Cabinet de Contant, Paul (1609)

Seconde version de la collection de l'apothicaire poitevin Paul Contant.

On trouvera ci-après le texte brut de la deuxième version du cabinet de Contant intitulée Jardin, et cabinet poétique, et publiée avec des gravures en 1609.

Le lecteur qui voudra en savoir plus pourra consulter l’édition critique et annotée réalisée par Myriam Marrache-Gouraud et Pierre Martin : Paul Contant, Le Jardin, et cabinet poétique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, « Textes rares », 2004.

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L’auteur décrit d’abord les fleurs singulières de son jardin, puis une quarantaine d’objets choisis dans son cabinet de curiosités, et pour finir revient sur le jardin. La première particularité de cette double description est d’être versifiée. La seconde tient au fait qu’elle est accompagnée d’un jeu de planches gravées où apparaissent, numérotés, les différents objets de la description que l’on retrouve avec (en principe…) leurs numéros au fil du poème, puis dans un double index en fin de volume. Pour ce qui est du Cabinet poétique, le dispositif inventé par Contant est parfaitement fonctionnel : on pourra le vérifier en cliquant sur les numéros de la deuxième série (puisque les numéros sont pour ainsi dire « joués » deux fois, une pour les végétaux du jardin, une pour les raretés du cabinet) pour faire apparaître les planches où figurent les objets concernés. Ces numéros, de 1 à 43, apparaissent en rouge en début de vers. Quant aux arbres et fleurs du Jardin, nous avons opéré quelques découpages dans la magnifique planche dite du « bouquet printanier », selon le titre du poème primitif de 1600, afin de faciliter le repérage dans le dédale végétal de la composition.

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LE JARDIN, ET CABINET POETIQUE, DE PAUL CONTANT, APOTICAIRE DE POICTIERS.

Je chante les beautez de la terre nouvelle

Les Esmaux printaniers de sa robe plus belle,

Je chante les vertus des plus mignardes fleurs

Que l’Aube au teint vermeil enfante de ses pleurs ;

Je chante un beau Jardin qui ne craint la froidure

Des gelez Aquilons, le temps ni son injure ;

Mais qui tout verd, tout gay, tout riant, et tout beau,

S’eternize en mes vers en despit du tombeau.

    O toy qui sans repos sur noz chefz fais ta ronde,

Phœbus à l’arc doré qui ce grand Tout feconde,

Darde tes raiz brillantz sur son front gracieux

Et le rendz immortel soubz la face des Cieux.

    Donne moy que mon Luth entonne sa merveille

Depuis Fez jusqu’au bord où ton char se resveille,

Et que du Nil bourbeux au Rhodope glacé

Son nom soit fleurissant d’eage en eage placé.

Garde ses belles fleurs de la touche poignante

Des Aspicz, des Tahons, et de la main nuisante

Des Thelins, qui au lieu d’un miel delicieux,

En feroient un venin mortel pernicieux.

    Mais chantant ce Jardin si parfaict et si grave

J’estalle à l’Univers tout ce qu’a de plus brave

La Terre dans son flanc, Neptune soubz les eaux,

L’Air dedans la rondeur de ses moites cerceaux ;

Et reduit en un bloc, par art, sçience, et cure

J’en fais un Cabinet qui passe la nature.

Cabinet que voyant l’on ne peut exprimer,

Cabinet qu’exprimant l’on ne peut estimer ;

Tant la recherche est grande, et qui en son enfance

Aujourdhuy se faict voir un nouveau monde en France !

Qui façonné par moy de recueilz tous divers

Descouvre les tresors de ce grand univers.

    Ca donc que je te baise ? ô ! bouche toute pleine

De Serpolet, de Thim, d’Aspic, de Marjollaine,

D’Anet, de Basilic, d’Yssope, et de Jasmin,

De Lys et de Soucis d’odorant Romarin,

De Mirthes Paphiens, et d’œilletz et de Roses,

De beaux Passe-Veloux, de double Passe-Roses

Qui produits en tout temps tant de rares couleurs,

Tant de Simples plaisants, tant de sortes de fleurs,

Que le Ciel n’a point tant de brillantes Estoilles,

La Terre tant de grains, ni la mer tant de voiles,

Ny le fonds des ruisseaux tant de sablons mouvants,

Que dans toy nous voyons renaistre tous les ans

De differentes fleurs, salutairement pleines

Des odorants parfums des terres Sabéennes,

Que la riche nature agençe de sa main

Favorable nourrisse à tout le genre humain !

    Car cest œil qui tout void qui tous les jours visite

Le feu, l’air, et la Terre, et qui dans l’Amphitrite

Trempe ses blonds cheveux, ne void rien de si beau

Du matin jusqu’au soir, que ce Jardin nouveau ;

Sur lequel au printemps les mousches mesnageres

D’un suc chargent leur dos, et leurs aisles legeres,

Puis par une faveur que leur a faict le Ciel,

Miracle ! elles en font et la cire et le miel.

Je te salüe donc ô Jardin dont la face

Tous les objectz plus beaux de ce monde surpasse,

Dont le front orgueilleux superbement enflé

D’arbres et d’arbrisseaux est de tous contemplé,

Et principallement en ceste saison belle

Que le Phylanthe gay prend sa robe nouvelle.

Pour mon object premier, Je te salüe donc

     1. Toy des arbres le chef ? dont le tres-riche tronc

Du coupeau Syrien jadis dedans Solime

Fut conduit à grand frais dans le temple sublime

Du grand Dieu d’Israel : Je te salüe aussi

     2. Honneur Savoysien, honneur du mont transsi,

Dont jadis le Gregois pour Ilion destruire,

Un cheval monstrueux de ton bois fit construire.

     3. Et toy dont le regard atriste mes espris,

Qui decores le rang des arbres de grand pris,

Qui de tous les costez mille morts fais paroistre ;

Si de toy quelqu’un veult les grands effectz cognoistre,

Qu’il tente seullement d’un Morphean sommeil

Le dormir dormir chasse-ennuy ; s’asseure à son resveil

Qu’une fiévre tremblante hasardera sa vie

Soubz les mortels rameaux de ton ombre suyvie.

     4. Je m’incline à tes pieds reverant ta grandeur,

Arbre Plutonien, dont la triste verdeur,

Jadis environnoit d’une funebre sorte

La porte du logis d’une personne morte :

Et lors que le corps mort au Buste estoit rendu

Tu estois tout autour largement espandu ;

Ainsi ceux du convoy par ta senteur presente

N’estoient point offencez d’une odeur mal-flairante :

Tousjours verd Bourdelois, rare, piramidal

Propre pour eslever un arceau triomphal,

Telz que sont ceux qu’on void pour ce jourdhuy reluire

Dans l’esmaillé Jardin de celle qu’on peut dire

Digne de gouverner les vergers d’Alcynois,

Et ceux de sainct Germain le plaisir de nos Roys,

Tant curieuse elle a le soin de faire croistre

Ce que son feu mary d’excellent a faict naistre

Dans son ombreux bosquet ; pour donner volontiers

Un plaisir rare et grand aux dames de Poictiers.

Un docte medecin, dont la longue practique

Avoit chargé d’honneur sa personne publicque

Presageant son trespas en sa religion,

Des plus sages blasmé de superstition,

Conjura ses amis d’orner sa sepulture

De telz tristes rameaux d’une idolatre cure,

Afin de tesmoigner par ce dernier honneur

Qu’il estoit le premier des Cypres le culteur.

     5. Toy qui de tous costez mille poinctes aiguës

As, pour seure deffence autour de toy cousuës ;

Qui herisse tes flancs, propre à faire buissons ;

Dont l’Itale se sert en ses seures cloisons,

Fidelle gardien d’un escarté vignoble,

De peur que le larron ravageur et ignoble,

Ne cueille avant le temps comme infame voleur

Le fruit au bois pendu qui n’est encore meur.

     6. Dieu te gard Delphien qui soubz ta tendre escorçe

Jadis allas cachant (pour eviter la force

D’un Dieu trop Amoureux) les membres beaux et nuds

De Daphné mesprisant les plaisirs de Venus :

Dont le chef tousjours verd va couronnant les testes

Des guerriers tous chargez d’honorables conquestes.

Que tu puisses tousjours sacré Thessalien

Honorer de mes fleurs le sejour Paphien,

Que tu puisse tousjours loing rejetter la guerre :

Que nos estocs sanglants sur l’Othomane terre

Tournent leur fil tranchant ; et qu’en France à jamais

Tu sois signe certain d’une eternelle paix.

Et qu’avec le haut chant des clairons et des trompes,

On te voye porter aux pacifiques pompes

Du Louvre sans pareil, que ses jaspés arceaux

Soyent eternellement ornez de tes rameaux.

     7. Je t’honore arbrisseau, dont les dames d’Athenes

Qui de la chasteté donnoient preuves certaines

Guirlandoient leur beau chef, et des feuilles faisoient

Leur couche en la saison qu’elles sacrifioient

Aux manes de Ceres, pour qu eleur sacrifice

Dit Thesmophorien, vers les Dieux fust propice.

     8. Mais voilà pas celuy qui au goust de Pinon

Porte un fruit rapportant, et profite dit-on

A ceux qui impuissants dans leurs rameuses veines,

N’ont pas de quoy fournir aux joustes Cypriennes

Deffaillant le motif du comble des Amours,

Faict deffaillir en eux le plaisir de leurs jours.

Mais par un laps de temps son noyau moüelle-verte

A infus dedans luy une vertu secrette ;

Aiguisant les espritz aux combas amoureux

Qui doublant les effortz, les rend plus vigoureux,

Comme à ceux qui auroient mangé de l’Erithrone

Pour onc ne se lasser aux joustes de Dione.

     9. Voicy vrayment celuy dont le bois excellent

Est pris pour façonner le pointu curedent,

Qui beau va decorant les guarigues plaisantes

Du Languedoc, où sont ses beautés verdissantes :

Arbre petit aupres de celuy soubs lequel

Le vieillard-faux tesmoing, disoit à Daniel

Avoir Susanne veu commettant adultere

Avec un jouvenceau : dont la larme tres-claire

Distilant de son tronc, a cent mille vertus

Dont mille et mille maux sont en nous combatus ;

Et les cruels venins qui bouilloient en nos veines

Donnés au lieu de nous, aux ondes lethéennes.

     10. Que je t’embrasse aussi, dont la feuille produit

Un excrement cornu, inestimable fruit !

Qui au printemps cueilli heureusement colores

Et la soye des Turcs, et des Gregeois encores,

Dont la riche liqueur chez le Venitien

D’Hybla, de Macedoine, et du port Cyprien

Aborde habondamment, et qui tres-excellente

Porte le nom de l’arbre où elle est ressudante.

     11. Toy qui te plais le long d’un doux coulant ruisseau,

Qui jadis paroissoit si superbe et si beau

Au bors d’une fontaine, au pays de Lycie ;

Où par diverses fois la grandeur fut cherie

D’un Chevalier Romain, soubs ton toict aresté

A luy dixhuictiesme en ton creux banqueté

Et soubs lequel aussi le puissant filz de Rhée

D’Europe viola la chasteté sacrée

Arbre malencontreux, où jadis se pendit

Marsyas le fluteur, furieux et despit :

Et qui d’or tout massif à ce grand Roy de Perse

Ce grand Roy conquerant pere du puissant Xerçe,

Par un Bithynien Pithyus surnommé

(Celuy duquel on a de tout temps renommé

Les thresors innombreux : ) fut donné par merveilles

Avec autres joyaux de valeurs nonpareilles.

     12. Approche, ne crains point comparois hardiment

Petit Acadien ? usurpé faussement

Pour l’espineuse plante en Egypte naissante ;

Dont les feuilles on peut jusqu’à trois cents cinquante

D’un seul poulce couvrir, nous faisant à l’œil voir

Que la sage Nature a beaucoup de pouvoir ;

Que ta fleur, fleur de poix, à la couleur pourprine

Embelisse ce lieu de sa beauté divine ?

     13. De là est l’arbrisseau qui du Dodonien

Piquant et tousjours verd a le feuillu maintien,

Dont le pays fertille, et la fameuse ville

De Mont-pellier reçoit un thresor tres-utille ;

Par le suc rubicond d’un vermeux excrement,

Qui soubs sa feuille croist fort copieusement :

Dont l’ouvrier Gobelin d’une richesse exquise

Colore de ses draps l’estoffe plus requise

Dont le Pharmacien docte et soigneux d’avoir

Remede tres-exquis, faict par luy seul revoir

Le jour à ceux qui pres de l’Orque impitoyable

Vouloient passer du Styx la rive non guéable.

     14. Toy taneur arbrisseau, dont le rougissant fruict

Aigre-doux faict en grappe, attrayant appetit

Es cuisines gardé ; graine delicieuse

Qui la viande au goust nous rends tres-savoureuse

Sur le tablier de lin où se void ordonné

L’appareil sumptueux du matinal disné.

     15. Je revere sur tous cest arbre chasse-guerre

Donne-paix, tousjours-verd, dont la fertille terre

De Provence fournit la France de liqueur,

Que son fruict savoureux nous rend, quand il est meur.

     16. Toy qui vas honnorant d’un beau verd qui recree

Les coustaux où se void la fontaine sacree

Du roc Passe-lourdin, et qui portes le nom

Du pays, où tu prens ton Cyprien renom :

Bien qu’en divers endroits ta tousjours verte plante

Sans culture se void abondamment naissante :

Pourtant le grand thresor que ta feuille nous rend

Faict qu’à te cultiver un grand plaisir se prend :

Non pas en ce pays, où ta feuille peu veuë

En ses rares effets n’est encores cognuë

Ains en toute l’Asie, et aux terres qui sont

A l’infidelle Turc, où les Dames se font

De ta feuille seichee une double merveille,

Qui teint en couleur jaune et en couleur vermeille ;

Et leurs pieds, et leurs mains, et leurs beaux cheveux longs,

Qui leur pendent du chef jusques sur les talons.

Mon cher Passe-lourdin dont [la] pointe  avoisine

La voûte au fonds d’Azur de la ronde machine ;

Honneur du font sacré, où le neuvain troupeau

Avec son Apollon va souvent boire l’eau

Jallissante en ton rond, où la sage nature

A si bien compassé par l’art de sa facture,

Que l’artiste parfaict d’un labeur plus qu’humain

Ne peut mieux agençer de son ouvriere main,

Le cavé-rond pourpris, du lict où se repose

La cristaline humeur de l’eau de Menemose.

    O Dieu combien de fois sur le plus chaud du jour

Poussé d’un sainct desir ay-je dançé autour

De ton vaze creusé ! où Phoebus le dieu mesme

Pere du Sainct troupeau venoit faire de mesme,

M’encourageant (disoit) je veux de ce sainct lieu

Estre le protecteur ; partant croy, qu’en tout lieu

Je feray retentir le los de la fontaine

Du perilleux rocher, de la source Hippocrene :

Et d’ailleurs, je feray que toutes nations

Viendront pour t’admirer, et de tes clairs bouillons

Avaler largement ; car à ceux là, je donne

De ma chere Daphné l’immortelle coronne ;

Et à toy (comme estant de mes enfans cheris)

Je veux car il me plaist (à ce qu’aucun espris

Ne soit encontre toy de folle jalousie)

Que tu chante tousjours en belle poësie

Ce lieu tant renommé, et oultre plus j’entends,

Car ainsi je le veux ainsi je le consents ;

C’est mon sacré vouloir ; que ton nom pour ma gloire

Soit gravé sur le front du temple de Memoire.

Qu’un flüide Nectar arrose incessamment

Tes vers qui couleront apres plus doucement,

Que tu chante l’honneur des plantes les plus belles,

Que la terre produict dans les saisons nouvelles

Du Printemps, de l’Esté, de L’autonne et l’Hyver

Que vous voyez ça bas suitte à suitte arriver :

Et outre plus je veux, il me plaist je l’ordonne,

Que de ton Cabinet la beauté tu fredonne,

Que tu chante tantost sut ton creux Luth voüté

Ton Jardin ; puis apres ton Cabinet vanté.

