Cabinet de la bibliotheque Sainte Genevieve (Du Molinet)

Le fameux cabinet de la Bibliothèque Sainte-Geneviève a été constitué et décrit par le père Du Molinet.

LE

CABINET

DE LA

BIBLIOTHÈQUE

DE

SAINTE GENEVIEVE.

DIVISÉ EN DEUX PARTIES.

Contenant les Antiquitez de la Réligion des Chrétiens, des Egyptiens, &

des Romains ; des Tombeaux, des Poids & des Médailles ; des Monnoyes,

des Pierres antiques gravées, & des Minéraux ; des Talismans, des Lampes

antiques, des Animaux les plus rares & les plus singuliers, des Coquilles

les plus considérables, des Fruits étrangers, & quelques Plantes exquises.

Par le R. P. CLAUDE DU MOLINET,

Chanoine Régulier de la Congrégation de France.

[fleuron]

A PARIS.

Chez ANTOINE DEZALLIER, ruë Saint Jacques,

à la Couronne d’or.

M. DC. XCII.

AVEC PRIVILEGE DU ROY.

 

ELOGE

DU PERE DU MOLINET

Chanoine Régulier de Sainte Geneviéve.

Tiré du Journal des Sçavans, du vingt-quatriéme Novembre

De l’année 1687.

Il seroit à propos de dire quel a été le feu Pere du Molinet, en donnant au public les mémoires qu’il a laissez dans le Cabinet de la Bibliotheque de Sainte Geneviéve, s’il ne s’étoit pas assez fait connoître par ses bonnes qualitez, et par ses ouvrages. Quelque interest que nous devions prendre aux loüanges qu’il mérite, on ne nous accuseroit pas de luy en donner trop, après celles que tous les Sçavans luy ont données pendant sa vie, & depuis sa  mort. Nous nous contenterons de rapporter icy pour tout Eloge, celuy qye les Auteurs du Journal des Sçavans publiérent quelques mois après son décés. La peinture qu’en firent ces habiles gens, le réprésente mieux, que le portrait que nous en avons fait graver. Nous assûrons le public, que nous y reconnoissons parfaitement le feu Pere du Molinet.

La douleur que les Gens de Lettres ont soufferte à la mort du P. du Molinet, Chanoine Régulier de Sainte Geneviéve, leur a été trop sensible pour le passer sous silence. Il étoit de Châlons en Champagne, d’une Famille ancienne et illustre, & par sa noblesse, & par les alliances qu’elle avoit avec celles d’Arcis, de Mœurs, de Boucherat & de Lhopital. La mére du P. du Molinet étoit de cette derniére Famille, de laquelle elle portoit le nom : son pére fut Pierre du Molinet, Ecuyer, Prevôt de Châlons. Il l’envoya à Paris avec son frere aîné, pour y faire ses études de Philosophie, laquelle il n’eut pas plûtôt achevée, qu’il prit la résolution d’entrer dans l’Ordre des Chanoines Réguliers ; il s’y fit distinguer autant par son érudition & sa suffisance, que par sa  piété : il fut Procureur Général de sa Congrégation, & son humilité seule servit d’obstacle à son élévation aux autres Charges qui luy furent souvent offertes. Ceux qui l’ont connu, sçavent combien il eut de soin de s’en éloigner. Il étoit d’un caractére d’esprit heureux, doux, affable, charitable, si bien-faisant, que jamais personne ne l’a approché, qu’il n’ait été très-content de luy : il est vray qu’il loüoit volontiers tout le monde, qu’il se faisoit un singulier plaisir de rendre service.  Il ne pouvoit être un moment oisif ; & la postérité aura de la peine à croire qu’il soit l’Auteur d’un aussi grand nombre d’ouvrages, que ceux que l’on a de luy, & que l’on pourra donner un jour au public. Il en a paru déjà plusieurs qui ont mérité une approbation générale : il a réduit en un tres-bel ordre les Epîtres d’Etienne Evêque de Tournay, & en a expliqué les endroits difficiles par des Notes tres-sçavantes. On luy a l’obligation de l’Histoire des Papes par les Médailles, depuis Martin V, jusques à présent. Les Chanoines Séculiers lui doivent douze Réfléxions sur leur origine, aussi-bien quel es Réguliers douze sur leur antiquité. Son Livre des différens Habits des Chanoines & des Chanoinesses Réguliéres a été trouvé fort curieux. Il a fait encore imprimer plusieurs Dissertations, comme de la Mître des Anciens, d’une teste d’Isis trouvée à Paris, & d’autres petites piéces. La Bibliothéque de sainte Geneviéve n’est devenuë célébre que par ses soins. Il s’est plû dés sa plus tendre jeunesse, à découvrir tout ce qu’il y avoit amassées, est une preuve que rien n’échappoit à ses recherches. L’honneur qu’on luy fit de le choisir pour veiller à l’ouvrage du P. Coronelli, touchant le Globe céleste, n’est pas une petite marque de l’étenduë de sa science ; mais ce qui reléve extrémement son mérite, c’est que le Roy a voulu se servir de luy pour aider à ranger ses Médailles, & pour luy en chercher de nouvelles, aussi-bien que des Agathes, & d’autres Pierres de prix, dont il avoit une grande connoissance. Il eut l’honneur de fournir à Sa Majesté plus de huit cent Médailles tirées du Cabinet de Sainte Geneviéve. Les gratifications qu’Elle luy a faites, & qui sont en cette Bibliotheque, seront des marques éternelles de la libéralité de ce grand Prince, & une preuve éclatante que les services de ce sçavant Religieux ne luy étoient pas desagréables. Il mourut  à Sainte Geneviéve le deuxiéme jour de Septembre 1687, après six jours de maladie, en la 67. année de son âge.

