Comptes d'apothicaire
Le canoë tel qu'il apparaît dans une des planches gravées de 1609.

Le canoë de Paul Contant tel qu’il apparaît dans une des planches gravées de 1609.

Paul Contant possède un canoë bien documenté, et documenté en premier lieu par une gravure qui fait partie du corpus des neuf nouvelles planches que l’édition du Jardin, et Cabinet poëtique ajoute en 1609 à la belle gravure à la composition végétale déjà présente dans le Bouquet printanier de 1600. Cette barque appelée « Canoe », précise le catalogue du cabinet publié dans les Œuvres de 1628, « cimba Canoe dicta », a une longueur de 18 pieds et est fabriqué d’un seul tenant dans l’écorce d’un arbre dont le nom indien est « ceiuas ». On reconnaît le nom qu’Oviedo avait déjà recueilli en Amérique du Sud pour désigner le fromager ou kapokier, mais si la « ceiba » sert bien à fabriquer des canots, c’est en évidant son tronc pour obtenir une sorte de pirogue étonnamment légère, et non pas avec son écorce. Contant pourtant s’est rendu compte de sa méprise, puisque dans les Commentaires à la matière médicale de Dioscoride qui inaugurent les Œuvres, le canoë vient conclure le chapitre LV, dédié non pas à un arbre exotique, mais au bouleau : « les Indiens aussi en certains endroits de l’escorce entiere en font des batteaux qu’ils nomment Canoé, tout d’une piece : dont j’en ay un en mon Cabinet qui à dix-huict pieds de long ». Ce ne sont pas non plus les mêmes Indiens, et le canoë en écorce de bouleau est résolument un artefact d’Amérique du Nord. Un visiteur du cabinet de Contant, Abraham Gölnitz, de retour à Dantzig, mentionne cette embarcation, « cymba canooy dicta » : même vocabulaire que celui que l’on peut lire dans le catalogue, avec sans doute un essai de transcription de ce qu’il a entendu lors de la visite guidée : cano-ouè, voire, avec une suffixation bien poitevine, cano-oueille. Il a bien noté la prouesse technique qui consiste à dépecer un arbre de son écorce tout en ayant soin d’obtenir cette écorce en une seule pièce, et rectifie la dimension de l’objet en fonction de la valeur qu’il accorde à cette unité de mesure qui fluctue selon les régions : non pas 18, mais 13 pieds. Soyons modernes, et prenons pour étalon le pied romain, soit presque 30 centimètres : on passe de 5m40 à 3m90… On peut alors se demander si le passage du 8 au 3 n’est pas dû à une erreur de lecture : on imagine assez bien le visiteur prenant des notes à la volée, debout, au rythme de la visite, et un 8 mal bouclé réinterprété en 3… d’où les 13 pieds, et un canoë raccourci d’un mètre cinquante. Un autre visiteur étranger de passage à Poitiers en juillet 1606, le Tyrolien Hans Georg Ernstinger, fils de notable – une grosse pointure – , préfère la mesure de son pied à lui, une valeur sûre : seize fois et demie la longueur de sa chaussure, précise-t-il dans son récit de voyage, resté manuscrit. L’embarcation au bout pointu, ajoute-t-il, est faite de bois et de peau de poisson marin (« merfischheuten »). La catégorie du poisson marin étant aussi fluctuante que celle du pied, on peut supposer qu’il veut parler de peau de phoque. – De la peau de phoque, comme un kayak ? La gravure apparemment très scrupuleuse du Jardin, et Cabinet poëtique ne permet guère d’accréditer ce renseignement : on voit distinctement l’écorce cousue, renforcée à l’intérieur par un minutieux assemblage de pièces de bois, mais de peau point, pas plus de phoque que de galuchat, de galuchat que de merluchon.