    Il eust dit : et soudain luy mesme me presente

A la neuvaine troupe en ce beau lieu gisante

Puis dançant un ballet au tour du font sacré,

Chascun de ça de là s’est à part retiré ;

    Où me trouvant tout seul admiré je me pasme

Ravi, et tout soudain rempli d’Enthousiasme,

Et de saincte fureur heureusement espris

Feurent en mesme temps mes sens et mes espritz :

Si bien que peu à peu revenant en moy mesme ;

Je sentis dedans moy un desir tres-extresme,

De chanter à jamais un Jardin Printanier

Qui florist et l’Esté et l’Autonne et l’Hyver :

Sy que despuis ce temps j’ay tousjours eu envie

De chanter un Jardin en Françoise Poësie,

Non un simple Jardin ains les amas divers

Des plus rares beautez qui soient en l’univers.

    Pere aux jours esclairantz toy grand filz de Latonne

Qui sur ce globe rond tout et par tout rayonne,

Qui premier as donné par ton docte Sçavoir

Le moyen trescertain de cognoistre, et sçavoir,

Des herbes les vertus, et qui as faict en somme

Un abregé de biens pour rendre immortel l’homme ;

Homme indigne des biens que ta grande bonté

A voulu departir, à son humanité ;

Ingrate humanité ; car sa mescognoissance

Ne meritoit d’avoir d’un tel bien jouïssance,

Ains au lieu de trouver quelque soulagement

Au mal dont il se sent si continuellement

Tormenté, il devroit au grief mal qui le tuë

Ne boire que les sucz d’Hyosciame et de Ciguë,

Des mortels Aconits des Pavots Letheans

Confilts dans la liqueur non des sucs Hybleans,

Non dans les sucs tirez des roseaux des Maderes,

Ains dedans les venins d’Aspics et de vipieres,

Jusqu’à-ce que son cœur plus dur que n’est l’Acier

Envers son Createur se vient mollifier ;

Pour congnoistre les biens que la toute-puissance

Luy donne largement du jour de sa naissance.

    Donc pere ameine-jours engrosse mes Espritz,

Qu’ilz enfantent des vers dont les nombreux esprits

Puissent à tousjours-mais pour eternelle gloire

De ton nom, prendre palce au temple de Memoire,

Que sainctement poussez sur l’aile des Zephirs

Ilz soyent trouvez porteurs de les plus sainctz desirs.

     17. Je t’admire arbrisseau, dont le fruict de la fraise

Ressemble, ou du Platan ou bien de la framboise :

Beau, digne d’estre veu, qui decores les bois

Taillis marescageux des sables Olonnois,

Qui beau qui tousjours verd enrichis un Dedale,

Le plus rare qui soit en la maison Ducale,

Du Romain Tyvoli ; dedans lequel un jour

(Donnant à mon Esprit quelque heure de sesjour)

Je voulus essayer de parfaire sans crainte

Le tour enserpenté de son verd labyrinthe ;

Et les chemins divers suivre si dextrement

Que j’en pusse sortir à mon contentement :

Mais il n’y eust moyen, combien que ce par-terre

Ne contnoit point plus de trente pas de terre ;

Ains à volte et à bond desrompant et gastant

L’esgalle liaison, dispos j’alois sautant

Par dessus sa haulteur : Car la peur palissante

Rendit mon cœur panthois et mon ame tremblante,

Non de crainte que j’eus de n’en pouvoir sortir,

Ainsi de peur d’y trouver un trop tard repentir ;

Si du fier jardinier la soucilleuse mine

M’eust rencontré faisant une telle ruyne.

     18. Vien porte-rose-verd approche Delien

Stygienne poison pour l’Asne et pour le Chien ;

Pour beaucoup d’animaux venin par trop contraire,

Et à l’homme tout seul remede salutaire ;

Quand mords du fier serpent, craintif te va querir :

Pour un remede utile et prompt à le guerir

Du venin, qui desja dans ses veines tremblantes

A mortel congelé ses chaleurs violantes :

Qui du Madaurien en Asne transformé

De ta fleur as deçeu le sçavoir consommé

Lors qu’il te pensoit estre une vermeille Rose,

Qui devoit mettre fin à sa metamorphose ;

Pource que par le Ciel il estoit arresté

Qu’il prendroit par la Rose encore sa beauté,

Mais luy qui n’ignoroit en sa figure Asniere

Chose qui luy peust nuire, il se retire arriere,

De crainte de gouster un si funeste appas

Qui au lieu de sa vie advançast son trespas,

Esperant par le temps avoir autre ouverture

De trouver guarison en sa triste adventure.

     19. Arbre à Venus sacré qui des l’Aube du jour

Jusques à l’Occident, ne chantes que d’Amour,

Convoque ce troupeau ; que ta plante amoureuse

Aymee de Cypris Deesse gratieuse

Commande à ce ballet, fay qu’aujourd’huy tu sois

L’honneur des montz, des prez, des valons, et des bois :

Qu’aujourd’huy tu sois veu assisté de la sorte,

Que chasque feuille et fleur reverence te porte :

Et que du beau Printemps les estrangeres fleurs

Soient conduites par toy au comble des honneurs ?

     20. Bonjour, belles, bonjour, Dieu vous gard chere trouppe,

Qui le printemps aymé nous ameines en crouppe,

Qui malgré les Autans ne laissez de paroir,

Qui dans les froids glaçons faictes qu’on vous peut voir

Touttes couvertes d’or ; vous soyez bien venuës,

Comme aussi celles la qui de vous sont tenuës,

Et qui vont ressemblant vos feuilles et vos fleurs,

Vostre vertu puissante et vos vives couleurs ?

     21. Sois aussi de la trouppe, ô toy qui as la feuille

Et qui portes le nom de la mouvante oreille

Du jeusneur animal, qui de deux fois sept jours

D’un sommeil Morphean vas terminant le cours

Dans ta grotte escartée, animal foible veuë

Sur l’eschine duquel la personne esperduë,

N’a pas si tost monté que la tremblante peur

Ne soit au mesme instant banie de son cueur ;

Ne cache tes beautez tes beautez nompareilles,

Car les monts tousjours verds n’en font voir de plus belles

Helas ! combien de fois passant les monts toffus

Des costaux Savoyards, et des tertres bossus,

Des vallons resonnants, ay-je par grand’largesse

Recueilli le plus beau de ta plaisante tresse

Cueilli, non pas cueilli : car en ta quantité

Diverse, mon esprit estoit precipité :

Si que ne pouvant pas pour la grande distance

Les pouvoir transporter és lieux de ma naissance,

Forcené de despit de voir tant de beautez

Et d’estoc, et de taille ez lieux précipitez,

Je rompois, je brisois, or la jaune, or la blanche,

Ores la purpuree, et mon estoc qui tranche

Faisoit de tous costez un carnage piteux

Des plantes qu’aujourdhuy desirent tant mes yeux,

Et conduit par ma main espanchoit à merveilles

Or de ça, or de là ces Ursines oreilles.

Fay donc que l’on te voye, afin qu’en sa saison

Chasque chose soit ditte ensuivre la raison.

« Car tout doibt icy bas l’un apres l’autre vivre,

« Le Printemps doibt l’Hyver, l’Autonne l’Esté suivre,

« L’Esté suit le Printemps, l’Hyver l’Autonne suit,

« La nuict suit le clair jour, le jour l’obscure nuict.

     22. Et toy celeste fleur toutte mignardelette,

Toy printaniere fleur, flairante Viollette,

Symbole des amours ah ! je voy que tu veux

De l’esmaillé jardin anneler les cheveux,

De ta celeste fleur, dont la beauté j’admire,

Je baise autant de fois que Flore son Zephire.

Car tant de doux baisers dans mes membres mi-morts

Font rentrer la santé qui en estoit dehors.

     23. Ton jaune chef penchant qui ne crains la froidure

Du venteux Scythien, dont la verte côeffeure

Apparoist au milieu de tant de froidz glaçons,

Et monstre son poil d’or dans les laineux floccons

D’un par-terre blanchi : Suy toy qui de toy mesme

     24. Te rendis amoureux, dont en fin la mort blesme

Mit fin à tes amours : monstre nous ton plus beau,

Et de grace sois chef du trois-fois dix trouppeau,

Que porte ton beau nom, dont les fleurs blanchissantes,

Des jaunes de beaucoup ne sont pas differentes.

     25. Et toy Amyclean qui jeune et tendrelet

Ne sçeus onq’ prevenir la cheute du pallet,

Quand le grand Cynthien dans le champ de Mercure

Perçoit presque les Cieux de mainte pierre dure :

Sérene toy le front, et te plains qu’à grand tort

Le doux Zephire et luy advancerent ta mort.

Las ! pauvre tu mourus en l’Avril de ton aage,

Rendant au noir Pluton ton âme pour hommage :

Car le Disque eslancé du hault d’Olimpe en bas

Tombant dessus ton chef, te donna le trespas :

Dont les ondes de sang à flots-flots decoulantes

Firent germer soudain mille fleurs excellentes ;

Qui retiennent ton nom, de qui le pouvoir beau

Ne se void en vigueur qu’au doux Printemps nouveau

J’idolatre en ta fleur la couleur azurée,

Et ton pers, et ton blanc, ta grace desirée,

Et de celles encor, qui diverses ont pris,

Par leur forme et couleur, ton nom de si haut prix.

     26. Printaniere beauté dont la fueille ternaire

Du trois fois tout-puissant nous sert de formulaire ;

Individuë en soy dés sa nativité,

Pour ce subject nommée herbe à la Trinité,

Hardie monstre toy, et de ta beauté rare

Aux esprits curieux en rien ne sois avare.

    Honneur des bois touffus des Coustaux Savoiards,

Que j’ay veu maintes-fois garny de toutes pars ;

Quand un libre vouloir m’enfloit d’aller voir Romme,

Romme de l’univers le chef (tout ainsi comme

Sur les pointus buissons s’esleve le Cypres)

Ainsi ce beau desir qui me poussoit de pres

D’aller voir le plus beau qui soit en ce grand monde,

Me faisoit traverser or’ la terre, ores l’onde.

Nonobstant mon esprit desireux de pouvoir

Des simples rencontrer tous les plus beaux à voir :

Or de ça or de là soubs le fais de ma charge

Je regardois tantost, or dans un antre large,

Or sur un tertre verd, ores dans un buisson ;

Or en une campagne, or dans une cloison,

Que nature a basty, ores dans un lieu sombre

Où jamais le Soleil n’a faict paroistre d’ombre ;

Or en un creux vallon, ores dans un rocher,

Or en un lieu affreux d’où n’osois approcher :

Je voyois mille fleurs, mille fleurs que nature

Riche a faict pour orner les traicts de sa facture.

    Car tantost d’un costé la printaniere fleur

De l’herbe Trinitaire à la blanche couleur,

Paroissoit à mes yeux : et tantost l’azurée,

Tantost celle qui a la fleur rouge pourprée :

Si que de tous costez je ne pouvois rien voir,

Que plantes dont les fleurs estoient belles à voir :

Dont je faisois recueil afin que ma jeunesse

Donnast un jour plaisir à ma blanche vieillesse,

Si le vouloir de Dieu permettoit à mes jours

Par sa saincte bonté de prolonger leur cours :

Recueil qui du depuis a pris telle croissance,

Qu’il se void aujourd’huy comme par excellence,

Des plus doctes esprits que la France produit,

Dont des simples divers la cognoissance duit.

     27. Mais quelles celles-cy dont les couleurs diverses,

Riches de cent beautez, des magnifiques Perses

Nous font voir les Turbans ? dont les fronts affétez

Monstrent je ne sçay quoy remply de majestez

Ca, ça monstrez vous donc haussés vos riches crestes

Et nous faictes paroir les beautez de vos testes.

Car on admire en vous mille belles couleurs,

Brillantes à l’envy dans le jour de vos fleurs.

    Fleurs au nombre infini, qui belles et aymables

Remplissés mon jardin de couleurs variables,

Fleurs dignes d’enrichir d’un invincible Roy

Les jardins somptueux, apres qu’un desarroy

D’un peuple mutiné soubs quelque faux pretexte,

A voulu de son Roy descouronner la teste,

Qui se voyant vainqueur paisible en ses Estats

Recherche les moyens, hors des sanglants combats

Le plus souvent qu’il peut d’une ame curieuse,

Le plaisir d’admirer de l’Inde precieuse

Les simples non encor dans nos jardins venus,

Et ceux qui ne sont pas du vulgaire cognus,

Ains des chers nourissons du divin d’Epidaure

Pidoux, la Vau, Milon, le Coq, Citoys encore,

Et Rabaut, et Rafou, Demayré que mes vers

Veulent faire voler, par ce vaste univers.

    Et donques mon Phœbus, Phœbus au clair visage

Pour les chanter tous huict enfle moy le courage ?

Pousse des doits ma Lire ô Delien sonneur

Inspire en mon esprit une saincte fureur ?

Que ce docte Pidoux, ce Phœnix de la France

Brille comm’un Soleil sur ma douce cadence ;

Que l’amas glorieux du docte, et grand sçavoir

Qui l’a faict icy bas comme un miracle voir,

Le fasse avec l’amas de tout l’honneur du monde

Triompher eternel soubs la Cambrure ronde :

Grand d’Esprit, grand de corps, d’honneur, et de moyens,

De vertus, et de nom, parmy ses citoyens.

La Vau suivoit apres dont la teste chenüe

Relevoit son sçavoir sur la plus haute nüe

Du manoir AEtheré, promettant que tousjours

D’honneur et de moyens s’emperleroient ses jours

De faict, l’heureux destin qui borna sa carriere,

Ne le cognust jamais sans ceste grand lumiere,

Ains l’an Climacteric de son cours glorieux

Avecques luy le fit nouveau bourgeois des cieux ;

Bourgeois vrayement divin, qui dans le ciel de gloire

Va, mort eternisant pour jamais sa memoire.

« Car il nous faut mourir, et tout ce qui est né,

« Par l’ordre de nature est à mort ordonné.

    Mais voicy ce Milon ornement de la terre

Qui tient les beaux secrets de tout ce grand par-terre,

Et qui docte, et expert, eslance industrieux

Son nom comme immortel plein de gloire en tous lieux.

    Et toy Coq qui volant depuis l’Est jusqu’au Gange

Fais entendre à bon droict le bruict de ta loüange :

Je te saluë heureux, je te saluë encor’,

Simpliste sans esgal, grand Chiron, grand Nestor,

Qui sçays tout, qui fais tout, et qui laisse derriere

Tous ceux qui avec toy suivent mesme carriere.

Resveille mes esprits de ton chant gracieux

Et distille en mon cœur ton sçavoir curieux,

Afin qu’avec ce bien la crainte me delivre

Du soucy qui me poingt de faire voir mon livre,

Enfanté saintement sur le sainct Helicon,

Qu’a logé dans mon cœur ta sçavante leçon.

    Et toy mon cher Citoys, dont la docte jeunesse

Promet mille Printemps, à ta blanche vieillesse,

Qui de tes raiz feconds, comme un Soleil naissant,

L’ignorance et l’erreur loing de toy vas chassant,

Asseurant au futur qu’à l’esgal de ton aage,

Croistra ton bel esprit, ton los, et ton courage ;

Permets que je te chante, et que dans l’univers

J’envoye ton renom sur l’aile de mes vers.

    Mais quels astres nouveaux brillonnent sur ma Lyre ?

Quelle voix d’Apollon me ravit et attire ?