 

PREFACE.

L’Abbaye de Sainte Genevieve de Paris, ayant été réformée en mil six cent vingt-quatre, par le zèle de M. le Cardinal de la Rochefoucault, qui en étoit Abbé, les Chanoines Réguliers de S. Vincent de la Ville de Senlis, qu’il y fit venir pour ce sujet, y ayant rétabli le Culte divin, & l’exercice d’une solide piété, jugérent qu’il étoit nécessaire, pour l’entretenir, d’y joindre l’étude des bonnes Lettres, autrefois si florissantes en cette célébre Maison.

Les Livres qui en sont l’aliment & la nourriture, leur manquoient ; ils n’avoient pas trouvé un seul Manuscrit, ni un seul Livre imprimé quand ils y vinrent ; ils s’appliquérent pendant plusieurs années, à en amasser : le Peres Froneau & Lallemant Chancéliers de l’Université de Paris, ont travaillé avec assiduité & succez à cette acquisition, & ils ont vû de leur temps, jusqu’à sept ou huit mille Volumes dans la Bibliothéque de Sainte Geneviéve.

L’an 1675. on fit bâtir un lieu fort propre pour servir de Bibliothéque, il a trente toises de longueur ; on m’en donna la direction, & je me trouvay engagé à faire de temps en temps de nouvelles acquisitions de Livres, pour remplir un si grand Vaisseau : & le succez répondit bientôt à mes desirs.

Je crûs en même temps faire une chose, qui ne contribueroit pas peu à son ornement & à son avantage, si je l’accompagnois d’un Cabinet de Piéces rares & curieuses, qui regardassent l’Etude, & qui pûssent servir aux belles Lettres. C’est ce que je me suis proposé dans le choix de ces curiositez : & j’ay tâché de n’en point chercher, & de n’en point avoir, qui ne pussent être utiles aux Sciences, aux Mathématiques, à l’Astronomie, à l’Optique, à la Géométrie, & sur tout, à l’Histoire, soit naturelle, soit antique, soit moderne ; & c’est à quoy je me suis principalement appliqué.

Le lieu de ce Cabinet est contigu à la Bibliothéque ; on y voit en face une espéce d’Alcove d’Architecture entre les deux fenêtres qui l’éclairent ; il s’y voit plusieurs sortes d’habits et d’armes de Païs étrangers, des Perses, des Indiens, & des Américains. Au dessus sont trois Gradins garnis de Vases, d’Urnes, de Figures antiques, d’Instrumens de Sacrifices, de Lampes, & de plusieurs autres sortes d’Antiquitez.

