des bézoards au poil !

Ferrante Imperato, le pharmacien napolitain propriétaire d’un cabinet de curiosités très réputé, termine son livre Dell’Historia naturale (1599) par la représentation d’un objet singulier dont il n’a jamais lu encore de description et qu’il appelle « Topho di giovenca ». C’est, explique-t-il, une balle ou boule générée dans le ventre de la vache, faite de poils enroulés et couverte de « sustenza tophacea », d’une matière à l’apparence de tuf. Il s’agit d’un objet en fait relativement commun, un bézoard de poils roulés que le jeune ruminant, à force de lécher son pelage, finit par former dans sa panse, et que l’on appelle plus communément un aegagropile. Objet commun, naturellement, dans un contexte socio-économique où l’on peut se permettre non seulement d’abattre des vaches à tire-larigot, mais encore des veaux – à partir d’un certain âge la bête parvient à éliminer le bézoard en le digérant.

On trouve dans l’Histoire de la Laponie de Scheffer la description d’un objet qu’on peut supposer être un de ces trichobézoards (c’est le nom scientifique du bézoard à poils), et auquel les Lapons donnent le nom de « tyre » : « Cette Tyre n’est autre chose qu’une boule ronde, de la grosseur d’une noix, ou d’une petite pomme, faite du plus tendre duvet d’un musc, ou de quelqu’autre animal, collé et lié ensemble, polie et égale par tout, et si legere, qu’elle semble étre creuse ; elle est d’une couleur mélée de jaune, de verd, et de gris, qui tire toute-fois un peu plus sur le jaune. Celle dont M. Otthon Silvestroem m’a gratifié, et que je conserve dans mon Cabinet, est ainsi. » La gravure qui justifie ces lignes est tout à fait conforme à l’aspect d’un aegagropile.

C’est un objet, précise Scheffer, que les Lapons utilisent pour la magie : « On assure que les Lapons vendent cette Tyre ; qu’elle est animée par un artifice particulier, et qu’elle a du mouvement, en telle sorte que celui qui l’a acheptée la peut envoier sur qui il lui plaît. Ils ont aussi coûtume de s’imaginer, et ils tâchent de le persuader aux autres, qu’ils ont le pouvoir d’envoier avec cette Tyre, tout ce qu’ils voudront, comme des serpens, des crapaux, des souris, et d’autres semblables animaux, avec lesquels ils tourmentent cruellement celui à qui le mal est envoié. »

L’auteur de ces quelques lignes avait acquis jadis auprès d’un abattoir un de ces aegagropiles, étonnante boule poilue d’une taille un peu supérieure à une balle de tennis – et plus légère encore –, dont les poils gris et hirsutes à la périphérie  n’avaient pas eu le temps d’être recouverts de cette matière (phosphate de calcium ?) que l’estomac, incapable de digérer l’excroissance encombrante, finit par déposer autour. Je ne vous le montrerai pas. Il faudra faire un jour une liste des amis de la curiosité, et y réserver une place à la naphtaline.