Beaucaire, curiosités
Témoignage du voyageur bâlois Thomas Platter, de passage dans le sud de la France (1597).
Au moment où Thomas Platter la visite, en 1597, Beaucaire est une ville animée où l’on peut se procurer nombre de curiosités, tout comme Tarascon. Ce témoignage du Bâlois, recueilli chemin faisant, fait état de quelques tarifs et de « choses vues » qui révèlent que la culture de la curiosité était bien présente dans la région à cette époque.
A Beaucaire, dans la ville et hors la ville, le nombre des boutiques et marchands de toute espèce est vraiment incroyable, indescriptible. Dans les faubourgs, sur tous les chemins, on dresse des baraques où les marchandises sont offertes à la vente. Les rues ainsi tracées sont longues et nombreuses. A l’intérieur même de la ville, on transforme momentanément presque toutes les maisons en magasins, mais on construit aussi un grand nombre de baraquements provisoires destinés au même usage. Dans tout ça, on trouve une immense diversité d’articles et fournitures superbes, exotiques : notamment des pierres précieuses, des perles, des coraux, et autres substances.
Il y vient aussi, toutes les années, un grand nombre d’habiles musiciens, d’artistes et de montreurs d’étonnantes curiosités.
Lors de ma visite en ces lieux, j’ai vu un Bourguignon qui gardait constamment sur le nez une paire de lunettes. Il espérait ainsi, disait-il, préserver sa vue ; mais je pense qu’il voulait plutôt, par là, se faire remarquer et obtenir que les gens s’informent pour savoir qui il était. Il présentait aux spectateurs un certain nombre de puces vivantes ; il les nourrissait sur le bras de sa jeune fille. Elles étaient artistement harnachées. Sur l’une d’entre elles était assis un petit cavalier d’argent revêtu de sa cuirasse complète, avec une lance en miniature sur l’épaule. L’homme a mis la puce dans un verre destiné à contenir de l’électuaire et il a retourné le verre par-dessus la puce. Ensuite il a approché une flamme du verre, lequel s’est échauffé. La puce s’est mise à sauter contre la paroi du vase et l’on entendait de ce fait tinter son vêtement métallique avec un bruit de clochette. Et, même, ce bateleur faisait aussi la démonstration de quelques puces dont chacune trainait derrière elle une petite chaînette d’argent d’un doigt de long. Les puces sautaient en l’air et les chainettes suivaient le mouvement ; elles pesaient un grain chacune. Ce spectacle, je l’ai vu de mes yeux lors de cette journée du 15 juillet en présence des deux nobles frères Lasser von Lasseregg, originaires du Salzbourg ; en présence aussi de bien d’autres personnes. Bien sûr, tout cela n’était pas aussi artistement sophistiqué que dans le cas, qui me fut raconté, d’une certaine puce qui remorquait une petite voiturette en ragent complète avec ses quatre roues, et qui nantie de chargement pouvait même faire des sauts ! Mais, à vrai dire, je n’ai jamais été témoin d’une pareille performance.
Dans une autre boutique, nous eûmes aussi l’occasion de contempler une civette. C’est un animal très proche du chat, quoiqu’un peu plus gros ; elle est grise, rayée de noir. Elle a la particularité, sous la queue, d’avoir trois trous l’un sur l’autre. Par l’orifice supérieur, qui est le plus proche de la queue, la civette fait ses besoins naturels, comme les autres chats. Le trou du milieu, qui est le plus gros, sécrète la « civette » que l’on prélève chaque jour avec une petite cuiller, comme je l’ai vu faire. Ça ressemble assez à du cérumen, cette espèce de graisse qu’on trouve dans l’oreille de l’homme. Sauf que cette « civette » est un peut plus brune ; autre différence, elle dégage une forte odeur. L’animal en produit chaque jour l’équivalent d’une grosse noix quant au volume sécrété. Un acheteur s’est présenté qui voulait acquérir la bestiole elle-même, moyennant quinze cent livres tournois versées à son propriétaire. Mais celui-ci refusa ces propositions pécuniaires, et il s’en est mordu les doigts par la suite. Au retour de Beaucaire, sur la route d’Avignon, il transportait la civette avec ses autres affaires ; mais, du fait des grandes chaleurs de l’été, le cou de l’animal se mit à enfler. Le mal de gorge à étouffé la civette : elle en est morte.
Tarascon [p. 297]
Après avoir bien visité Tarascon, nous avons tranquillement repassé le Rhône sur un bateau en direction de Beaucaire ; car de pont, il n’y en a point à cet endroit du fleuve. Après le casse-croûte, en pleine chaleur estivale, nous avons fait une petite promenade le long du Rhône, et nous avons pu voir quantité de navires de toute espèce qui arrivaient de Marseille ou de Lyon : chez les marchands, nous avons vu aussi des animaux bizarres et toutes sortes de nations représentées. Et puis, sur le marché aux chevaux, de superbes montures : en particulier ces barbes tellement agiles qu’on fait venir de la Barbarie jusqu’à Marseille.
Source : Le siècle des Platter. II, Le voyage de Thomas Platter : 1595-1599 , par Le Roy Ladurie, Emmanuel (éd. , trad. ) et Liechtenhan, Francine-Dominique (trad.) Paris, Fayard, 2000, p. 294-297.