Cette Alcove est accompagnée de deux Buffets garnis de tablettes sur lesquelles sont des Pétrifications, des Oyseaux des Indes, & des Animaux, des Ornemens & chaussures de plusieurs Païs. Ces Buffets portent aussi deux Gradins, sur lesquels sont des figures & des vases de la Chine avec des branches de corail rouge, blanc, & noir ; & diverses sortes de croissances de Mer.

Les trois autres côtez sont ornez de douze Cabinets de bois de noyer posez sur des colomnes, il y en a quatre grands accompagnez chacun de deux petits. Dans le prémier des grands, sont les Médailles de grand bronze, dont la suite est entiére, &qui ont même les Têtes les plus rares des Empereurs & des Princesses leurs femmes, avec un Livre, où elles sont toutes dessinées & expliqués au nombre de plus de quatre cens. La suite de moyen bronze qui est aussi dans ce Cabinet, est beaucoup plus ample, ayant jusques à quatorze cens Médailles, dont il y en a bien trois cens Gréques ; elle descend bien avant dans le bas Empire.

Le second grand Cabinet, a aussi deux suites de Médailles antiques, l’une de petit bronze, & l’autre d’argent ; celle de petit bronze, qui est si singuliére, qu’il n’y en a  peut-être pas une semblable dans l’Europe, contient environ douze cens Médailles, tant du haut que du bas Empire, entre lesquelles il y en a bien aussi trois cens Gréques. La suite d’argent qui a en tête les Deïtez, comprend plus de sept cens Médailles.

Le troisiéme Cabinet, a les mesures, les poids, & les monnoyes antiques des romains ; il contient aussi les monnoyes Gréques, & celles d’agent des Hebreux ; il s’y voit des tablettes de talismans, tant en pierre qu’en métaux, anciens & modernes, de toutes sortes de Langues.

Enfin le quatriéme grand Cabinet renferme les Instrumens des  Sacrifices, des Deïtez, des Armes des romains, & d’autres ustenciles & antiquitez Romaines, Greques, Egyptiennes, & beaucoup d’autres choses antiques.

Dans les huit petits Cabinets, il y a au premier les Médailles de cuivre des Papes depuis mArtin V. jsuques à Innocent XI. Au nombre d’environ 400. & une centaine de plusieurs Cardinaux. Le second contient cent quarrez d’acier gravez en creux des Médailles antiques & modernes, entre lesquelles sont celles des Empereurs depuis Jules Cesar jusques à Eliogabale, de la main du Padoüan, ainsi surnommé, à cause qu’il étoit de Padoüe ; c’est de ces Médailles qu’ont été tirées celles qu’on appelle les Padoüans en tous les métaux.

Le troisiéme  petit cabinet renferme les Médailles des Rois de France, depuis Charles VII. Jusques à Louïs XIV. celles des Reines, des Princes, des Chancéliers, & des Illustres de tous les Etats de ce Royaume.

Le quatriéme contient celles des Empereurs, des Rois d’Espagne, d’Angleterre, de Dannemarc, de Suéde, & autres du Nord, des Princes d’Italie, de Savoye, des Electeurs & Princes d’Allemagne, & de plusieurs autres Princes de l’Europe.

Le cinquiéme est celuy des Monnoyes, on y voit celles de France, de nos Rois, depuis le commencement de la Monarchie jusques à ce jour, & de toutes nos Villes, Bourgs, Chapitres, & Abbayes qui en ont fait frapper, celles du Royaume de la Chine, du Japon, Calicut, Siam, Mogol, Turquie, & autres du Levant ; enfin celles de tous les Rois & Princes de l’Europe.

Le sixiéme est pour les Jettons des Rois de  France ; on y en voit une suite de plus de six cens depuis François I. jusques à Loüis XIV. à présent régnant ; leurs devises y marquent leurs plus belles actions ; il y en a  encore des Reines, des Princes, des Familles, des Magistrats, des Compagnies, & plusieurs autres qui ont rapport à l’Histoire de ce siécle, jusques au nombre de mille.

