, tel le pèlerin en quête de connaissance, dans l’émerveillement de ces notions, et percevoir ainsi clairement, à travers le lexique, les bornes et les frontières, ou à l’inverse les points de passages, les glissements, les déplacements de ces mots, les uns par rapport aux autres, ainsi que dans leur histoire et dans l’emploi individuel que peut en faire chaque penseur renaissant. On sera en particulier attentif au passage d’une langue à l’autre et au devenir des termes grecs et latins (ars et scientia, épistémè…) dans leur translation vers les langues vernaculaires, dans leur usage commun dans les spécialisations scientifiques qui se développent. C’est donc en analysant de près les usages, tant dans les langues anciennes que vernaculaires, et les gloses qui les accompagnent selon les contextes discursifs que l’on pourra au mieux circonscrire ces concepts. La notion même de contexte discursif sera ainsi à définir, car on pourra aussi se demander en quoi un contexte peut être qualifié de savant, de scientifique, ou de philosophique.