Trois jeunes Medecins honneur de l’Univers,

Reluiront maintenant dans le champ de mes vers :

Ce sont Rabaut, Rafou, et Demayré encore

Qui comme un bel Oeillet (l’honneur du sein de Flore)

Envoyent dans ce Tout, par un alme pouvoir,

L’odeur de leurs vertus et de leur grand sçavoir :

Et en despit de l’aage enseignent la structure

Des plus rares secrets de toute la Nature :

Ne trouvant rien ça bas si hautement escrit,

Qui ne soit trop facille à leur divin esprit.

Quand à toy mon Robin, que cherement j’honnore,

Amy, seul instrument qui fais que ma Muse, ore

S’esveille avant le temps : amy de qui je tiens

Tant de sortes de fleurs : prens comme d’un des tiens

En gré ces foibles Vers : non pas qu’en eux je chante

Ce que doibt meriter ta vertu renaissante :

Ains pour gages d’un cœur, du tout voüé pour toy,

Et qui mesme est plus tien qu’il ne peut estre à soy.

    Herboriste fameux du plus puissant Monarque

Qui ait oncques passé la Charontide Barque,

Autre Anazerbéen d’un chacun estimé,

Comme estant d’Apollon le fils le plus aymé,

Supplée à mon deffaut Robin ? fay que ma Muse

En un si beau chemin à chanter ne refuse

Les plus rares beautez, que le Ciel nous fait voir,

Dessous son clair manteau du matin jusqu’au soir.

Car toutes les couleurs qui dans la mer se voyent,

Qui dans l’air, dans la terre, et aux Cieulx se d’esployent,

Dans le nombre infini de ses superbes fleurs,

De ce vaste Univers se voyent les couleurs.

    Tairay-je mon Veyrel, que j’ayme et que j’honore

Tout autant que Zephir sçauroit aymer sa Flore,

Qui sainctement poussé m’a d’un don gratuit

Donné tout ce qui plus de cher et rare luit

Dedans mon Cabinet, m’ayant (chose incroyable)

Faict des presans qui sont de prix inestimable :

Veyrel croy que ton nom, en memoire sera,

Et qu’à Xainctes tousjours ton renom florira.

     28. Quelle est ceste beauté folatrement superbe,

Qui d’un pied glorieux foule la plus basse herbe ;

Fachée de se voir, en ses riches habits,

Compagne d’avortons trop foibles et petits ?

Mais quel est son beau nom ? sa majeste Royalle

Me semble le Lalé Coronne Imperialle.

Coronne qui jadis as le peuple François

Conduit douze cens ans soubs tes Saliques Loix ;

Ores qu’un temps brouillé faict que morte on te pense,

La France et les François tombent en decadence,

Mais l’un et l’autre prend aujourd’huy sa verdeur,

Son pourpre, son Azur, son Or, et sa Candeur.

Car Jupin qui soustient de sa dextre divine,

Avec le ciel cambré ceste basse machine ;

Ennuyé de nous voir au comble des malheurs

Par ceste heureuse fleur rend arides nos pleurs,

Calme cest Ocean de discordes civiles,

D’Olive et de Laurier ensemence nos villes,

Sterile nos esprits des furieux flambeaux

Qui dans nostre pur sang allumoient tant de maux :

Et pour le tesmoigner à la race future,

De ceste belle fleur nous apprend la culture :

Et le Symbole vray qu’il obtient glorieux,

Avecques les François, le cher soucy des Dieux,

Et du siege honoré où HENRY grand Monarque

Se sied malgré l’effort du Ciel et de la Parque.

    Car par ton tige droit ô precieux Lalé

Nostre Dauphin nous est richement estalé

Dans ce rond Univers, et le suc qui t’anime

De ses deux Freres chers, du Sceptre de Solime

Egale la grandeur ; Princes qui valeureux

Promettent qu’ils seront en leurs regnes heureux.

    Puis l’esclat argentin de ses six perles fines,

Portera le relief de ses Princes insines

Condé, Conty, Soyssons, Montpensier, et tous ceux

Qui du sang des Bourbons ont le nom glorieux :

Perles qui vont ornant les deux filles de France [1628 : les trois filles]

De Thyares futurs par la saincte alliance

Des Princes estrangers, qui rendront immortels

Par ce sacré lien nos jours et nos autels :

Puis ces trois rancs qui font le triple Diademe,

Sont la France, Navarre, et l’Empire supréme

Que la vertu du Roy se promet d’acquerir

A son aymé Dauphin avant que de mourir.

    Heureuse France alors quand tu verras ton Prince

Qui de trois ne fera qu’une seule Province

Triompher glorieux, ayant dessoubs sa main

Reduit France, Navarre, et l’Empire Romain.

Et la belle saison que renaist ceste plante

Nous faict voir du Printemps la vigueur renaissante,

Nous fait voir et sçavoir que soubs le Roy tousjours

En paix et union se couleront nos jours :

Et que ces riches fleurs malgré les forts orages

Produiront des Printemps en tous temps et tous âges

Qu’elles seront tousjours un plaisant souvenir

Aux François naturels des siecles à venir.

    Et puis ces belles fleurs qui ont leur robe peinte

De la riche couleur d’Adon et d’Hyacinthe :

Tesmoignent que tousjours la Justice aura lieu

En son habit pourpré l’image de son Dieu :

Imployable aux assauts de Dis, et de Fortune :

Roide contre le choq de l’orageux Neptune :

Usant tres-justement de ses armes, qui font

A l’un baisser le chef, à l’autre hausser le front.

    Et ce gros tige rond qui soustient cest ouvrage

Est la Foy, l’Equité, l’Honneur, et le Courage,

La Pieté, l’Amour, l’Innocence, et le Roy,

Qui tousjours maintiendront le tout en bon arroy.

    He ! tairay-je oublieux ? mais laisseray-je arriere

Ces six fueilles qui font ceste fleur toute entiere ?

Qui font haut resonner par accors tous divers

La Françoise Coronne en ce vaste univers :

Desquelles, cinq nous font fuir la couleur blesme

Par le ton martial des Herauts d’Angoulesme,

De Champaigne, Guyenne, Orleans, d’Alançon

Et qui font retentir par leur deffiant son

La grandeur, la vertu, la proüesse et vaillance

D’HENRY quatriesme, Roy de Navarre et de France.

Et la sixiesme fueille esleve jusqu’aux Cieux

La France et les François d’un renom glorieux,

Puis ces bras longs-pointus dont le verd de la teste

Esleve contremont, son honneur manifeste,

Represente les Preux de France ; qui tousjours

Verdiront pour son bien sans limiter leurs jours :

Ces Preux qui ont poussé jusques dedans l’Asie

Leur gloire de grandeur et de vertu suivie,

Qui ont faict d’autre-fois au Grec et au Latin

Ressentir les effects de leur puissante main :

Princes, Pairs, Ducs sans per indontables gendarmes

Braves et genereux, enfans aisnez des armes :

    Quoy l’oignon qui produit ceste divine fleur,

Qui n’a ça bas d’esgalle en lustre et en valeur

Restera-il ? nenny : ains sa forme Spherique

Nous representera avec la loy Salique

La Françoise Coronne, et nostre France encor,

Grave, riche, abondante en peuples et en or :

Communicable à nul qu’aux Princes qui en France

Du sacré sang des Roys honorent leur naissance,

Celeste, indivisible, ayant comme les Cieux

La forme et la grandeur d’un contour spacieux :

Un grand Roy pour Soleil, une Royne pour Lune ;

Des peuples pour flambeaux (hostes de la nuict brune)

Et pour ses Poles clairs deux beaux Sceptres qui ont

L’espoir de l’Univers engravé sur le front.

    Puis de ce rare oignon trois tendres pellicules

Naissent, qui sont sans nœuds, sans ride, et sans macule ;

Des François genereux figurent sans debat

L’Eglise, la Noblesse, avec le tiers Estat ;

Eglise tres-Chrestienne, Orthodoxe, et divine,

Noblesse brave, adextre, invincible, et benine,

Estat incomparable auquel l’Antique nom

Du Latin policé quitte son beau renom ;

A qui tout l’Univers cede de bien-veillance

Comme au fils mieux aymé de la toute-puissance :

Estat qui entretiens des Princes et des Roys

Les Edicts trompetez des plus severes loix.

    Et ce qui rend encor ceste racine belle,

C’est la juste rondeur que nous voions en elle ;

Car rien n’est plus aymé au monde que le rond,

Les Poëtes par honneur se ghuirlandent le front

De tortis Delphiens ; le Printemps se Coronne

De fleurs ; Ceres d’espis ; et de grappes l’Autonne :

Le Ciel est tousjours rond ; la mer semble par tout

Estre ronde, et la terre est en tout et sur tout

Ronde, et le blond Phœbus lors que clair il rayonne

Semble avoir sur son chef une ronde Coronne

D’or fin resplandissant ; et la Lune à nos yeux

Nous faict voir sur son rond un tortis precieux

De diverses couleurs, qui son chef environne

(Signe de sa grandeur) d’une riche Coronne.

Les Estoilles d’enhaut brillantes de leurs feux

Lançent des raiz tous ronds à nos clairs-voyans yeux ;

Le front, et les sourcils, les yeux, et les oreilles,

La bouche, le menton, et les joües vermeilles,

Les Cypriens tetons réhaussez contremont,

Le ventre rebondy ont la forme d’un rond ;

Et ce que je ne veux nommer d’où sort le monde

D’un et d’autre costé a la forme my-ronde.

Bref rien n’est trouvé beau ça bas s’il n’a du rond,

Et ceux qui du Seigneur les commandemens font

Ont l’ame toute ronde : et bref en la nature

Tout doit avoir du rond quelque forme ou figure.

    Je te salüe donc beau simple precieux

Coronne imperialle amie de ces lieux,

Qui as quitté pour nous le haut thrône du Mede,

Du Persan, de l’Ebreu, du Bactre, du Suede,

Des Grecs, et des Romains, et des peuples qui ont

Vers la Syrthe d’Amon tourné le ridé front ;

Puisse-tu pour jamais, ô Symbole agreable,

Tenir et figurer nostre Estat venerable,

Puissant et unanime avec telle vigueur

Qu’il ait tousjours ton verd, ta force, et ta couleur,

Et que malgré les ans sa gloire presque morte

A la gloire de Dieu se donne et se raporte.

    [**] Mais d’où vient ceste-cy ? mais quelle nouveauté

L’incite de venir nous monstrer sa beauté ?

Quel postillon d’Aeole, hé quelle mer flottante

Pousse jusqu’à nos yeux une si rare plante ?

Quelle envye t’a pris de passer tant de mers

Pour te faire cognoistre aux peuples estrangers ?

Te mettre a la mercy des ondes bleuës-perses,

Quitter de ton Sophy les provinces diverses :

Ha ! belle je t’excuse, et t’excusant, je dis

Que la beauté t’a faict delaisser ton pays ;

« Car tout ce qui est beau soubz la machine ronde

« Ne naissant qu’en un lieu se doibt à tout le Monde

« Libre communiquer, que si l’on laissoit l’or

« Les riches diamants, et les rubis encor

« Dedans le ventre creux des entrailles du monde :

« L’on ne verroit point tant de vaisseaux dessus l’onde

« Tant de voiles au vent, tant d’hommes qui tousjours

« Sur l’ondoyante mer exposent leurs beaux jours :

« On ne rechercheroit, l’Asie ny l’Afrique,

« Ny la feconde Europe, encor moins l’Amerique ;

« Car tout cela qui naist en un lieu de plus beau

« Vivant, ne le voyant nous seroit un Tombeau :

« Et comme tout ce Tout ne produict toutes choses

« Qu’en un mesme climat nous ne voyons encloses

« Tout ce que l’Univers contient en sa grandeur :

« L’Eternel qui tousjours desire sa faveur

« Aux hommes departir, donne aux uns la chevance

« De l’or et de l’argent, aux autres l’abondance

« Des froments et des vins : et en d’autres climas

« Ne donne rien que neige et que glace et frimats :

« Aux autres des parfums, des bois chers, des espices,

« Des sucres, et des fruicts exquis pleins de delices,

« Des peaux pour les couvrir, des huiles, des poissons,

« De la cire, et du miel : bref du grand Dieu les dons

« En tous temps et tous lieux sont tousjours admirables,

« Et en toutes saisons de bon cœur recevables :

« Car Dieu ne donne rien aux hommes d’icy bas

« Qui ne soit pour leur bien, et salubre repas.

    Je te revere donc ô des belles, la belle,

Qui pour nous venir voir, ta maison paternelle

As librement quitté, croy belle qu’au plus beau

Et lieu plus eminent de mon Jardin nouveau

Je te donneray place, et pres de la Coronne

Des à present je veux que place l’on te donne.

     29. Et l’autre qui te suit de son pas mesuré :

Semble seule embellir ce Jardin azuré :

Semble seule effaçer de sa riche apparence,

Tout ce qui naist autour de sa chere presence :

Semble seule effaçer les plus riches beautez

Des simples tout autour de mon Jardin plantez ;

Tout ainsi que Phœbus des raiz de sa lumiere,

Effaçe la clarté de la brune courriere

Premiere de son rang du par-terre l’honneur,

Du doux-flairant Jardin, dont l’estrangere fleur

Semble le bras François rouge du feu carnage

Du sang concitoien, lors que remply de rage

Abandonnant son Prince et delaissant sa Foy

Il se rendit subject d’une estrangere Loy ;

Pour chetif demeurer tout le temps de sa vie

Esclave soubz le joug du Roy de Cantabrie

C’est l’unique beauté, c’est ceste unique fleur

Dite le beau d’un jour, qui parfaicte en couleur

Merite que l’on fasse en sa loüange un Hymne

Qui trompette son nom de Calix à la Chine.

     30. Et toy grosse d’honneur, richesse d’un bouquet,

Dont la racine porte un merveilleux effet

A ceux qui travaillez d’une incurable peine

Tombent du mal, duquel le vaillant filz d’Alcmene

Fut jadis surmonté : toy belle dont la fleur

Simple et double se void, dont la vive couleur

Semble un glaive vainqueur qui sort de la bataille,

Apres avoir donné et d’estoc et de taille

Un milion de coups ; sans qu’un seul ait trouvé

Lieu qui peut resister au tranchant esprouvé.

Ouvre ton rouge sein ? que ta fleur pavotée,

Parée richement ne soit point dejettée ;

Et ne fais point refus de faire voir ton beau

Soubs le brillant aspect du journalier flambeau.

     31. Et toy blanche sa sœur dont les beautez exquises

Ne sont moindres d’honneur ny de vertus requises

Tres-rare en tes effectz : et qui n’as point encor

Faict voir en ce Jardin ton florissant thresor.

Thresor qui ne vaut moins que la riche abondance

Du Lydien Pactol, de Crœsus la chevance.

Car j’ayme mieux ta fleur, lors qu’elle est de saison

Que du Thessalien la Colchique toison.

    Mais quelles celles-cy ? dont les pas lents et graves,

Superbes au marcher rendent mes sens esclaves

De leurs perfections ? et dont les riches fleurs

Me font voir en un bloc mille belles couleurs ?

Ca ça je vous cognoy, ça ça venés mignardes ;

Recevez de bon cœur ces caresses gaillardes,

Telles que vos beautez meritent : Car sans vous

Nous n’aurions rien de beau, nous n’aurions rien de doux.

Venez premierement vous riche à larges feuilles,

Dont la verdastre fleur double de mille feuilles,

Tachetée du jus du Pourpre precieux :

Qui jadis coloroit de nos Roys demi-Dieux,

Les habits triomphans : Toy double Coccinée,

Qui portes la couleur du teint de la Mer-née

Toute mignardelette ; et toy blanche où és tu ?

Vien vien, approche toy, desploie ta vertu,

Ores que l’escadron de ta bande gaillarde

Se serene le front comme pour l’avant-garde,

A tant de raretez, qui te suivent de pres,

Comme sur les buissons s’eslevent les Cypres.