Le septiéme renferme les Instrumens  de Mathématique, les Horloges ; les Lunettes d’approche, les pierres d’aimant, &  autres choses semblables.

Le huitiéme est pour les pierres gravées, cornalines, lapis, agathes, onyx, jades, camayeux, & pour les mineraux &les coquilles. On voit dessous & dessus ces Cabinets des animaux & des poissons rares, avec des piéces qui regardent l’Optique. Les murailles du Cabinet, outre cela, sont ornées de Portraits & de Tableaux curieux ; la Corniche qui regne tout à l’entour, porte les Portraits au pastel de vingt-deux Rois de France depuis S. Loüis, tirez au naturel des originaux les plus fidéles de leur temps.

Au reste j’avouë de bonne foy, que nous sommes plus redevables des raretez qui sont en ce Cabinet, & qui u ont été ramassées pendant dix années, au bonheur & aux bienfaits de mes amis, qu’à mon industrie, & à la dépense que j’y aye faite. J’atribuë, en effet, à un bonheur singulier, que les raretez du fameux Cabinet de M. de Peiresc Conseiller au Parlement d’Aix, ayent été transportées en celui-cy. Cet excellent homme les avoit ramassées avec de grands soins & de grands frais en Italie & en Orient : M. Gassendi & plusieurs autres Auteurs en parlent avec estime. M. de Harlay Procureur Général du Parlement de Paris, m’a gratifié de tant de Livres curieux, de Médailles, d’Antiquitez, & d’autres piéces rares, & d’une maniére si généreuse & si obligeante que je ne puis jamais assez, ni le publier, ni le reconnoître.

J’ay donc fait dessiner ici ce qui est de plus rare & de plus singulier dans ce Cabinet ; j’en ferai l’explication, afin d’en conserver la memoire, & en rendre plus facile la connoissance. Comme on ne peut entrer dans ce Cabinet sans passer par la Bibliothéque, j’ay commencé par trois planches, qui la représentent. La premiére l’a fait voir en perspective ; la seconde représente un des bouts de ce grand Vaisseau ; dans la troisiéme sont gravées deux des tablettes qui renferment les Livre, & qui font partie des onze de pareille grandeur, qui sont de chaque côté. Je ne dirai rien ici des Livres singuliers que nous y avons, parce que je pouray quelque jour en donner au Public un Catalogue exact.

 

Extrait du Privilege du Roy.

Par grace & Privilége du Roy, donné à Versailles le onziéme jour de Juin mil six cens quatre-vingts onze. Signé, Par le Roy en son Conseil, BOUCHER : Et scellé du grand sceau de cire jaune. Il [est] permis à nôtre bien aimé le Pere SARREBOURSE Chanoine Régulier de la Congrégation de France, de faire imprimer un Livre, intitulé le Cabinet de la Bibliothéque de Sainte Géneviéve, & ce durant le têms & espace de vingt années, à commencer du jour que ledit Livre sera achevé d’imprimer pour la premiére fois : Et défenses sont faites à toutes sortes de personnes de quelle qualité & condition qu’elles soient, d’imprimer, faire imprimer, vendre ni debiter ledit Livre en aucune maniére que ce soit, sans l’exprés consentement de l’Exposant : A peine de deux mil livres d’amende, confiscation des Exemplaires, &  autres peines portées par ledit Privilége.

Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris, le vingtiéme Octobre 1691.

Signé, P. AUBOUIN, Syndic.

Et ledit P. SARREBOURSE a cedé & transporté son droit du present Privilége au Sieur ANTOINE DEZALLIER Marchand Libraire à Paris, pour en joüir suivant l’accord fait entr’eux.

Achevé d’imprimer pour la premiére fois, le 12. Février. 1692.

[bandeau]

[1]

ANTIQUITEZ
DE LA RELIGION
DES CHRETIENS

I.

Une Image Grecque.

