« Je vis à Lyon […] l’an 1590 […] une coquille de limace de mer qu’on me monstra, de la grandeur des nostres, estimée 400 escus. La matiere d’icelle estoit nacre. La forme surpassoit de beaucoup la matiere. Elle estoit evasée d’une bonne grace, ayant ses contours et replis tres-bien mesurés, et arrondis jusques à la poincte. Et ce qui faisoit le plus d’admiration, estoit le dehors tout couvert de l’enceinte d’un courdon perpetuel, alternativement enfilé de trois perles, et trois grains de corail rouge de pareille grosseur, en maniere de chapellet, lesquels s’amoindrissoient à mesure, que chasque rond devenoit petit, et se perdoient au bout de la coquille, d’une façon autant admirable que gratieuse à voir. Les marchans amoureux des richesses ont de coustume de contempler le profit en choses semblables : mais le Chrestien bien apris à trafiquer pour le ciel, y contemple le createur et gaigne beaucoup plus que ne faict le marchant. » (Louis Richeome, Trois discours pour la Religion Catholique (1597), « Des miracles », p. 71-72).
Dans son discours « des miracles », Louis Richeome évoque l’arc-en-ciel et enchaîne avec la description d’un merveilleux objet de curiosité, un coquillage. Merveilleux, pour le jésuite, parce que la beauté irisée de la coquille est rehaussée par un semis de points rouges qui épousent l’enroulement spiralé et décroissent progressivement jusqu’à devenir imperceptibles, faisant de l’objet de curiosité un instrument de méditation sur Dieu et l’infini.
La somme demandée par le commerçant pour le coquillage est une somme énorme, puisque la chute de l’anecdote consiste à en faire paradoxalement une somme insignifiante au regard du fruit de la méditation du bon chrétien.
Il n’est jamais facile de se rendre compte de la valeur réelle des choses : que représentent 400 écus pour un jésuite ? et pour un paysan ? et pour un aristocrate fortuné ?
Si l’on se fie à la réforme monétaire en vigueur, celle de l’édit de Poitiers de 1578, qui élimine le compte en livres tournois au profit du compte en écus et fixe la valeur de l’écu à 60 sols, le coquillage en question a une valeur marchande officielle de 24000 sols. A titre de comparaison, si l’on fixe à 12 sols le salaire journalier moyen de l’ouvrier en bâtiment (une moyenne entre le salaire pour une journée courte d’hiver et une journée longue d’été), et si l’on ramène l’année, déduction faite des dimanches et des autres jours chômés à 250 jours, le marchand lyonnais demande pour son coquillage l’équivalent de 8 ans de salaire d’un ouvrier en bâtiment, lequel est mieux payé qu’un ouvrier agricole. Et sachant que l’intervention de l’Etat n’empêche guère le cours de l’écu de continuer à s’envoler dans les négociations entre particuliers… Bref, une limace de luxe.