     32. Toy jaune, toy celeste, et toy belle azurée,

Et toy estroitte feuille, à la fleur empourprée ;

Marche en rang, ne crains point : car certes tu auras

De l’honneur, quand au nom de toutes tu diras.

Pour contenter vos yeux ; pour resjouir vos ames,

Pour orner les bouquets des plus accortes Dames ;

Ce grand (Dis je premier) qui nous a descouvers,

Et qui pour nous trouver de ce grand Univers

A faict presque le tour ; nous aiant de Bisance :

D’Espaigne et Portugal prises des nostre enfance,

Pour esclaves nous voir reverdir chacun an,

Du Printemps desiré, dans le flandrois Leidan :

Honneur qui ne reçoit soubs ceste riche voûte,

Pris qui puisse egaller ceste richesse toute.

C’est ce grand de Lecluse, à qui nostre pouvoir

A esté descouvert comme bien pouvez voir

En tant de ses labeurs ; dont la docte science

A faict que tout le monde en ait eu cognoissance

Car non content d’avoir de nous tout le plaisir

Qu’il pouvoit souhaitter d’un louable desir,

Premier nous fit parroistre aux Jardins des grands Princes,

Et despuis transporter en cent mille Provinces :

De sorte que chascun ores desire avoir,

Le bien tant seulement que de nous pouvoir voir.

Attendant qu’un Hymen d’une bonne semence

Face multiplier le rare en abondance ;

Et de ce doux Hymen, de ce Nopcier heureux,

Le mesme de Lecluse à ceux qu’il ayme mieux,

Non chiche a departy par tous les coins de France,

Les enfans procreez de si rare semence :

Aux lieux à tout le moins, qui pour leur grand sçavoir,

Ont tous seuls merité le bien de nous avoir :

Et nous faisant passer par incertaine voye,

A l’hasard à Poictiers, en paquets nous envoye

A ce grand Coq fameux l’honneur de nostre temps.

Ce Coq qui reverdit comme l’herbe au Printemps ;

Ce Coq qui fust de nous l’aven-coureur fidelle,

Tout ainsi que le Coq, dont la ba-batante aisle

Nous presagist l’honneur de l’Orizon vouté,

Lors que son chant nous faict certains de sa clarté.

Ainsi ce docte Coq, de qui la renommée

En Flandre, en Allemagne, en Itale est semée ;

Or chery dans Poictiers, Epidaure Gaulois,

Premier nous a receus du bas pays Flandrois ;

Estant digne d’avoir de nous la cognoissance

Et le bien de jouyr de si chere chevance.

Qui joieux nous receut, et cogneut estre aymé,

De ce grand Clusius en ce monde estimé ;

Et en faveur de luy nous loge et nous retire,

Et d’un parfaict amour le Printemps il desire,

Pour voir nos riches fleurs, pour s’esgaier en nous

Et dans l’amer du temps recepvoir un temps doux.

    Je d’escrirois icy les diverses especes

De ces plantes qui ont des couleurs si diverses,

Mais la nature à qui plaist la varieté

Operante tousjours n’a jamais limité,

Ses effects merveilleux : ains tousjours elle opere

Par accidens divers tant elle est sage mere.

    Car premier que le soing rongeard et curieux,

Des simples estrangers eust dessilé nos yeux,

Eust d’un second amas des beautez de ce monde

Faict voir qu’il n’y a rien en l’air, feu, terre, et l’onde,

De plus rare et plus beau que les varietez,

Des simples que l’on void venir de tous costés ;

Nous n’avions rien de beau, et pour toutes nos plantes,

La Mandragore estoit des plus resplandissantes ;

L’Angelique tenoit une place de prix ;

L’Imperatoire aussi un autre rang exquis :

Le Doronic Romain, le Napel mortifere,

Le Raisin de Renard, et le tuë Panthere,

L’Asphodel, l’Asarum, le Lychnis rouge et blanc.

Et ce qui paroissoit de plus rare et plus franc,

Et qui avoit en soy une marque plus noble,

C’estoit nostre Adonis fleur de Constantinoble.

Bref nous avions fort peu et ce peu toutesfois

Comme Aymant a tiré (Lecteur) ce que tu vois

De rare et merveilleux, ce qu’aujourd’huy les Princes,

Ce que les Magistrats, que les chefs des Provinces

Que le vulgaire mesme avec un si grand soing

Envoye rechercher et de pres et de loing.

Car en mes jeunes ans nous n’avions cognoissance

Que des simples qui sont aujourd’huy par la France,

Sans estime et sans prix, et nous n’avions encor’

Les Coronnes en main, ny le riche thresor

Des Indes recouvré, et des Espaignes belles

Oeilladé la beauté des plantes plus nouvelles.

Nous n’avions de Bizance encore descouvert

Les Tulipes sans fin, et le Simpliste expert

En ce temps n’avoit veu plante dont l’excellence

Meritast qu’on en fist estime par la France.

Mais ce ver non mourant qui tousjours va croissant

Qui de jour qui de nuict d’humeur nous va paissant

Qui entrave nos sens, qui loge dans nos veines

Mille bouillants desirs, qui de pensées vaines

Repaist l’Esprit confus, qui faict traçer les monts,

Et passer à pied sec mille goufres profonds,

Traverser le Peru et des Indes perleuses

Passer et repasser les voyes perilleuses ;

Qui a faict traverser mille mondes nouveaux

Pour trouver escartez les Simples les plus beaux :

A tant et tant gaigné sur les ames plus belles

Qu’il leur a faict aymer les plantes immortelles,

A fin qu’apres leur mort ils emportent aux Cieux

D’honneur et de vertu ce renom glorieux.

C’est à vous Monseigneur c’est à vous que j’adresse

Ces petits avortons des filles de Permesse,

Qui formez promptement comme une boufle d’eau

Seroient plustost plongez que naiz soubs le Tombeau,

Si de vostre grandeur la bonté coutumiere

Comme un Phare brillant ne leur donnoit lumiere,

Pour soubs le sauf-conduit de son heureux renom

Porter de l’Est au Sud de BETHUNE le nom.

Nom que pour bien chanter faudroit un Saincte Marthe,

Un Ronsard, un Bartas, ou cil qui sur la Sarte

Pousse son sainct Cothurne, employans curieux

Leurs divines fureurs, pour porter dans les Cieux

Ce beau nom qui reçoit la mesme cognoissance

Es pays estrangers, qu’au Royaume de France.

Pour moy je ne le puis soit que je sois tancé

Reculé de ma Muse, ou par elle avancé :

Bien que j’aye senti les poignantes tranchées

Qui les femmes saisit avant qu’estre accouchées

En composant ces vers : mais quelque jour viendra

Qu’à mes veux Apollon favorable sera

Car maintenant ceux cy enfantez par containcte

Ne sont point inspirez de sa fureur tres-saincte :

C’est pourquoy l’on dira, que j’ay trop entrepris,

D’appendre à vos genoux ces presans de vil pris.

Car pour donner aux grands des presens qui meritent,

Il les faut bien choisir, et leurs grandeurs incitent

Chascun à qui mieux mieux : que si les Roys puissants

Ne recepvoient jamais des dons et des presens,

Que de ceux qui comme eux portent dedans la dextre,

Et sur leur chef sacré la Coronne et le Sceptre :

On ne verroit jamais leurs faicts enregistrez :

A leurs futurs nepveux ne seroient point montrez

Leurs actes genereux ; et leur vie d’escrite

Ne seroit comme-elle est si hautement escrite.

On ne verroit leurs noms immortels comme on void,

Et sur l’aisle du temps leur vertu ne courroit.

Que si l’Aveugle Grec sur sa Lyre ancienne

N’eust chanté les progrés de la guerre Troienne,

Si du vaillant Achille et si d’Ajax encor

D’Ulysse, Agamemnon, de Tydide, et d’Hector,

Il n’eust dans ses accords tonné la renommée

Leur grandeur, leur vertu, n’eust esté que fumée.

« Les petits font les grands vivre par leurs escrits,

« Les grands pour leur vertu, honorent les petits.

    Ainsi du Mantoüan la Lyre bien montée

Sonna du fils d’Anchise, et la force indomptée

Et les armes de Turne, et montra aux humains

Mille faits triomphans accomplis par leurs mains.

    Et tant de verds Lauriers moissonnez dans l’Elide

Et dans le tour sacré du poudreux Olimpide,

Ramperoient sans vigueur atterrez du destin

Sans les vers grave-doux du grand chantre Thebain.

    Que si j’ay donc osé trop remply d’hardiesse

Vous consacrer ces vers sans craindre leur foiblesse ;

Vostre bon naturel, vostre accueil plus qu’humain

Leur sera s’il vous plaist bon pere et seur Parrain.

Excusant au parsus ma Muse qui n’aspire

A autre but sinon qu’à chanter et descrire

Les fleurs de mon Jardin, et de mon Cabinet

Les plus rares beautez que mon travail y met.

    Jardin et Cabinet de Poictiers les merveilles

Que je donne à vos yeux et pousse à vos oreilles,

Que je mets en vos mains, et par mesme bon-heur

Je vous en fais patron (nostre aymé gouverneur)

Comme au grand Mecenas dont la faveur benine

S’acquiert mille vertus soubs la ronde Machine.

A qui tant de Lauriers sur la teste l’on void,

Tans d’Oliviers que plus mettre l’on n’en sçauroit.

Et l’estranger qui void qu’une main amiable

A reçeu ce present d’un cœur fort agreable,

Qu’un grand a bien daigné d’un favorable accueil

Regarder de bon oeil un si foible recueil ;

Comme un Asile seur vous fera recognoistre

Jusqu’aux lieux où l’on void Phœbus mourir et naistre

Bien que vostre vertu soit cognue par tout ;

Et que les quatres coings d’un bout à l’autre bout

Ne recognoissent rien plus digne pour la France

Que vostre œil Lyncean remply de providence.

    Prenez donc ce present bien que petit, mais tel

Qu’au jour soubs vostre nom il peut estre immortel ;

Voire passer hardy la rive d’oubliance,

Et les pays qui sont de l’Austre, jusqu’en France ;

Et du fleuve Espaignol au beau sable honoré

Jusqu’au monde où Phœbus naist tout rouge-doré.

    Alors du Padoüan les Jardins admirables,

Alors de Leyden les plantes desirables ;

Alors de Mont-pellier les simples gros d’honneur

Luy cederont de gré et le feront vainqueur.

Et les monstres divers que la mere Nature,

Par le rond univers engendre à l’aventure,

Recueillis en un bloc de mille et mille lieux :

Porteront sa grandeur au Palais des grands Dieux :

Et Poictiers qui contient ceste merveille insine

Joincte à ses facultez, les Loix, la Medecine,

Plus que les hauts Palais du grand Laomedon

En triplera sa gloire et son antique nom.

Muses secourez moy ? Permettez que ma plume

D’un discours plus hautain s’enfle que de coustume,

Qu’effrontement je puisse (et ce sans palier)

Dire que Poictiers est autant que Mont-Pellier.

    Je ne veux t’offencer Mont-Pellier je t’honore

Comme le lieu sacré du divin d’Epidaure :

Mais si de mon pays j’estime le sejour,

Si je dy qu’on ne void despuis l’aube du jour

Jusqu’au Soleil couchant ville dont le merite

Soit plus recommendé, ville qui plus incite

Les doctes de ce temps, pour trouver à propos

Des hommes pour donner à leurs esprits repos,

Voudrois-tu t’offencer, si pour la medecine

Apres Paris et toy Poictiers est la plus digne ?

Voudrois-tu contre moy qui m’excuse estriver,

Voudrois-tu pour cela de ton bien me priver ?

Non, je m’asseure tant en ta bonté loyalle

Que tu auras à gré Poictiers pour corrivalle.

Poictiers qui te revere et qui te porte honneur,

Pour autant que chez toy le pere fredonneur

Faict tousjours sa demeure, et où comme en franchise

Son sainct temple a basty le grand pasteur d’Amphryse.

Mais pense je te prie, et prens bien garde à toy,

Qu’il ne se lasse un jour de demeurer chez toy.

Ces jours passant icy, il me dit, (je te jure)

(De cela scay-je bien que je ne suis parjure)

Je jure par le Styx, par l’Acheron affreux,

Par les sombres manoirs des Enfers tenebreux,

Si jamais Mont-pellier ocasion me donne

Et si de ma fureur tost il ne me destourne,

J’effaçeray son nom de mes plus sainctz cayers

Et le transporteray chez toy mon cher Poictiers.

Poictiers que je congnoy de ma faveur tres-digne,

Et qui seul maintenant m’eschauffes la poitrine

Pour te vouloir du bien. Si doncques ce grand Dieu

Vouloit comme il le peut transporter en ce lieu

Ce qui aux nations loingtaines et estranges

Te faict tant admirer, et donner des louanges :

Qui pourroit l’empescher s’il l’avoit aresté

Que son decret ne feust encontre toy jetté ?

Les Empires puissantz, les grandes Monarchies

Sentirent de son bras les forces ennemies ;

Alors qu’il transporta le grand Assyrien

Au Medois, le Medois au Sophy Persien,

Et le Perse au grand Roy de la fertile plaine

De l’Emathie, et puis à la grandeur Romaine ;

Puis l’Empire Romain à l’Empire Gregeois,

Et l’Empire des Grecs à celuy des François.

Bref soubz le Ciel vouté il n’y a jour, ni heure,

An ny moys ny saison, qui nostre estat asseure.

« Car rien n’est asseuré et la fatalle mort

« Prend le grand, le petit, le debile, et le fort :

« Les Royaumes ne sont à la grandeur celeste

« Non plus que d’un berger la petite casette.

    Ne soys donc Mont-pellier choleré contre moy

Si je dis que tu as la faveur d’un grand Roy,

L’appuy d’un grand Monarque en qui luit à merveilles

Des graces, des vertus, des bontez nompareilles.

C’est un bon Mecenas, car ce Mecene peut

Tout seul plus que tous ceux qu’onc la France conceut.

Et qui a sa faveur, sa grandeur liberale

Luy faict sentir des fruicts de sa bonté Royalle.

    Que si ceste grandeur, si ce soleil François

Nous vouloit departir de ces libres octroys,

Si son plaisir estoit d’avoir pour agreable

De donner à Poictiers un pouvoir tout semblable

A celuy que tu as, elle recognoistroit

Que Poictiers en honneur moindre ne paroistroit.

Car que nous reste-il ? des enfans d’Epidaure

(Merveilles de ce temps) Poictiers reverdist ore ;

Et des Pharmatiens une troupe qu’on croid

Qu’en la France de tels trouver on ne sçauroit ;

Je ne les veux vanter je ne veux que ma Muse

A chanter leurs vertus curieuse s’amuse,

Leur reputation espanduë par tout

Les fait cognoistre assez d’un Monde à l’autre bout ;

Et leur gloire fameuse engravée en mon livre

Immortels les fera apres leurs cendres vivre :

Et de tels Pharmatiens doivent sans contredits

Emporter le renom sur ceux du temps jadis.

Faictes donc (Monseigneur) que vostre bien-veillance

Fasse voir à chascun quelle est vostre puissance ?

Que Poictiers comme chef et principal sejour

Du Poictou, de l’honneur, des Muses, de l’Amour,

Resente à l’advenir du Roy les biens propices

Soubz les jours fortunez de ses heureux auspices.

Et que par vous il soit tellement incité

Qu’à nous faire du bien il ait la volonté.

Puis apres je diray (et le tout sans vantance)

Que les simples nous sont en tres-grande abondance,

Que nous avons des fleurs en si grand’ quantité

Qu’ailleurs ne s’en void point telle varieté ;

Nos jardins sont remplis de belles rares plantes

De vertus, de beautez, de couleurs differantes.

Bref je ne pense point qu’en ce tour spatieux

On peust rien voir plus beau plus rare et gratieux :

Que si de nos Jardins les beautez ne sont telles

C’est sans artiste soin, elles sont naturelles,

Du Roy la bien-veillance au vostre on voit paroir,

Et la simplicité aux nostres on peut voir.