C’est une image Grecque de la Sainte Vierge, d’un marbre brun, qui est fort ancienne, comme il paroît en ce qu’Elle porte son Enfant, non sur les bras, mais devant Elle, à la manière des figures de Nôtre-Dame de Chartres, de Nôtre-Dame de Paris, & de beaucoup d’autres, qui sont d’une antiquité incontestable : comme aussi en ce qu’Elle a les bras élevez pour prier, & non les mains jointes, ce qui est plus moderne. Les lettres Grecques, qu’on y voit, signifient MATER DEI JESU CHRISTI : le Rouleau, que tient le petit Jésus en sas main, represente son Evangile.

II.

Au milieu du revers est un Saint Michel tenant une massuë élevée, prest à décharger un coup sur la teste d’une personne qu’il presente au Jugement de Dieu ; derriere cette personne est le Demon son accusateur. On lit à l’entour ces deux mots en Grec. MIXAHA APXIETPATHROE Michaël princeps militiæ. Les sept figures, qui environnent le milieu de cette Medaille, sont les sept Dormans, qui sont en grande veneration en l’Eglise Grecque.

[2]

REMARQUES

Ce seroit icy le lieu de faire graver une espece de petit Oratoire de bois, qui a deux petits volets peints des deux côtez & dorez : sur la planche du fond, en dedans, on voit trois figures Grecques ; la premiere de Nôtre Seigneur ; la seconde de la Sainte Vierge & la troisiéme de Saint Jean avec leurs noms en Grec. Sur le volet à droite, en dedans, sont les figures de S. Estienne, Sainte Tecle, & Sainte Catherine : sur le volet à gauche en dedans, les Images de Saint Jean Chrysostome, de Saint Nicolas, & de Saint Basile : leurs habits Pontificaux sont differents, au moins quant à celuy de l’Archevêque qui est au milieu de ces deux  grands Saints. Sur le volet, qui est à droite, & sur sa face exterieure on voit les portraits de Sainte Barbe, Sainte Parasceve & Sainte Marine : sur le couvercle est une croix d’or croisettée avec plusieurs lettres Grecques ; toutes ces figures sont fort bien peintes & assez antiques. M. du Cange, & le P. Henschenius ont donné ce tableau copié sur l’original que nous en avons ; le premier au troisiéme volume de son Glossarium ad Scriptores mediæ & infimæ latinitatis ; le second au I. Tome du mois de May dans ce grand ouvrage Acta Sanctorum, que Bollandus a commencé ; nous y renvoyons les Curieux.

III.

Une Lampe ancienne de cuivre.

C’est une Lampe de cuivre, sur laquelle est la figure du Labare, ou Monogramme ancien de Jesus-Christ en cette sorte XX. C’est ce signe que Constantin vit au ciel, & qu’il fit depuis imprimer sur son casque, sur ses monnoyes, & sur la porte de son Palais, comme le symbole du Christianisme, qu’il avoit embrassé. Aussi, depuis ce temps-là, quand un Chrétien mouroit, & que, selon la coütume, on mettoit une lampe allumée dans son tombeau, on y marquoit ordinairement ce chiffre, qui le distinguoit du corps d’un Payen : on peut donc assuréement croire, que celle-cy a esté tirée du sepulchre d’un Chrétien depuis l’Empereur Constantin.

IV.

Une autre Lampe de terre cuitte.

