Catelan fait imprimer à ses frais en 1638 un Rare et curieux discours de la Plante appellée Mandragore ; de ses especes, vertus et usage. Et particulierement de celle qui produict une Racine, representant de figure, le corps d’un homme ; qu’aucuns croyent celle que Josephe appelle Baaras ; et d’autres, les Teraphins de Laban, en l’Escriture Sainte. Le terme de mandragore s’applique à plusieurs plantes, qu’il s’agit de distinguer : c’est le pharmacien qui parle, soucieux d’établir avec netteté la place dans la pharmacopée de chaque végétal identifié , et sa fonction dans les problèmes médicaux liés à la génération. Son devoir est alors d’alerter sur la fabrication de faux : comme Matthiole l’a déjà décrit, et avant lui Porta, les charlatans façonnent des racines de Brionia pour leur donner une forme vaguement anthropomorphe et, après y avoir enfoncé des graines de lin ou de millet aux endroits adéquats, les laissent en terre vingt à trente jours afin d’obtenir des sortes de poupées végétales dûment pourvues de leur système pileux.
Mais le curieux a aussi son mot à dire, attendu que la mandragore est réputée conférer à son possesseur un pouvoir qui excède les problèmes de la génération humaine. Et la fausse mandragore, en l’occurrence, est tout aussi efficace que la vraie, pour la bonne raison que ce pouvoir ne dépend pas de la racine elle-même, non plus que de la force de l’imagination de son propriétaire, mais provient du diable.
Diable !
Dans quelle mesure alors est-il licite au collectionneur de détenir une racine de mandragore parmi les autres objets singuliers de son cabinet ? « Mais sera-t’il defendu, dira quelqu’un, de rechercher cette racine de Mandragore, naturelle ou contrefaite pour les tenir dans un cabinet avec d’autres singularitez rares, et non communes, de peur et d’apprehension que les Demons en viennent à se fourrer, à s’insinuer dans icelles ». Posséder ou être possédé, c’est là la question ! Catelan répond immédiatement « avec toutes sortes d’assurances et de certitude que nenny ». Il suffit d’être sage et de craindre Dieu : car le démon n’a pas le pouvoir d’intervenir s’il n’est pas sollicité. « Si bien qu’il est loisible et permis d’en rechercher, et d’en tenir, tant pour admirer sagement les merveilleuses productions de la Nature, que pour se servir des rares qualitez, vertus et proprietez legitimes que Dieu leur a attribuées ».
Vous pouvez donc garder votre racine de mandragore dans votre vitrine sans craindre le bûcher.
Soulagé ?
Le plus étonnant dans ce passage du traité de la mandragore, c’est qu’on a le sentiment que, qu’elle soit vraie ou fausse, « naturelle ou contrefaite », la racine a pour le curieux la même valeur. Ce qui en fait un objet prisé, en dehors de ses éventuelles propriétés pharmaceutiques, c’est donc moins son origine prétendue, liée au sperme des suppliciés, que cette capacité à faire surgir le diable.