Et quelque soing qu’ayez à gouverner vos plantes

Les nostres paroistront tousjours plus excellentes

Car sans art nos Jardins en tout temps se font voir

Garnis de belles fleurs agreables à voir.

Tesmoing cest abregé du Monde les merveilles,

Ce magazin de fleurs et plantes nompareilles

Du curieux PERNAN qui en toute saison

Fait trouver un Printemps au jour de sa maison ;

Chez qui l’Hyver, l’Esté, le Printemps, et l’Autonne,

De diverses couleurs le Jardin se coronne ;

Qui d’Arbustes divers, d’arbres, et d’arbrisseaux,

De bulbes differents les plus rares et beaux,

A telle quantité ; qui des plantes fibreuses,

Qui des plantes qui ont racines tubereuses,

En ses quatre quartiers loge si proprement

Qu’à les voir l’on diroit que l’on void clairement,

Le bizarré contour de la vermeille Aurore,

Alors qu’à son lever le Monde elle redore.

    Je ne veux m’amuser à d’escrire en ce lieu

Les Jardins où souvent Apollon ce grand Dieu :

Va joyeux s’exercer avec sa troupe entiere

Qui sont les verds bosquets du sçavant BOUCHETIERE,

Du Jardin plus fameux qui est, fut, et sera,

Memorial sans fin du sieur du Puy-terra.

    Ce n’est là que je veux que ma muse s’arreste,

Je veux bien l’eslever dessus un plus haut feste,

Je veux presentement qu’avec la trompe en main

Elle passe hardiment ce grand destroit Thebain.

Qu’elle passe les mers et qu’aux terres loingtaines

Elle chante de Dieu les bontés souveraines.

Qu’elle chante un thresor, et que son fredon net

A tous fasse sçavoir de mon cher Cabinet

Les recueils differens, que j’ay des ma jeunesse

Avarement cherchés plustost que la richesse,

Cabinet qui en toy contiens tout le plus beau

Et qui loge à l’envy comme dans un tableau,

Richement relevé des quatre coings du Monde

Ce qui vit dedans l’air, dans le feu, terre, et l’onde.

Cabinet qui n’est point de marbre Parien

Garny, ny des thresors du riche Phrygien,

Mais qui tel que tu es vas passant en loüange

Et le Tigre, et le Nil, et l’Euphrate et le Gange.

Mais c’est trop s’esgarer : sus sus ma Muse il fault

Redonner à nos fleurs ce resveillant assault ?

     33. Sus resveillez vous donc ? vous ô testes pointuës,

Qui remplies d’orgueil perçés les hautes nuës,

Irritées je croy ? et tristes au Soleil,

Nous ressemblez monstrer vostre cholere à l’œil,

Jalouses de l’honneur : Car la beauté merite

Loüange qui ne soit trop vile, et trop petite.

Cessés mignardes donc, cessez vos justes pleurs,`

N’offencez vos beautez par vos tristes douleurs.

Ce n’est point par oubly si je vous ay laissées

Ce n’est point par desdain si vous n’estes posées

Au plus beau de ce lieu : Mais chacun doit avoir

Lieu scelon son merite, et sçelon son pouvoir.

Toy qui semble le pied de l’oyseau d’Erycine,

Pourquoy t’offences tu ? veu mesme que Cyprine

Grande, aymée des Dieux, la mere des vivants

Ne s’offence si tost : Toy des oyseaux joüants

Dedans l’air baloyé, le prodigue exemplaire

De l’humble charité du filz envers le Pere,

Pourquoy s’arme ton bec ? ô quiconque tu sois

Qui du veillant trouppeau qui forme un Y Gregeois,

Portes le bec pointu ; de si superbe audace

N’ensanglante les tiens au milieu de la place.

Ains sage et bien appris au milieu du trouppeau

Qui suit ta majesté, monstre nous ton plus beau ;

Comme aussi fais nous voir des autres les especes,

Dont les fleurs rouges sont, fusques, pourprines, perses.

     34. Quoy, je pense sortir du combat d’un costé,

Et soudain je me voy par un autre acosté ?

Ah ! pauvrettes cessez, que vos voix coaxantes,

Ne soyent à mon discours aucunement nuisantes :

N’empruntez ceste voix ; contentez vous du nom ;

« Assez acquiert celuy qui a vogue et renom.

Vous estes en estime, on faict de vous grand feste,

O belles qui portez le surnom de la beste

Prophete du Printemps : puis les rares vertus

Qui vont suivant de pres vos corps de vert vestus,

Meritent que l’on façe à vostre grande suitte

Un hymne triomphal, plein de vostre merite :

Car trois fois douze fleurs, ou plus encore font

Ce Jardin glorieux des beautez qu’elles ont.

     35. Bon Dieu ! quel escadron, quelle tourbe mutine

Est-ce qu’icy j’entends ? et qui droit s’achemine

A moy d’un pas hardy, et qui pousse au devant

(Signe de sa grandeur) un je ne sçay quel vent ?

Vent supernaturel, vent qui de la Sabée,

Aporte avecque soy la senteur desrobée !

Tout beau belles tout beau, patientez un peu

Car je vous garde bien l’honneur qui vous est deu.

Croyez que vous serez, en ce verd edifice,

Celles qui rendront beau l’oeilladé frontispice,

Ne pouvant presumer que soubs le Ciel astreux

Il se puisse rien voir de plus rare à noz yeux.

    Toy grosse de parfums, de qui la fueille semble

De l’arbre d’Hercules la tousjours fueille-tremble

Lequel ayant vaincu l’hydreux abboyant chien

Pour memoire à jamais, brave Tyrinthien,

Glorieux d’avoir faict si loüable conqueste

De ton rameau larmeux se coronna la teste.

De la façon qu’on void de chesne environné

Jupiter ; et Phœbus du tousjours verd Daphné ;

Minerve d’Olivier bravement entourée,

Pluton de noir Cypres, de Myrthe Cytherée,

Le Prince des Amours de Rose au tein vermeil,

Bacchus de Lierre verd, puissant dompte-sommeil ;

Pan le dieu chévre-pied de Pin orner sa tresse,

Cybelle de Sapins, Neptune de la Pesse,

Junon de Lys tres-blancs, et nostre grand Heros

De ce Peuplier pleurant, arbre remply de los ;

Arbre riche, arbre beau, arbre pieux, sincere,

Arbre qui vit d’ennuy, pour la mort de son frere :

Arbre qui va jettant dans l’Eridan cornu

La gomme que ses flots donnent pour revenu

Aux contadins du pays, et aux terres voisines,

Quand enflé furieux par fois il se mutine.

Que le Soleil apres de ses bruslants rayons

Durcit pour transporter en mille nations :

Dont les Dames du lieu pour paroistre plus belles,

En parent richement leurs poictrines jumelles,

Leurs cols leurs bras mignons et leurs doigts amoureux,

L’Orfebvre sa boutique, et le marchant heureux

Son vaisseau voyageant du Po jusqu’en la France,

Et aux lieux où il croit agrandir sa chevance.

    Toy masle Sauge feuille, et toy femelle aussi,

Pourquoy n’esteignez vous mon eternel soucy

Par vostre belle fleur ? vostre incarnate Rose,

Qui vermeille obscursist de l’Aurore declose

Les habits emperlez, quand son vieillard grison

Dort paresseusement dessus nostre Orizon ?

Toy qui sembles de feuille à ceste herbe sublime,

L’herbe deschasse-faim, la mariniere Halyme ;

Aproche librement, toy belle qui du Thim

Porte la feuille aussi : Toy qui du Rosmarin,

Toy qui de la Lavande, et vous trois qui du Saule,

Du Myrthe, et Marjolaine, avez la feuille et caule,

N’usez point de desdain, ains toutes librement

Venez nous faire voir vostre beau parement ?

Touttes je vous semonds par l’apparance extreme

D’où belles vous jugez qu’ardemment je vous ayme ;

Belles si le Soleil nous faict rien voir de beau

De son bers radieux jusques à son tombeau.

    Car l’Eternel ouvrier n’a d’une vertu seulle

Honoré vostre espece, ains dessus vostre fueille

Il fait pleuvoir un Ros, dont le barbu menton

Des chévres et des boucs se charge ce dit-on,

Lors qu’ilz broütent gloutons les gras-gluans fueillages

De vos tendres jettons, aymez sur tous herbages ;

Quand costoyans autour, leur long-poil blanc-barbu

De ceste riche humeur se trouve tout imbu.

Quel plus rare plaisir de voir par les campaignes

Dix mille boucz lascifs avecques leurs compaignes

Folastrement broutans ? et des feuilles et fleurs

Sur leur poil largement remporter les liqueurs

A leurs maistres qui n’ont pour leur vie autre attente

Qu’à r’amasser en un ceste liqueur gluante,

Pour la vendre en apres au Cretois opulent,

A l’Esclavon, ou bien au Cyprien marchant,

Ou à celuy qui vient des terres estrangeres,

Pour enlever ce suc et autres drogues cheres,

Que la vineuse Cypre heureusement produict

Soubs le climat germeux de son tresgrand circuit.

Rares riches, pour qui tant de grands personnages

Ont employé chantant une part de leurs aages,

Pour qui ma Muse encor veut chanter ceste fois.

Belle qui emportez des prez, monts, et des boys

Le renom le plus grand : doncques Clio, Thalie,

Terpsichore, Eraton, Calliope, Uranie,

Euterpe, Melpomene, et Polymnie encor,

Toutes neuf accourez pour chanter un thresor ?

Non pas du Phrygien, d’un Crese ou bien d’un Daire :

Mais l’unique beauté sur qui Phœbus esclaire ;

Et sur qui plus il faict largement apparoir

Les Celestes vertus de son divin pouvoir,

En faisant que tant plus son feu bruslant rayonne

Tant plus ceste liqueur liberal il nous donne :

« Presant qui n’est petit : Car le presant d’un Dieu

« Est agreable à tous en tout temps, et tout lieu.

Et outre il croist au pied de vostre caule, un germe,

Dont il se faict un suc, d’une vertu tres-ferme ;

Qui seiché au Soleil, et par soing espuré,

Aporte à plusieurs maux un remede asseuré.

Voila comme vos fleurs, feuilles, et sur-racines,

Seules ne sont pour nous mises en medecines :

Ains le tout nous est beau, tout est exquis en vous,

Et rien n’en sort, qui n’ait effect utile à tous.

     36. Icy la verte-blanche et solaire fleurette,

Qui du Grec en François laict d’oiseau s’interprette,

Marche d’un large front et d’un orgueilleux pas :

Six compagnes de loing cheminent sans compas,

Ne voulant point ceder leur nombre septenaire,

A un nombre plus grand, bien que Sexagenaire.

     37. Sexagenaire trouppe honneur des riches prez,

Honneur des monts, des bois, des valons diaprez,

Des hommes esmaslez, rare-riche remede,

Remede pour Venus, qui tous autres precede,

Et qui portez le nom des Faunes esvantez,

Et qui du Redempteur la main represantez ;

Qui du chien masle encor portez en la racine

Les dents, et les tesmoings, propres en medecine,

Dont maints glacez amants, et maints vieils amoureux

Usent pour engendrer plus de chaleur en eux ;

Pour au doux jeu d’Amour avoir plus de puissance

De fournir au deffaut de leur rare semence.

     38. He ! quelle ceste-cy qui semble avoir en main

Un Sceptre Imperial, honneur du genre humain,

Qui superbe en ses pas meine pour son escorte

Suitte de deux fois-trois de sa semblable sorte.

     39. Vous qui belles semblez et qui portez le nom

Du flambeau de la nuict, qui avez le renom

D’un blanc-luisant satin, dont maintes damoiselles

Decorent par honneur leurs poictrines jumelles.

     40. Cyllenien aislé, pere des bons esprits,

Admirable inventeur de ceste herbe de prix,

Plante qui prens des dieux le nom par excellence

Plus que toutes estant remplie de puissance,

Qui du poëte Grec aveugle as le surnom ;

Dont la racine semble au cuisinier oignon ;

Qui pour exorciser as des vertus habiles,

Et aux enchantemens des moyens fort utiles,

Qui font que les sorciers par accidens divers

Font des miracles grands par ce grand univers.

     41. Vous letheanes fleurs, dont les testes coupées

Rendent un laict tout plein des effects des Morphées,

De dormirs eternels, si le suc épuré

D’Antidotes certains n’est tresbien preparé.

    ** Et toy belle l’honneur de la campaigne aride

Du bourg de Martigny, belle Sesamoïde,

Petite, que le soing grandement curieux,

Du docte L’AGUILLIER a faict voir à nos yeux,

Faict prendre à belles mains, faict arracher de terre

Pour les planter apres en son riche par-terre

Pour lequel nous devons d’une commune voix

Invoquer Apollon, pour que ses minces doigts

Tonnent à sa loüange un Hymne poëtique

Sur son luth resonnant d’un beau Mode Dorique :

Les Muses ce pendant de souëfves odeurs

De Roses et Baccar luy coronnent de fleurs

Son chef, et que tousjours au bord des rives molles,

D’un burin eternel sur l’escorçe des Saules

L’on engrave son nom, qu’à la posterité

Par nos futurs nepveux DEPERNAN, soit chanté,

     42. Vous qui portez le nom de ce Roy d’Illirie,

     43. Gentie surnommé : Vous dont la fleur cherie

D’un astre flamboyant qui bluette semblez,

Vostre trezeine troupe à ce bal assemblez ;

Pour aporter du lustre, et pour donner lumiere

A ce Jardin l’honneur de ceste prime-vere ?

     44. Mais qui sont celles-cy, qui pleines de venim,

(Belles pourtant de fleurs) se mettent en chemin ?

Et faschées s’en vont à la teste baissée,

Prendre de ce Jardin la place mieux gencée ;

Royne folle d’Amour, qui pour le fils d’Eson

Endormis le Dragon, pour avoir la toison

De l’or Pactolean ; Royne qui sçeus bien faire

Pour agréer au fils, rajeunir le viel pere :

Et qui traistre à la fin osa bien attenter

Trop indiscretement, de tes yeux s’absenter :

Ton Royaume a donné à ces bulbeuses plantes

Le nom, dont les vertus sont beaucoup differantes.

     45. Vous qui belles semblez à l’enazé museau

Du cornu porte-Europe, alors qu’au bord de l’eau

Il bondit au Printemps, en une verte prée

Quand libre exempt du joug muglant il se recrée.

     [47]. Toy dont la feuille sert, et qui portes le nom

De l’effect, pour lequel tu as vogue et renom :

Feuilles porte-coton, porte-fil porte-laine,

Brulante et esclairante, en une lampe pleine

D’huile, ainsi que feroit le filet estillé,

Ou le Malthois coton par la femme filé ;

Comparois hardiment, que ta fleur rougissante

D’honnorer ce Jardin ne soit point refusante ?

Fay marcher apres toy d’un signal, pour la voix,

Ta suitte qui parfaict nombre douze fois trois.

     [48]. Vous belles qui semblez aux griffes tres-pointuës

De l’Aigle imperial, hautaine dans les nuës,

Dont vous portez le nom monstrez vostre valeur ?

Belles, qui de la mere à nostre Redempteur,

Portez des guans le nom ; faites que vos especes

Comparoissent icy en leurs robes diverses ;

Car sans vous nous n’aurions le moyen de rien voir

De ce qui beau se peut dire en ce bas terroir.

     [49]. Toy belle qui fais voir dans ta fleur l’excellence

Des diverses couleurs de l’arc de l’alliance ;

Monstre nous ton plus beau, et semonds librement

Le bulbeux jaune-fleur, à paroir promptement,

Assisté du bulbeux à la fleur cerulée ;

Du bulbeux dont la fleur est de bleu variée,

Du deux fois florissant, et du grand Dalmatic,

Du Susianïen, du blassard Illiric,

Et les autres restans, fay marcher de vitesse

Pour en ce beau jardin estaler leur richesse,

Car trois fois dix et plus, d’un front bouffi d’orgueil,

S’ouvrent en cette place au lever du Soleil.