C’est une autre Lampe de terre cuitte, qui a aussi esté trouvée dans le tombeau d’un Chrétien ; le Labare, qui est dessus, le témoigne assez, mais elle n’est pas si ancienne que la premiere, puis qu’on y voyoit ce monogramme du nom de Jesus-Christ fait en croix de la sorte XX ; ce qui est arrivé depuis Julien l’Apostat : car cet Empereur, ayant renoncé au Christianisme, fit effacer de dessus les enseignes des armées Romaines le nom de Christ &  y remit, en la place, ces quatre anciennes lettres S.P.Q.R. que mettoient, avant Constantin, les Empereurs Payens. Cela se verifie par une de ses Medailles : ses successeurs ayant rétabli la Religion Chrétienne firent aussi rétablir ce sacré symbole, ils le firent neanmoins figurer, tant en leurs medailles qu’ailleurs, en forme de croix de la maniere que je [3] viens d’exprimer. Nous avons  en nôtre cabinet plus d’une vingtaine d’autres lampes antiques de bronze & de terre, entre lesquelles il y en a de si singulieres, quant à la forme, que je n’ay pû me dispenser d’en faire dessiner quelques-unes à la fin de la premiere partie de cet ouvrage : elles ont échappé à la connoissance de Fortunius Licetus qui en a composé un livre in folio intitulé. De Lucernis antiquorum reconditis ; il est imprimé à Padouë en l’année 1662.

V.

Un Cachet des premiers Chrétiens.

C’est un Cachet qui a servi à une Dame Chrétienne nommée Ælia Valria ; le Monogramme de Christ, qui est devant son nom, marque assez sa religion ; il justifie ce que dit Saint Jean Chrysostome des Chrétiens de son temps ; Qu’ils mettoient ce signe salutaire à la teste de toutes choses. Nous prenons plaisir, dit-il, à peindre & graver la Croix en nos maisons, sur nos murailles, à nos portes ; nous la faisons sur nôtre front, et sur nôtre cœur Serm. de l’Adoration de la Croix. Il ajoûte sur l’Epître de Saint Paul aux Colossiens, une chose qui est fort remarquable ; que les Chrétiens n’écrivoient jamais sans mettre au commencement de leurs lettres le Monogramme ; la raison qu’il en donne est, qu’il y n’y a que bonheur par tout où le nom de Dieu se trouve.

VI.

Un autre Cachet, nommé Tessera.

C’est un autre symbole des premiers Chrétiens, qui porte cette belle devise IN DEO VIVAS. C’étoit avec ce sceau, & autres semblables, qu’ils marquoient ces Lettres canoniques, qu’ils appeloient Litteras formatas, par le moyen desquelles la communion & l communication des Fidelles s’entretenoient, & à la vûë desquelles ils étoient reçus charitablement, & recevoient par tout el droit d’hospitalité. Cette piece, sans contredit, doit estre mise au nombre de ces Tesseræ hospitalitatis, dont Jacques Tomassin sçavant Antiquaire a fait un livre in quarto si rempli d’érudition, imprimé à Udine en Italie l’an 1647. J. Baptiste Pacichellius au Chapitre IV. de son premier livre de jure hospitalitatis universo imprimé à Cologne en 1675. en traitte aussi fort au long. Il est in octavo.

REMARQUES

Il n’y a rien de plus connu dans la primitive Eglise que ces Tesseræ hospitalitatis. Tertullien s’en sert au 20. Chapitre de son livre de Præscriptione adversùs hæreticos. Communicatio, dit-il, pacis, & appellatio fraternitatis, & contesseratio hospitalitatis, quæ jura  non alia ratio regit, quàm ejusdem sacramenti una traditio. Sur quoy Baronius, en l’année soixante & quinze de Jesus-Christ, dit, qu’il faut entendre par ce passage, qu’on donnoit une certaine marque aux Chrétiens qui les faisoit reconnoître, aussitôt qu’ils la montroient, pour de veritables enfans de l’Eglise Catholique & dignes du droit d’hospitalité. Mais il ne faut pas oublier qu’on changera ces marques, dautant que les Payens les contrefaisoient,& que l’on se servit de ces lettres que [4] les Peres du Concile de Nicée nomment Litteras formatas. Lucien ajoûte que dés qu’on refusoit le Tessera, c’étoit une marque qu’on ne reconnoissoit pas celuy, qui le presentoit, pour enfant de l’Eglise. On disoit de celuy qui violoit le droit d’hospitalité, Tesseram confregit. Les Payens se servoient aussi du mot de Tesseram confringere, pour dire rompre l’amitié ; Plaute le témoigne.

 

Hic apud nos jam, Alcesimarche, confregisti Tesseram.

