Cabinet de Richer de Belleval, Pierre

Témoignage du voyageur bâlois Thomas Platter. Cabinet et jardin visités au cours d'un séjour à Montpellier en 1596.

Pierre Richer de Belleval, savant naturaliste, est à l’origine du jardin botanique de Montpellier. Il possède lui-même un certain nombre de curiosités naturelles qui retiennent l’attention de T. Platter dès 1596. Dans le texte, cette description suit celle du cabinet de Laurent Joubert.

[9 août 1596, p. 224]

Chez le docteur Richer à Montpellier, j’ai vu l’estomac d’une de ces tortues de mer : il était hérissé de dents ; on aurait dit, en toute ressemblance, un hérisson dont on aurait retourné la peau comme un gant. Les dents étaient fort pointues.

Dans la demeure de ce même docteur Richer, j’ai admiré le squelette d’une autruche qui était morte chez le connétable. On avait rassemblé et érigé les pièces dudit squelette ; et les grandes jambes de cette autruche étaient montées artistement.

Autres précisions au sujet de Montpellier et du docteur Richer [p. 111].

Pendant mon séjour montpelliérain fut encore nommé un nouveau professeur : c’était le docteur Richer ; il devait enseigner l’anatomie et l’herboristerie ; en été, il emmenait les étudiants maintes fois en promenade afin d’herboriser, herbatum. En outre, il a créé à grands frais, au nom du roi, un jardin supérieurement important près de la ville de Montpellier ; il y plante chaque jour beaucoup de végétaux étrangers, venus de tous les pays ; il vise ainsi à perfectionner d’autant mieux les connaissances estudiantines en fait de botanique internationale. En hiver, il procède à des séances de dissection, à des leçons d’anatomie. Quand on ne peut pas lui donner les corps suppliciés des malfaiteurs, on lui fournit les cadavres de personnes qui sont mortes à l’hôpital. Il y a pour ça un theatrum anatomicum dans le collegium des médecins : c’est un local construit en gradins de pierre afin que tous les spectateurs puissent bien voir les dissections. Elles se passent de la façon suivante : le docteur qui préside, fait un discours et parle de ce qu’on va montrer. Puis le chirurgien nommé par le roi (c’était alors Maître Cabrol) montre un organe après l’autre. Il les a découpés au préalable avant l’arrivée des spectateurs. Il lance aussi quelquefois des plaisanteries polissonnes quand des dames, comme je l’ai vu faire, assistent à la dissection d’une femme. Les masques sur les visages des spectatrices sont alors bien nécessaires.

(…)

[p. 333]

Du 15 au 20 juin inclus, sans interruption, je me suis incrusté à Montpellier ; j’ai réglé toute sorte d’affaires pendantes, et par ailleurs j’ai inspecté de nombreuses curiosités dans la ville, dont j’ai rendu compte dans un précédent paragraphe. Par-dessus le marché, je suis allé me promener dans le jardin du roi, que Monsieur le docteur Richer de Belleval a fait installer au nom du monarque pour l’instruction des étudiants en médecine.

On a établi ce jardin entre les portes du Pyla-Saint-Gély et du Peyrou, à environ une portée d’arquebuse des remparts (j’ai déjà signalé la chose supra). Richer a fait creuser sur place un puits profond ou une espèce de citerne, et l’on a également bâti selon ses indications de nombreuses grottes voutées où l’on peut séjourner d’une façon très plaisante pendant l’été. Il y a fait apporter de la terre humide et moussue pour qu’on soit en mesure de cultiver des plantes aquatiques sous ces voutes selon leurs exigences spécifiques respectives. En dehors de ça, il a divisé le jardin en compartiments pour chaque espèce de plante, et cela de la meilleure manière. Il a fait ériger une montagne à l’intérieur de ce parc botanique, et il l’a découpée en multiples terrasses. Dans cet espace global, chaque emplacement a son entrée particulière ainsi que ses portes ou portiques sur lesquels figurent en lettres d’or, diverses inscriptions dont je vais donner maintenant le texte. Et d’abord, sur la porte principale sont apposés les mots Hortus regius (jardin royal), en même temps que les armoiries du roi et celles du connétable de Montmorency. Vient ensuite la deuxième porte : Plantae quae in dumis, spinetis et dunetis asolescunt (plantes qui poussent dans les buissons, les fourrés, les épines). Et puis la troisième porte : Plantae quae in locis apricis, saxosis, arenosis crescunt (plantes qui se développent dans les endroits ensoleillés, pierreux et sableux). Quatrièmement : Plantae quae in locis umbrosis, sylvis proveniunt (plantes qui croissent dans les emplacements ombreux et dans les forêts). Enfin les végétaux aquatiques, comme je l’ai déjà indiqué, sont plantés près du grand puits-citerne. Si le roi ne donnait point à cette entreprise une grosse subvention et ne remboursait pas les frais, tout irait en perdition.

Source : Le siècle des Platter. II, Le voyage de Thomas Platter : 1595-1599 , par Le Roy Ladurie, Emmanuel (éd. , trad. ) et Liechtenhan, Francine-Dominique (trad.) Paris, Fayard, 2000, p. 111, 224, 333.