     [50][51]. Et toy blanche du laict escoulé par fortune

Du tetin de la fille au pere de Neptune,

Femme et seur de Juppin Emperiere de l’air

Qui commende en la terre et dans l’ondeuse mer,

Avec tout le scadron de ta bande amyable

Assiste à cest amas de ta grace agreable ?

    Vous Orangées fleurs qui fleurissez si tard.

Vous flammeux qui portez dans vos habits à part

Le bulbe semencier, qui semé represente

En sa perfection toute la mesme plante.

Vous rouges bien aimez, mon desir printanier,

Qui mes soucis cuisans me faictes oublier,

Lors que j’admire en vous tant de graces infuses,

Tant de rares projects, tant de graces confuses,

Tant de varietez, dignes cent et cent fois

D’enrichir les Jardins des Princes et des Roys :

Ornez mon beau JARDIN, belles fleurs d’excellence,

Rien de beau ne se void que par vostre presence ?

     [53]. Toy superbe croisé, dont ta fleur, le Turban

Semble du Persien, ou du Turc Othoman,

De cette belle escadre ayes soin je te prie,

Et de te faire voir un long temps ne t’ennuie ?

     [46]. Toy qui porte le nom de cest oyseau Royal

Dont la parlante voix, d’un discours jovial

Esjoüist du passant, renfermé dans sa cage,

L’humeur melancolic qui son cerveau ravage ;

Quand d’esclatante voix il se nomme tout haut

Le cher mignon du Roy, à qui donner il faut

Le friand desjuner, et folastre babille

Et raconte aux passants les secrets de la ville.

Mes yeux jeunes ont veu et mille et mille fois

Dedans Romme au palais d’un Cardinal François,

Un de ces animaux : dont l’affetté langage,

Artistement apris par un frequent usage,

Raportoit proprement d’un disert Orateur

Les doux-graves discours : Car d’un propos flateur,

Tantost il entonnoit de Petrarque la Laure ;

Et tantost de sa voix il allumoit encore

Les feux Gregeois esteints : Et tantost en latin,

Il disoit quelques vers ; puis quand son avertin

Le prenoit, il chantoit tantost un Vau-de-ville,

Tantost une Pavane, or d’une voix pupille

Contrefaisoit l’enfant, puis en discours divers

Il amusoit le peuple, or en prose, or en vers.

Si que le Ciel qui void tous les thresors du monde,

Ne voioit rien plus beau sur la terre et dans l’onde.

    [**] Je te salue aussi toy feuille qui produicts,

Par toy seule racine, et fleurs, feuilles et fruicts :

Fruicts du fruict du Figuier ayant la resemblance,

Mais non le goust si bon, ny si plain d’excellence :

Qui rare te fais voir et te fais admirer

Dans le riche pourpris du Romain, Bel-veder ;

Où mainte et mainte fois j’ay senty arestée,

En admiration ma jeunesse escartée ;

Regardant par merveille en une feuille, tant

De feuilles, qui s’aloient l’une sur l’autre entant.

    C’est toy cher MORICEAU, c’est toy fils de Permesse

Qui me fais posseder une telle richesse,

C’est de toy que je tiens un si riche thresor,

Que je n’estime moins que les perles, et l’or

De l’Inde precieuse : et que cent fois encore

Ce que void ce grand œil qui le monde redore :

Ce sont de tes bien-faicts Moriceau : mais croy moy

Qu’un jour j’entonneray ton beau renom : mais quoy ?

En un subject si beau faut-il que je m’arreste ?

Non, il ne le faut pas ; Muses tost qu’on m’apreste

D’un doucereux Nectar un hanap Pithyen

Pour grimper plus dispos au mont Permessien :

Où glouton je boiray à longts-traicts non sans peine

Des bouillons Ambrosins de la source Hypocrene,

Pour chanter à jamais enivré de vostre eau

Les singularitez que j’ay de Moriceau ;

Que l’on void aujourd’huy paroistre par merveilles

Dedans mon Cabinet plein de choses nouvelles ;

Que l’Inde, le Peru, que le Nil, que le Nord,

Ont jetté par faveur sur le bigarré bord

Du Clain profond ruisseau : où la faveur divine

M’a faict en cest endroit favorable Lucine.

     1. Toy pleureux Crocodil qui as daigné quitter

Ton Gosen serpentant, pour venir visiter

Le Poictou qui chez soy ne void mourir ny naistre

Reptile si puissant, le premier, viens paroistre

Dedans mon Cabinet ? indigne toutesfois

     2. D’estre ton gardien. Toy quiconques tu sois

Qui resemble à te voir le monstre que Regule

Attaqua vivement, quand le gros de Romule

Intimidé dessa tant de sortes d’engins,

Qu’il en eust ruiné l’Empire des Romains

S’il eust voulu tourner ses armes homicides

Ennemy du repos (comme nos patricides)

Vers son pays natal : monstre icy ta longueur

De plus de treize pieds ; et ta ronde grosseur

A tous ceux qui diront, ô comment la puissance

Du trois fois tout-puissant a peu donner naissance

A un si gros, si long, si furieux serpent !

Sur le ventre en la terre, et sous l’onde rempant :

Et dis à haute voix (au moins si la parolle

Te vient ; mais en cecy je sers de protecole,)

Faictes à Moriceau, humble remerci’ment

Car par luy vous avez l’heureux contentement

De me voir en ce lieu, ayant quitté mon maistre

L’Apollon Rochelois ! pour me faire paroistre

Dedans le Cabinet de Contant, qui chez soy

A dequoy contenter l’esprit mesme d’un Roy.

« Ce n’est pour me vanter : Car de soy la ventance

« Rejaillit contre nous ; Mais je puis sans jactance

Malgré mes envieux à present faire voir

Les plus rares beautez qu’ores on peut avoir.

Je sçay bien que plusieurs soit d’amour soit d’envie

Vont disant hé ! CONTANT tu consume ta vie

A chercher curieux de la terre et des mers,

De l’air mesme et du feu, les animaux divers ?

Il est vray ; mais pourtant croy, toy qui veux t’enquerre

Des actions d’autruy, que ce soing ne m’atterre,

Ni ne me faict quitter par vaines passions

De mon Estat chery les occupations.

Ains servant au public ainsi que Dieu l’ordonne

De mon Art tressoigneux, quelques-fois je me donne

Une heure de relasche ; et par fois au matin

Je visite les fleurs de mon petit Jardin :

Petit en sa grandeur, mais bien grand en la chose

Que la terre en son sein tient cherement enclose.

Tantost pour esveiller mon esprit curieux

Je sors à la campaigne, où je cherche les lieux

Propres pour contenter le subject qui me meine,

En recueillant les fleurs naissantes par la pleine :

Dont j’ay faict un amas, si grand qu’à peine l’œil

Peut voir en mille endroicts un plus riche recueil.

Bref mon ambition n’est d’estre Roy ny Prince,

Juge ny Magistrat, ny chef de la Province,

Je ne veux point qu’on die, haissant ce qu’on peut,

Contant a de grands biens ; car cela ne m’esmeut :

Et ma profession honneste ne me donne

Les moyens terriens, mais la riche Coronne

« De l’immortalité : Et le bien ne faict pas

« L’homme heureux, mais ouy bien, les œuvres du trespas.

    Si doncques la faveur de la toute puissance

Quelques fois me faict voir les doctes de la France,

Je ne suis point si peu d’entendement pourveu

Que je n’advoüe assez cela ne m’estre deu :

Et si les Princes grands des terres Germaniques,

Et si des Electeurs les parents magnifiques

Honorent mon sejour ? je n’en suis glorieux,

Ains contentant en tout leurs espritz curieux

De mon rare recueil, selon ma suffisance

J’en donne librement à tous la cognoissance :

« Car sçachant quelque chose et ne le dire pas

« C’est estre trop ingrat, du sçavoir que tu as.

     3. Le reptile Toüous est de la compagnée,

Et l’Iuanas encor ; et la pointe acerée,

     4. 5. De l’Aiguille de mer : le furieux Tiburon

I preside : Et d’honneur le marin Herisson

De ses pointes armé, dont les vives pointures

Des viperes en rien ne cedent aux morsures.

L’Arondelle de mer : et l’Uletif denté ;

     6. La Squatine : et encor le Creac hault-vanté.

     7. Et le subtil Dragon l’ennemy de Nature,

Qui sans cesse et sans fin l’humaine creature

Tasche de renverser par mille efforts divers

Soit de jour soit de nuict dans ce vaste Univers.

Qui tascha d’acabler celuy que la puissance

Divine, avoit logé dans l’Eden d’innocence,

Apres que du limon son invisible main

L’eut fait Prince absolu de tout le genre humain ;

L’eut creé, non conçeu, sans Pere, Ayeul, ni Mere,

Sans Oncle, sans Cousin, sans Tante, Sœur, ni Frere.

Ce fût toy faux Dragon Insecte veneneux

Qui le fis tresbucher dans l’Orque tenebreux ;

Apres que du grand Dieu la haulte prescience

Luy eust dict, voy ce bois ? C’EST L’ARBRE DE SCIENCE :

Ne mange de son fruict ; car des ce triste jour

Des Palus Stygieux s’ouvrira le sesjour :

La mort parmi les champs tournoyant vagabonde

Tranchera de sa faux tout ce qui vit au monde.

Mais disons maintenant de ta subtilité

L’histoire malheureuse à la posterité !

    A peine le grand œil du Roy de la Nature

Eut contemplé d’Adam l’admirable structure,

Admiré sa beauté, ses yeux, son front hautain

Sa bouche, son discours, ses bras nerveux, sa main ;

Qu’il voulût pour dompter l’effort des destinées

L’armer de l’instrument de mille races nées.

Si bien que luy donnant quelque jour à propos

Un sommeil chasse-ennuy, sans troubler son repos

Tira de ses costez un corps, tout saint, tout sage,

Tout vierge tout aymable, et si clair de visage,

Qu’esveillé le voyant si parfaictement beau

L’embrasse, le cherit comme un ayde nouveau ;

Et d’un esprit rempli de saincte Prophetie

Dict : à ce coup voicy la vie de ma vie :

Voicy l’os de mes os et la chair de ma chair,

Digne ouvrage du Ciel qu’à jamais j’auray cher !

O belle et douce fleur ! Eve ma doulce envie

Accepte mon amour pour le cours de ta vie ?

    A ces mots si mignards, nostre mere receut

Tant de baisers muetz que ravie elle en fut,

Et sucçant ce doux miel de sa lévre pourprine

Sent ses mesmes desirs, à luy seul se consine,

Humble et chere moitié. Quand l’Eternel passant

Dict, Adam ô Adam, de tout arbre croissant

Dedans ce Paradis, je te donne l’usance

Fors de cest arbre icy ? C’EST L’ARBRE DE SCIENCE,

Te jurant de par moy, que si quelque desir

De gouster de son fruict vient ton ame saisir,

Tu n’en auras mangé si peu, qu’à la mesme heure

La Parque aura chez toy pour jamais sa demeure,

Et de vaisseau creé par ma dextre immortel

Tu seras pauvre, esclave, imparfait, et mortel.

    Il eut dict : et soudain les laisse, et se retire :

Toy Dragon cependant à la femme vins dire

Pauvre que penses-tu, quoy ? ne voids tu pas bien,

Que Dieu, Dieu ne veut pas, que connoissant le BIEN ;

Tu sois semblable à luy ? ce n’est que par envie

Qu’il deffend de manger de ce doux fruict de vie ?

Car si vous en aviez gousté, tout aussi tost

Vous seriez comme Dieux et dans l’Olympe haut

Comme luy vous auriez une place immortelle,

Joüissantz eternels d’une gloire eternelle.

    A ces mots doux-trompeurs, elle empoigne du fruit

A sa chere moitié succintement desduit

Ce que contre l’arrest de la saincte ordonnance

Ta voix luy conseilloit soubs l’humaine apparence.

    Mange mange ô mon cœur, ma vie et mon soucy

De ce fruict deffendu sur tous les fruitz d’icy ?

Qu’il est beau, qu’il est doux, ô qu’il est agreable !

Si j’en mange, ô m’amour feras-tu le semblable ?

    Adonc Adam forcé du sort injurieux

Et vaincu des attraitz de ces motz specieux,

Prend le fruict oste-vie, et pour plaire à sa femme

Plus qu’au Saint-d’Israël avec ses dents l’entame :

Mais ce couple deçeu n’en eut si tost masché

Qu’il sentit dedans soy les coups de son peché ;

L’un et l’autre voyant leur corps nuds miserables

Dignes de mille mortz les plus espouvantables ;

Craintifs vont dans les boys, et pour leur chair cacher

Leur main sçait d’un Figuier les fueilles atacher

Proprement l’une à l’autre ; et mains ingenieuses

S’en voiler dextrement leurs parties honteuses.

Du grand Dieu cependant la loing-tonnante voix

Appelle Adam Adam, muçé dedans les bois

Où es-tu ? parle à moy ? responds ô detestable ?

Pourquoy te caches-tu ? dont tu te sents coulpable

De quelque grand forfait ? Ah ! Seigneur (dit Adam)

J’ay mangé de ce fruit interdit, à mon dam,

Ma femme ma compaigne avec la vehemence

De ses sucrez discours a brisé ma constance ;

A forcé mon dessein, a flestry mon honneur,

M’en a mis dans la main. C’est pourquoy Monseigneur

Voyant ma nudité, honteux devant ta face

Je me cache, et pourtant je ne puis trouver place,

Que l’horreur du delit, commis encontre toy

Ne me face fremir Monseigneur et mon Roy !

    Femme pourquoy as-tu commis si lourde faute

(Dit alors du grand Dieu la Majesté tres-haute ?)

    Seigneur le feint parler du Serpent seducteur

Soubz cest arbre (dit elle) enfanta ce mal-heur.

    Meschans qu’avez vous fait ? Toy homme en recompense

Du mal qu’as perpetré par desobeissance,

Du labeur de tes mains tu nouriras ton corps,

Car la terre de soy ne produira rien fors

Que ronces, que chardons, qu’espines trespoignantes

Au lieu des fruicts naissants des arbres et des plantes.

    Toy femme desormais, quand enceinte seras

En douleurs et travaux tes filz enfanteras.

    Et toy cruel Serpent ramperas contre terre :

Entre la femme et toy je mettray forte guerre,

Guerre entre sa semence et ta semence aussi ;

Elle t’écrasera ton orgueilleux sourcy,

Et toy à son talon tu feras ta cautelle.

    Ainsi dit le grand Dieu : et ce couple infidelle

Fut chassé pour jamais du verger gratieux

Par le glaive flambant d’un Cherubin des Cieux.

    Tout beau Muse tout beau destandons le cordage

Calons voyle à propos jettons l’Anchre au rivage.

C’est assez sillonné ce Neptune profond,

Encor qu’un beau dessein nous serene le front :

L’effort du vent jaloux qui le gonfle en sa rage

Nous menasse à tous coups d’un perilleux naufrage.

Mon Dragon seul motif de ce sacré discours

Doibt icy limiter la force de son cours :

Que si sa rareté quelque chose merite,

Disons-le brefvement : son seul portraict incite

Les esprits plus grossiers à contempler sans fin

Les merveilleux effects du grand Dieu souverain,

Sa corne sur son chef profondement entée

Plus rare qu’onc ne fut la corne d’Amalthée,

Ses ailerons, ses pieds : bref tout son corps entier

Entre les corps rampans porte le front altier.

     8. Ces ronds-globeux poissons ces poissons qui dans l’onde

Portent le nom qu’on donne à la machine ronde.