Saint Epiphane en parle hæres.26. chap. 4. nous en avons plusieurs en nôtre cabinet. Il y en a une sur laquelle on lit ces paroles, SPES IN DEO.

VII.

Des Plombeaux.

Les Anciens usoient de cet instrument pour châtier les esclaves. On les nommoit Plombeaux, dautant que les extremitez, ou boules, en étoient de plomb : ils servoient aussi, au temps de la persecution, à tourmenter & à foüetter les Chrétiens. Il en est souvent parlé dans les Actes des Martyrs, Plumbatis cæsus est, ce qui a donné lieu de croire que c’étoit un supplice fort ordinaire.

REMARQUES

Ces Plombeaux, dans leur institution, n’étoient que pour supplicier les personnes de basse condition, comme on le voit au Code theodosien, qui en exemtoit les personnes de qualité, & ceux qui étoient d’une complexion foible & délicate ; dautant que par une autre ordonnance il étoit deffendu d’en frapper les coupables jusques à la mort. Plumbatarum verò ictus, quos in ungenuis corporibus non probamus, non ab omni ordine submovemus, sed decem primos tantùm Ordinis Curialis ab immunitate hujusmodi verberum segregamur. Et l. 80 de Decur. Cod. Theod. Omnis Ordo Curialis à tormentis his quæ reis debita sunt, & ab ictibus, Plumbatarum habeantur immunes : & plus bas l. 85. Omnes Judices, provinciarumque Rectores à consuetudine temerariæ usurpationis abstineant, sciantque neminem omninò Principalium ac Decurionum sub quâlibet culpæ aut erroris offensâ, plumbatarum cruciatibus esse subdendum, etc. Prudence toutefois ans l’Hymne qu’il a composé en l’honneur du Martyr S. Romain, montre qu’on ne gardoit aucune regle à l’égard des Chrétiens, & qu’on ne faisoit aucune attention à leur qualité & à la tendresse de leur âge. Ammien Marcelin & Saint Ambroise rapportent les noms d’un grand nombre de Martyrs qui étoient morts dans ce genre de supplice ; il étoit encore en vigueur du temps de l’Empereur Honorius, qui en fit premierement châtier l’impie heresiarque Jovinien avant de l’envoyer en exil avec tous ses sectateurs. C’étoit la coûtume d’en châtier ceux qui ne pouvoient pas payer leurs dettes.

La maniere de supplicier avec les plombeaux étoit differente. On dépoüilloit toûjours les personnes qu’on en vouloit châtier, on les lioit ensuite à des pieux de bois, ou à des colonnes pour les battre ; quelquefois on les étendoit sur la terre ; assez souvent on les suspendoit tout de bout, ou bien on les couchoit de leur long sur des pierres aiguës : enfin la plus rude de toutes ces manieres étoit d’étendre un corps en l’air, luy attacher les pieds & les mains à des morceaux de bois, &, après les avoir frappez par tout le corps de ces plombeaux, y allumer du feu par [5] dessous. Antoine Gallonius a fait un livre intitulé De sanctorum Martyrum cruciatibus, dans lequel il traite des Plombeaux ; ce qui m’empêche d’en dire davantage ; ce livre se trouve in quarto en Italien de l’impression de Rome 1597. in octavo en  Latin à Cologne 1612. & à Paris in quarto 1659. ils sont tous trois enrichis de figures par Antoine Tempeste.

VIII.

L’Anneau du Pescheur.

C’est l’Anneau d’un Pape qui vivoit il y a deux ou trois cens ans : les clefs, qu’on y voit d’un côté posées en sautoir, en sont une preuve : on voit à l’autre côté une Croix patée au pied fiché cantonnée de quatre larmes. Je n’ay pû encore trouver de quel Pape il est ; il pourroit bien être de quelque anti-Pape.

IX.

Autre Anneau d’un Pape.

