Considérons ce « Le saviez-vous » comme un essai de rubrique coopérative, ouverte aux curieux de tout poil : le jeu consiste à tenter de répertorier quelques raretés et autres bizarreries concernant exclusivement le pied, le pied de l’homme, voire de la femme, et recueillies par nos collectionneurs de jadis. En somme, je propose que nous joignions nos efforts pour constituer une collection imaginaire par prélèvements dans les cabinets de curiosités dont le contenu, ou une partie du contenu, est parvenu jusqu’à nous. Inutile de préciser la localisation, la période, ou les caractéristiques éventuelles de ces cabinets : le nom du propriétaire suffit pour permettre d’aller si besoin était chercher ces renseignements en se servant de la liste des cabinets.
1. Au-dessus du meuble qui accueillera notre collection, accrochons au mur si vous le voulez bien la paire de skis du cabinet de Sheffer. Horizontalement, comme on le faisait des prétendues cornes de licorne. C’est, écrit-il, une « espece de souliers de bois avec quoi ils vont fort vîte sur les montagnes de nége et au milieu des vallées courant après les bêtes sauvages », et qui « consistent en deux pieces de bois » appelées par les peuples du septentrion « Skider » et par abréviation « Skier ». Ils n’ont pas la même longueur, ajoute Sheffer, ce qui corrobore une remarque qu’avait faite avant lui Olaus Magnus, spécialiste de ces contrées du grand Nord : « un de ces bois doit être d’un pied plus long que l’autre ».
2. On joindra à cette paire de skis celle du cabinet de Worms, avec deux planches cette fois de longueur identique – tout au moins celle du frontispice, dont l’extrémité de devant est relevée et non pas, comme le remarque Scheffer, celle de la gravure à l’intérieur de son ouvrage, pour laquelle le dessinateur a fait l’erreur de relever l’arrière…
3. Laissons pendre à l’un des skis les peaux de jeunes rennes dont les Lapons ont l’astuce de « garnir ces semelles » (c’est toujours Scheffer qui parle) afin de « courir plus vîte sur les plus hautes néges » et de « ne pas retomber en bas, lors qu’ils se lancent en haut et qu’ils s’efforcent de monter, parce que les poils se rebroussant se dressent en pointes comme le poil d’un herisson, et par une vertu admirable de la nature, ils resistent et empeschent qu’ils ne retombent ». Peau de renne pour Scheffer, peau de « veau marin » pour Worm.
4. Je déposerai sur la première étagère de notre cabinet imaginaire les chaussures en peau humaine que l’on avait enfilées aux pieds d’un squelette de la salle d’Anatomie de l’Université de Médecine de Leyde : le squelette était celui d’un voleur, dont on avait conservé les boyaux pour l’habiller d’une chemise, et les souliers avaient été faits de sa propre peau, rapporte Maximilien Misson dans son Nouveau voyage d’Italie fait en l’année 1688 (La Haye, 1691, p. 14).
5. En puisant dans les « diverses Curiositez servant à la personne d’un General des Sauvages », Leonard Bernon nous prêtera bien les « Raquettes avec lesquelles il marche dessus la neige », ainsi que ses « Souliers, ou Escarpins », probablement des mocassins.
6. Nicolas Chevalier exposait à Utrecht ce pied de momie dans un petit cabinet vitré où il trônait parmi des bras, une main et « plusieurs doigts de Mumie ». Le voici tel qu’il l’a fait représenter sur la planche n° 31 de son catalogue : on voit qu’il sera du plus bel effet.
7. Qui a acheté à la vente après décès de la collection de Nicolas Chevalier, en 1721, le lot 1131 ? C’était le soulier d’un géant, « Jean d’Arkel, Evêque d’Utrecht, qui étoit d’une grandeur prodigieuse ».
8. On ne manquera pas de se procurer les bottes de Charles Quint, repérées par Joseph de la Porte dans le Cabinet d’Histoire naturelle de Leyde.
9. « J’ai acheté à Toulon des sandales de deux momies fort bigearrées avec les clouds dorés », écrit Peiresc à Borilly le 27 mai 1631. Une paire suffirait à faire notre bonheur.