     9. Et celuy qui tousjours contemple curieux

Du Ciel haut eslevé le plancher radieux.

     10. Et cest oyseau qui a un gros bec si difforme

A la comparaison de la petite forme

De son corps enrichy de si belles couleurs,

Que le printemps ne peut de ses bizarres fleurs

A nostre œil curieux estalant ses merveilles,

Nous en faire admirer de plus riches et belles.

Bref ce petit oyseau est sur tous estimé

Pour son bec, pour son corps richement emplumé.

     11. Toy leger Canoé, qui sur les ondes perses

Comme un trait descoché les grands costes traverses,

Qui conduit dextrement sans Voile, ny Timon,

Sans Antenne, sans Mas, sans Poupe, n’Aviron,

Par l’expert Indien, sans crainte du naufrage

Tout seul bien asseuré dans le fort de l’orage

De l’ondeuse Tethis, chasse en mille fassons

De l’irrité Neptun les monstrueux poissons :

Et qui lassé de faire en un lieu sa demeure

Te chargeant sur son dos cherche place meilleure,

N’ayant point de pays qui le peust obliger

Ni sa famille aussi pour tousjours s’y loger.

Et comme nous voyons les vistes Arondelles

Qui traversent les mers chercheant les saisons belles

Pour trouver en touts lieux les desirez prin-temps :

Ainsi ces Indiens chargent en certains temps

Leurs femmes, leurs enfants, et dans leurs Barques vistes

Passent en un moment les pleines Amphytrites

     12. Puis ce rare Uletif qui porte dans son front

Ainsi que la Licorne un estoc qui desrompt

Sans pitié ny mercy, des troupes escaillées

Les mille legions sousb les ondes sallées :

Semblable au roide-bras, qui au fort du combat,

Or la teste, or l’espaule, or tout le corps abat

De son fier ennemy, et qui bravache appelle

Les plus hardis soldats de l’armée rebelle :

Luy furieux decoupe, et en un tourne-main

Fait voir plus d’ennemis terrassez par sa main,

Qu’un entier escadron au plus fort d’une guerre

N’en sçauroit en un jour bouleverser par terre.

     13. Cest aceré couteau, cest Espadon de mer,

Qui peut d’un coup d’estoch perçer en plaine mer

Des voyageurs la Nef, et qui tousjours fait guerre

Aux animaux muets de son droict Cymeterre.

     14. Ce Lezard estranger qui porte et à propos

Mille traicts mols-pointus pour l’honneur de son dos,

Et qui monstre outreplus soubs sa gorge une creste

Ressemblant celle là qu’a le Coq sur la teste.

Tant d’autres animaux qui rares se font voir

A ceux qui ont desir de les faire valoir,

Honorent le sejour d’une grace gentille

     15. Du cuirassé Tatou : et de son Armadille.

     16. Armadille l’honneur de l’esmaillé trouppeau,

D’escailles tout couvert au lieu de tendre peau,

En ta creation sur tous le plus estrange

Pour tes rares beautez seul digne de louange.

    Car quel chef conduisant une armée pourroit

S’armer plus dextrement (quand mesme il le voudroit)

Quel chef dont la valeur d’une armée bien joincte

Ayant reçeu l’honneur de la premiere poincte ?

Qui void et qui cognoist et qui ja tout certain

La cruelle Atropos luy lancer de sa main,

Le dard envenimé et qui n’attend que l’heure

Du coup qui luy dira, sus il faut que tu meure :

Se pourroit mieux armer ? Car soit qu’il ait l’Armet

En teste, et sur son dos le luysant Corselet,

Des brasards, des cuisarts, et les mains guantellées,

Garnies dextrement de piesçes escaillées,

Que son corps soit par tout couvert de fer mouvant,

Et qu’ainsi bien armé ne craigne le devant,

Ains chef bien aguerry avecques sa rondache

Attaque vivement l’ennemy qui bravache :

Ceste armeure n’est rien, ceste armeure n’est point

Digne d’estre esgallée à celle qui le joint

D’un naturel ressort, et qui tousjours est preste

De soustenir le chocq de l’ennemye beste.

     17. Le Stinc venerien : le Remore petit

Qui des vents irritez ne craint point le despit,

Quand son foible museau sur la Nef agitée

Des perilleux efforts de la mer irritée

S’attache vivement : que tous les Aquilons

Que tous les vents en un furieux et felons

S’arment pleins de despit, que toute la machine

Pour esbranler la nef et desplacer s’obstine,

Rien, rien, le tout-puissant qui de telle vertu

La Remore a rempli ne peut estre abbatu :

Ains ferme restera jusqu’à ce que son moufle

Fiché contre la nef, des vents, l’effort ne trouble.

     18. Le Loup, le Chien de mer, la grand’ Chauve-souris

De laquelle se fait des discours pleins de ris.

Un fidelle Escrivain dont la plume autantique

A faict voir aux François l’autre France Antarticque

Nous contant des pays estranges et lointains

Les façons et les meurs, et des Americains

Les plus rares beautez, nous raconte une histoire

Aussi belle à sçavoir que difficille à croire :

Dont l’on pourroit douter, si de plusieurs esprits

Sur ce mesme subject nous n’avions des escrits.

Mais la fidelité de ce grand personnage

Rend d’icelle en tous lieux asseuré tesmoignage,

Comme autheur oculaire, ayant veu de son œil

Le clair sang ruisseler de son plus gros orteil.

    L’Americain dormant en sa natalle terre

Dans son lict de cotton eslevé de la terre,

Pour crainte des serpents hideux et vagabonds,

Qui sont en ces Pays aux hommes furibonds,

Et qui pour empescher leur cuisante morsure

De s’eslever tels licts a eu le soing et cure :

Bien souvent encourroit d’un Carybde mortel

Le danger eminent dedans son propre hostel.

Si Dieu n’avoit donné (par sa toute puissance)

A ce fier animal de ne faire nuisance

A l’homme sommeillant, quand son pied quelque fois

Nud sort hors de son lict s’aprochant à pieds cois,

Le mord si doucement au gros orteil que l’homme

N’en sentira jamais la morsure en son somme ;

Mais estant resveillé, le matin tout son lict

Se trouve plein de sang, comme si au conflict

Il s’estoit encontré d’une fiere bataille,

Où sans se recognoistre et d’estoch et de taille

On frape l’ennemy, qui souvent ne croit pas

Estre blecé pourtant qu’il soit pres du trespas.

    Ainsi celuy voyant de sang sa couche pleine

Et triste ne sachant ceste cause soudaine

S’estonne : mais alors son voisin qui le sçait

En se moquant de luy luy raconte le faict,

Et luy montrant à l’oeil la cause de sa plainte

Luy fait quitter l’effroy dont son ame est ateinte :

Qui fait que l’un et l’autre en liesse et en ris

Discourent à plaisir de ces Chauves-souris ;

Et l’un d’eux pour tromper et le temps et pour rire

Soudain pour s’esjouir ceste histoire va dire.

    Un jour que le Soleil avoit de touttes parts

Sur la terre eslancé ses flamboyants regards,

Qu’un chascun avoit mis la main à la besoigne,

Que l’un à un estat l’autre à un autre soigne,

Qu’un chascun aspiroit de son artiste main

Gaigner en travaillant pour vivre au lendemain.

    Le serviteur d’un Moine enchargé de son maistre

D’aller dilligemment en quelque lieu pour estre

De retour promptement : obeissant soudain

Se met alegrement à tracer le chemin,

Pour n’estre dit de ceux qui n’ont point de vergongne

De n’effectüer pas la charge qu’on leur donne.

Mais estant de retour une fievre le prit

Ses membres sont tremblans, son visage pallit,

On le void deffaillant, son haleine occupée

D’un Empiemme vray se void preocupée :

Le vermillon desja luy a le rond pommeau

De la joüe entourné d’un léthean pinceau.

Bref on ne void en luy aucun signe qui donne

Esperance de bien pour sauver sa personne.

Là le Chirurgien pour au sang air donner,

Met sa lancette en main, afin de le saigner :

Mais comme tout estoit en peril et en doubte,

De la veine de sang ne sort aucune goutte.

Le voilà donc laissé, comme celuy qui est

De desloger d’icy à la mesme heure prest :

Des-ja le Confesseur en consolant son ame

Du tout-puissant pour luy l’assistance reclame :

L’asseure qu’aujourd’huy dedans son paradis,

Il sera jouissant des biens qu’il a promis

A tous ceux qui auront en luy pleine croyance,

Pouvant les delivrer de mortelle soufrance ;

Or en ce desespoir une Chauve-souris

Se coula dans son lict, et d’un remede exquis

Soulagea le malade ouvrant la Maleole

Veine pres du talon, et saoule s’en revole

Ayant humé du sang pour sa necessité

Et pour remettre aussi le malade en santé.

Voilà comment celuy qui toutes choses donne

Contre l’espoir humain la santé nous redonne.

     19. Le Chancre Molucan de tous le plus parfaict

Et le plus merveilleux que la nature a faict,

Suit la Chauve-souris : puis le fruict admirable

     20. De l’espineux Melon, dont l’escorce est semblable

Aux aiguilles qu’on void sur le porc frissonnant

Qui de dards trespointus est tousjours foisonnant.

     21. Bon Dieu quel cetuy-cy qui dedans l’Amphitrite

Horrible se fait voir entre un amas d’eslite

De poissons escaillez et qui fait furieux

De crainte aux plus hardis surhausser les cheveux ?

C’est le Diable de mer : c’est cest horrible Monstre :

Dont icy la figure ô Lecteur je te monstre :

L’ennemy capital des hommes, et des Dieux :

Va-t’en, retire toy dans l’Orque Stygieux :

Que plus tu ne sois veu, que plus plus sur la terre

On ne sente à jamais ta frauduleuse guerre :

Que Dieu te chasse loing, que Dieu propice et doux

T’oste le droit qu’Adam feit couler dessus nous.

     22. Et ce Soleil de mer qui se veult dedans l’onde

Faire estimer autant que le Soleil du monde.

     23. Ces estoiles qui font au Soleil chasque jour

Par attraicts affetez la recherche et l’Amour.

     24. Puis ce poisson qui a dans sa gueule rangées

Vingt fois dix dents, et plus, proprement arrangées :

Animal monstrueux, qui dans l’ondeuse mer

Tant il est furieux se fait fort estimer.

     25. Mais quel est cetuy-cy quelle horrible Chymere ?

Quel estranger poisson nous jette la mer fiere ?

Quel enorme regard, mais quel poisson gourmand ?

Il ressemble à le voir que l’ondeux element

N’a point dequoy remplir sa grand’ gueule beante

De vivres suffisants, et la rendre contente.

Tais-toy, tais-toy j’ay bien de ton vivre ordonné

Ayant ton feint repas en ce lieu façonné ;

Ne t’enquiers point comment, et ny par quelle adresse

Tu te pourras nourrir Grenouille pescheresse :

Ton esprit inventif qui t’a donné ce nom

Te fera bien trouver le vivre qui t’est bon.

     26. Cauteleux animal qui tousjours fais la guerre

En la mer comme faict le Renard sur la terre,

Qui trompeur et subtil sentant, que l’ameçon

Picque d’un coup mortel ton tendre gavion

Avallant le cordeau jusqu’à la ligne sapes,

Et ainsi finement du pescheur tu eschapes ;

Aux hommes aprenant sans jamais s’afliger

Comme il faut eviter un apparent danger.

     27. Viens aussi librement, ô toy qui tout estrange

Sçelon l’object presant de couleur soudain change ?

Qui timide reçois les diverses couleurs

Accidents trescertains de tes foibles humeurs.

     28. Que l’Ypocampe aussi sans crainte s’achemine

Qu’il paroisse hardiment, mais qu’il ne se mutine ;

Car les petits tousjours ont le cœur fort hautain

Et plus que les grands sont d’un courage mutin :

Animal que sur tous les autres j’ayme et prise,

Que de mes propres mains un jour dedans Venise

Me promenant, je pris tout de son long couché

Dans le trou vermoulu d’un Gondole caché.

     29. Toy poisson tout couvert de piquantes sagettes

Qui tes traits afilez, en ton courroux rejettes

Comme le Porc-espy, eslançant furieux

Tes dards envenimez à l’encontre de ceux

Qui fols ont comploté ta ruine prochaine,

Les envoyant guéer dans l’onde Stygienne

Que tu es merveilleux ! hé que nature a bien

Pour tousjours conserver le cher ouvrage sien :

Doüé ton petit corps d’une vive pointure

Pour aux autres poissons ne servir de pasture.

     30. Quel cestuy-cy qui a sous les ondeux essors

De pointes tout couvert son trop debile corps ?

Qui vit en pleine mer avec toute asseurance

De la dent ennemye et de la violance

De ses concitoyens, estant de toutes pars

De chausse-trapes plein piquantes comme dards :

Qui font qu’au beau milieu de la trouppe marine

De tous ses ennemis sans crainte il chemine :

Et lesquels n’oseroient que de loing l’approcher

Tant et tant ils ont peur de sa piquante chair.

     31. Merveilleux en grandeur, qui peux dessous ta Targe

Couvrir une maison mediocrement large,

Qui sers à l’Indien pour voguer dessus l’eau

De Navire, d’Esquif, de Chalupe, et Bateau !

     32. Admirable poisson miracle de nature !

Couvert non pas d’escaille ains d’une peau tresdure,

Triangle merveilleux : (qui le plus riche traict

Que le peintre sçauroit aux filles pour portraict

Donner, pour dextrement suivre la belle traçe

D’un œuvre eslabouré que le crayon compasse)

Portes avecques toy ? car ton beau corps reçoit

Des traits si bien formez, que celuy qui les void,

Ne peut rien qu’admirer et l’ouvrier et l’ouvrage

Qui t’a faict et qu’on void en ton petit corsage.

     33.34. Le monstrueux enfant : le Monocule Aigneau :

     35. 36. Le Pigeon double-teste ; et le Chien rare-beau

Que l’on doibt admirer ayant (grandes merveilles)

Huict pieds, un chef, un œil, deux queues, quatre oreilles.

     37. Puis ce rare Chaton que la nature a faict,

Que de ses propres mains elle mesme a parfaict,

A qui elle a donné pour monstrer ses merveilles

Huict pieds, un chef, deux yeux, deux queües, deux oreilles

     ** Et cet autre agnelet aussi rare que beau

(Si beau se doibt nommer, un monstre si nouveau)

A qui nature a faict pour monstrer ses merveilles

Huict pieds, trois yeux, un chef, deux queües, quatre oreilles

Icy je pourrois bien afin de contenter

Ta curieuse oreille (ô Lecteur) reciter

De ces monstres divers la naissance diverse,

Pourquoy plus, pourquoy moins ? mais la nature dresse

Soit au pur ou impur, soit au beau soit au laid

Des corps mixtes formez un different portraict.

C’est la feconde humeur qui l’espeçe conserve,

Que tantost plus ou moins la nature reserve,

Que si la quantité de ce germe fecond

Manque, pour composer ce Microcosme rond

Un enfant se verra ô merveille profonde

Qui viendra mutilé voir la clarté du monde

Soit de pieds soit de mains : mesmement on a veu

Un enfant qui sans teste est au monde venu

Et depuis peu de jours une fillette nüe

Belle en perfection dedans Poictiers s’est veüe

Sans bras n’ayant qu’un pied ; dont le discours Flamand,

Italien, François, Anglois, et Allemand,

Donnoit tant de couleur à sa grace gentille

Qu’on l’admiroit en tout comme une entiere fille

Et alors que son corps se couvroit d’un manteau

Tout ce qui paroissoit en elle estoit tresbeau

Ses yeux estoient fort doux, et sa bouche petite,

Ses cheveux frisotez ; d’une façon despite

Se contournoit le front, et retenant son ris

Faisoit voir la beauté de ses voutez sourcils

Et de son pied tantost tissoit de beaux ouvrages

Filoit, cousoit, faisoit tous les autres mesnages.