Celuy-cy a pareillement des clefs en sautoir d’un côté, & de l’autre trois couronnes, qui font connoître qu’il est depuis Boniface VIII. Ce Pape ayant été le premier qui orna la Thiare de trois couronnes qu’elle prote encore à present. Ils sont tous deux de cuivre doté & fort larges, ce qui donne lieu de croire qu’ils les portoient au poulce. Il y en avoit aussi dans nôtre Cabinet un troisiéme, que je croyois être celuy du Pape Innocent VIII. de la famille de Cybo, dautant qu’on y voyoit son nom & ses armes ; mais l’Illustrissime Cardinal Alderand Cybo, à qui je l’envoyay il y a quelques années, croit qu’il est du Cardinal Laurent Cybo Archevêque de Benevent & neveu de ce Pape. La lettre de remerciment qu’il m’en écrivit est si obligeante, que j’ay crû la devoir icy inserer dans les mêmes termes que je l’ay dans l’original ; elle nous apprend que les Cardinaux se servoient d’Anneaux, & que les souverains Pontifes leur en donnoient à leur création.

ADMODUM REVERENDE PATER.

Novo me vinculo obstrinxit humanitas tua altèro annulo mihi dono misso Laurentii Cardinalis Cybo Gentilis mei, & sanè mira res est ad manus tuas fortunam detulisse tam rara & recondita meæ familiæ monumenta ; æquum jam esset, ut ea ad me deferret occasionem aliquam declarandi tibi devinctique animi mei sensus ob munus egregium pari cùm aloris in me tui testificatione conjunctum.

Opusculum tuum de numismatibus Pontificiis impatienter expecto, fateorque in eo me mihi aliquomodo blandiri, quasi in aliquam gloriæ tuæ partem venire debeam, quòd author tibi fuerim illud concinnandi, & publici juris faciendi. Præclaro beneficio litterarum tuarum antiquitatem auxeris, & eruditorum plausus in urbe præsentium excitabis. Gratias interim habeo tibi maximas, libentissimè, ubi facultas aderit, relaturus, ac læta tibi faustaque omnia à Dei auguror. Romæ 24. Augusti 1678.

Ad officia paratissimus

A. CARD. CYBO.

[6]

REMARQUES

Il nous faudra dans la suite parler de quelques Anneaux ; nous nous contenterons icy de dire quelque chose de ceux qu’on nomme Anneaux du Pescheur. On trouve fort peu d’anciens Auteurs Ecclesiastiques qui fassent mention de ce sceau ; il est neanmoins constant qu’il n’a pas été inconnu à Saint Clement Alexandrin, puis qu’en son troisiéme livre du Pegagogue, chap. onziéme, parlant des figures, que les Chrétiens pouvoient faire graver sur leurs Anneaux, il leur dit : Et si aliquis qui piscetur, meminerit Apostoli, & puerorum, qui ex aqua extrahuntur. Sur quoy Monsieur André du Saussay Official & grand Vicaire de Paris en son livre De sacro Episcoporum ornatu, imprimé à Paris en 1646. dit que cet Apôtre est Simon Pierre, à qui Jesus-Christ, étant entré dans l’une des barques qui luy appartenoient, dit. Ne soyez point surpris de la pesche des poissons que vous venez de faire ; vôtre employ desormais sera de prendre des hommes, non pour les tuer, mais pour leur donner la vie. Il croit que c’est de là que les Papes se sont servis de cet Anneau du Pescheur jusques à present, parce qu’en effet on y voyoit cette histoire de la pesche de Saint Pierre gravée. Les Souverains Pontifes s’en servent seulement pour cacheter leurs Brefs : ils font toûjours porter ce sceau avec eux en quelque lieu qu’ils aillent, & on ne s’en sert jamais qu’en leur presence. Aussi-tôt qu’ils sont morts, on leur tire cet Anneau du doigt, & on en brise le sceau. Mr du Saussay fait mention des Anneaux de plusieurs Papes anciens, dont les uns y mettoient le Monogramme du Christ, & d’autres quelques versets des Pseaumes de David ; d’autres enfin un Saint Pierre, à qui le Sauveur du monde donnoit une clef, etc.

[bandeau]

*

SOURCE : Du Molinet, Le Cabinet de la bibliotheque Sainte Genevieve. Paris, Antoine Dezallier, 1692.