Bref cest esprit gentil pour l’aage et pour l’attraict

Dans un corps si difforme estoit trouvé parfaict

Et en ce mesme temps et durant la MAIRIE

Du Sieur de TRAVARZAY honneur de sa patrie,

Le chef de la Justice, instrument de vertu

Qui comme un brave Hercule a tousjours combatu

Les vices trop frequens dans ce siecle où nous sommes

Par la corruption inconstante des hommes

Qui tient le Mas en main et qui Phare reluit

Dans Poictiers tout ainsi que Phebé dans la nuict

Passa par ceste ville un certain personnage

De trente ou quarante ans qui avoit le visage

Grand, long, barbu, rousseau, et au reste en effaict

On l’eust pris à cheval pour un homme parfaict

Il n’avoit que le haut et peu pres la ceinture

Le reste de son corps avoit ronde figure,

Sans cuisse, sans genoux, sans jambes, et sans pieds :

Cependant il tenoit nos yeux si bien liez

Aux saults que sans repos il faisoit sur la table

Que cela le rendoit du tout esmerveillable :

Il n’avoit rien qu’un bras et qu’un petit mougnon

Qui secondoit de pres son entier compagnon ;

Et montant comme un Chat d’une vitesse isnelle

Les rolons asseurez d’une bien grande eschelle ;

Donnoit telle frayeur en le voyant si haut

Qu’on croioit à tous coups luy voir prendre le sault.

Mais ainsi qu’un garrot qu’un fort archer descoche

Il descendoit à bas avec son mougnon croche

Puis sautant en la place il accordoit au son

De quelque air frais apris son plaisant violon

Joüoit quelque Pavane ou quelque Milanoise

Quelque Bourrée ou bien quelque Volte françoise

Et pour le dernier mets, d’une aiguille montroit

A coudre et à broder à qui le desiroit.

Cela sont des effectz de l’ouvrier admirable

Pour rendre à ses enfans son nom plus redoutable

Ce sont effects du peu de l’humeur contenu

Que la creuse matrice en elle a retenu.

Au contraire l’on void quand la semence abonde

Dans les vases feconds de la matrice ronde,

Que ceste quantité miste confusement

Dans l’amary germeux forme en un seul moment

Un corps ou bien plusieurs : car la nature bonne,

« Pour un grain non un grain ains un milier nous donne,

Si que ceste semence estant en quantité

Gloutonement receuë en ce lieu decreté :

Il s’en faict non un corps mais souvent deux ensemble :

D’imparfaicte semence alors un corps s’assemble

Tout seul dont il advient qu’un corps (cas monstrueux)

Se void de bras, de pieds, d’oreilles, teste, d’yeux,

Doubler, et quelque fois la matiere estant moindre

Deux testes en un corps seules se viennent joindre.

Quatre mains en deux bras et (cas prodigieux)

Un oeil tant seulement en un corps pour quatre yeux,

Tesmoing ce rare Chien de huict pieds quatre oreilles

Qui n’a qu’un œil au front (merveille des merveilles)

Monstre que m’a donné la liberale main

Du sieur de la BOESSIERE Archite Poitevin

Timanthe sans esgal, dont la dextre sçavante

Faict tout ce que nature à nostre œil represente.

Et cest Aigneau qui a dans le milieu du front

Comme un autre Cyclope un œil grand, large, rond.

    Quelle sçience humaine hé ! quel grand Hypocrate,

Quel docte Galien, quel fameux Theophraste,

Mais quel Stagyrien, quel Pline, quel Fernel,

Quel Oribase encor, quel Aece, quel Ruel,

Voudroit sur ce subject de sa plume tonnante,

De ces monstres montrer la cause menaçeante.

Je sçay que par raisons tresvalables on peut

De ces corps imparfaicts raisonner si l’on veut :

Mais quoy ? quelle raison simplement naturelle

Peut comprendre en son sens la raison supernelle ?

« Car tous ces grands deffauts ou du trop ou du peu

« Sont signes quelques-fois que Dieu nostre grand Dieu

« Veut par là faire voir aux Peres et aux meres,

« Aux Oncles, aux Cousins, aux Tantes, Sœurs, et freres,

« Que l’enfant mutilé n’est par cas fortuit

« Dans la mere conçeu, ains cela nous instruict

« Par là il nous faict voir, il faict par là cognoistre

« Qu’il faut sur tous les noms son sainct nom recognoistre :

« Et le recognoissant pour Pere IMMANUEL

« Que seul il a sur nous le pouvoir actuel :

« Qu’il faict tout, qu’il peut tout, que la machine ronde

« Jamais ne feust, ny n’est, ny ne sera feconde

« Que par luy non pour luy, non pour luy, mais pour nous

« Tant il est Pere bon, clement, paisible, et doux :

« Car tout cela que l’air en son vuide supporte,

« Tout cela que la mer dans son creux ventre porte,

« Tout cela que les monts, les valons et les prez

« Tiennent dans le contour de leurs clos emmurez ;

« Tous les tresors enclos dans les creuses montagnes :

« Bref tout cela qui croist dans les grasses campagnes

« Sont à l’homme tout seul ; et Dieu pour tant de bien

« De nous il ne requiert, de nous il ne veut rien

« Qu’un cœur tout penitent, qu’un cœur d’obeissance,

« Qu’un cœur humble, un cœur doux plein de sa cognoissance.

« Recognoissons-le donc et ces monstres divers

« Naissans confusement par ce grand univers

« Ne paroitront jamais, et les races fecondes

« Ne verront dans leurs licts des choses si immondes.

     38. Or je ne suis encor des animaux de mer

Seulement enrichy ; mais de ceux là de l’air :

De ceux qui vont rampant et qui dans le feu mesme

Tiennent leur garnison, dont la froideur extrême

Amortit la chaleur des brasiers plus ardants,

Quand pour en faire espreuve on les jette dedans :

Les fruicts que le Perou, produit avec merveilles

Je tiens abondamment : Et les Conches tresbelles,

Que la mer jette à bord apres le dur trespas

Des hostes casaniers qu’elle tient en ses bras.

     39. Ce fruict Americain que la gent Idolatre

Adore comme un Dieu d’or d’argent ou de plastre

Par superstition ! que la brutale main

Du Caribe cruel faict d’un bruict si hautain

Resonner lors qu’il met dans ces fruicts de merites

Du Mil de son pays, ou des pierres petites ;

Atourez tout autour des plumages plus beaux

Du Toucan, de l’Arat, et des autres oyseaux

Les plus rares qui soient ; et parez de la sorte,

Ministres de Sathan s’en vont de porte, en porte,

De village en village, et autour des maisons

Ce fruict ainsi paré ils plantent à foisons,

Avec commandement aux peres des familles

De donner sans delay toutes choses utiles

Pour les alimenter : Car Maracas ce fruict,

Est un Dieu qui repaist tant seulement de nuict.

     40. Ce Flammant flamboyant ce grand Phoenicoptere

Cest admirable oyseau que tout oyseau revere,

Qui comme un beau Phoenix est des autres suivy

De dix mille façons voletans à l’envy

De son corps admiré : tant la jalouse envye

De jouir d’un tel bien tient leur ame asservie :

Et tant ils ont à gré de recevoir l’honneur

D’approcher son beau corps et sa rouge couleur,

Se mirer en ses yeux, et dans ses plumes belles

Contempler curieux ses beautez naturelles :

Le suivre tout par tout, voltiger en tous lieux

Où l’envye le prend de voler soubs les Cieux,

    Je te rends CATELAN mille et dix mille graces

Du bien que sans subject sans fin tu me pourchasses,

Bien non point merité, car tel presant de toy

Seul pouvoit contenter la veuë d’un grand Roy :

Mais puis que ta bonté de ce bien m’a faict maistre

Je veux ton nom fameux par tout faire parestre :

Gros d’honneur, gros de los, et des Pharmatiens

De Mont-pellier braver les honneurs anciens,

Je veux mon Catelan que tout homme cognoisse

Combien Poictiers par toy a receu d’alegresse,

Contemplant cest oyseau admiré d’un chascun

Et par ses raretez estimé plus qu’aucun :

Grand de pieds, grand de col, dont les flambantes aisles

En couleur vont passant les flammes naturelles :

Dont le bec monstrueux à nul autre pareil

Ravit avec l’esprit la puissance de l’oeil.

Que si de cest oyseau l’histoire n’est mensonge :

Pour boire, tout son corps dans la riviere il plonge :

Puis ouvrant son gros bec, il jette avidement

Dans son ventre alteré cest humide element :

Façon du tout contraire aux oyseaux aquatiques

Qui mettent dans les flots leurs longs cols fameliques.

Bref, cest oyseau sans pair en tout temps, et saison,

Ravit des curieux la sçavante raison.

Mais entre les oyseaux qui vivent dessus l’onde

Qui volent dans les airs, qui decorent le monde,

Qui courent peu volants, et de ceux-là qui font

Leur sejour eternel dans l’Ocean profond,

Et ceux qui merveilleux naissent (ô quel miracle !)

Ainsi que les Cravants, ou l’Escossois Barnacle

Enfans prodigieux d’un bois tout corrompu

D’un Navire guerrier par le temps tout rompu,

Eschoüé sur le bord tout pourry de vieilesse :

Rien rien de tout cela n’est égal en richesse,

En renom, en beauté, de ceux icy qui ont

Des autres tout l’honneur empraint dessus le front :

De ces deux rares beaux à nos yeux tous estranges

Et tirez à grands frais des pays plus estranges.

DE GURON vertueux, remply d’heur et d’honneur,

Qui curieux as faict ceste rare faveur

A Poictiers de monstrer en cinq belles journées

Les oyseaux les plus beaux des terres fortunées,

« Fortunées vrayment, car quelque part que soit

« Où l’œil humain vivant tels oyseaux aperçoit,

« C’est un lieu fortuné : et la terre maudite

« D’animaux si parfaicts est du tout esconduitte :

« Ne voulant l’Eternel qu’un pays incognu

« De si rares beautez en soit le contenu :

« Les deserts ne sont pleins que d’Aspics, de Viperes,

« De Serpens furieux, de Tigres, de Pantheres,

« De Lyons rugissants, d’Onces, d’Ours, de Dragons,

« Et d’autres qui tous sont aux hommes furibons :

« Ce ne sont que venins des animaux qui gistent

« Es pays incognus où les hommes n’habitent :

« Cerastes, Basilicz, lancent de toutes parts

« Leur venin par la bouche et par leurs yeux agards :

« Bref l’homme seul cognoist les lieux que la puissance

« Divine, a de sa main beny des son enfance :

« Car dés le premier jour sa supreme bonté

« A donné à chacun son lieu tout arresté.

Mais où naissent ceux-cy ? c’est un air chasse-peste,

C’est un air plain de miel et de manne celeste,

C’est la mesme douceur ; bref c’est le Paradis

Où Dieu de son bon gré logea l’homme jadis.

     41. 42. Parangon le plus beau de la trouppe vollante

Seul portraict sur lequel tout esprit se contente,

Qui portes sur ton chef comme un brave Docteur

Un gros floccon doré signe de ta valeur,

Que de beautez en toy ! que de rares merveilles !

Que de couleurs on void sur ton chef dos et ailes !

Que tes yeux sont dorez, que ce riche veloux

Tout l’honneur de ton bec est d’un noir poly-doux.

Mais de quelle couleur non point encore veüe

Entre tous les oyseaux as tu teinte ta queüe ?

Nul Tanné plus luysant soubz le Ciel ne se faict

Plus rare, plus poly, plus riche, et plus parfaict.

Que ce rouge est vermeil, l’honneur de ton visage

(Si entre les oyseaux tel mot est en usage)

Que ton port est hautain, que brave ton marcher,

Que ta nature est douce à qui te veut toucher :

Qui roües ton floccon autour de ta femelle

Qui n’est pas comme toy si parfaictement belle,

Mais ainsi que tu as dessus ton chef l’honneur

Et la marque d’un Roy ou d’un puissant Seigneur :

Elle a de son costé vers l’echine pendante,

Au lieu de Chapperon de couleur blanchissante

Une queüe, qui rend son los plus precieux

Et la faict estimer excellente à nos yeux.

Mais ces yeux tout de feu, dont les vives prunelles

Lancent confusement mille et mille chandelles

A son Ganga chery alors qu’elle cognoist

Qu’amour pour son subject le touche et le deçoit.

De pareille façon qu’une jeune fillette,

Eslance les rayons de sa flamme secrette

Dans les yeux de l’amant, qui ne vit qu’en ses feux

Et faict en la voyant son Paradis heureux.

Dont Caracca sans per excellente en corsage,

En couleur, en façon, en port et en plumage

Et toy Ganga l’object des plus rares esprits

Honorez maintenant mon Cabinet de prix.

     43. Toy suy ce couple heureux, toy glorieux Mamuque

Bourgeois de Paradis hoste du clair Moluque,

Oyseau miraculeux ? qui vis alegrement

Dans l’air (comme l’on dit) sans aucun aliment :

De qui mille escrivains plus grands que veritables

Ont laissé par escript plusieurs gentiles fables :

Mais mon Luth resveillé en un siecle meilleur

Sonnera plus au vray ta gloire et ta valeur ;

Il dira que volant avec ceux de ta sorte

Quel honneur, quel amour à tes amis tu porte,

Lors que d’un cœur hardy sans craindre le danger

Vers l’ondoiant gazoüil d’un ruisseau fontenier

Tu marches le premier où bien souvent l’eau claire

Te faict sentir l’effort d’un poison mortifere :

Quel deuil entre vous tous ô charitable oyseau !

Il s’en faict à l’instant sur son triste tombeau.

    Je ne tayray non plus la maniere excellente

Comment se compartit vostre trouppe volante

Pour esquiver l’aguet du traistre empoisonneur ;

Comment vous deleguez quelqu’un de vostre chœur

Pour gouster du cristal ; lequel sain vous convie

D’en boire asseurement sans crainte de la vie,

Appuiez sur l’essay qu’il en a desja faict

O grande providence ! ô amour tres-parfaict !

    Icy vous rougirez espris gonflez de rage

Qui des vostres sans fin, poignez l’heur et l’ouvrage ?

Qui au lieu de gouster des premiers les ruisseaux

Du Parnasse, où je tends leur bouchez ses couppeaux ;

Les empeschez de boire, et d’une audace grande

Piquez à tous propos un des chefs de la bande ;

Jettez contre le Ciel vostre excrement baveux

Qui rejaillit sur vous bien plustost que sur eux :

Ces pauvres animaux que les plus beaux usages

De la docte raison ne sçauroient rendre sages,

L’un et l’autre enchaisnez d’un mutuel accord

Ne sentent en leur jours entr-eux le noir discord :

Ains charitables, doux, benings, pleins de prudence,

Exercent mieux que vous l’humaine bien-vueillance.

    Cessez donc envieux ? vostre fiel funereux

Ne sçauroit alterer mon estre bien-heureux ?

Le Ciel malgré l’orgueil de vostre Muse noire

Plantera mon Jardin dans le Temple de gloire,

Mon Cabinet remply du beau de l’Univers

Immortel durera dans le son de mes vers

Vers puisez dans le sein des ondes d’Hippocrene,

Qu’a sourcés en mon cœur la Lyre Amphrisiene,

Ainçois ma belle humeur ou mon sort curieux

Qui pour estre trop haut vous esblouit les yeux.

    Et toy qui que tu sois, ô Corbeau qui croace

Secret comme un Hybou fuyant la blonde face

Du flambeau donne-jour, si tu quiers de ce pas

Quelque vieil cheval mort pour prendre ton repas,

Et si piquant tu pais ton ardente furie ?

Recule au loing d’icy, volle vers la voirie,

Là tu contenteras ton vueil faux et bavard

De mille coups de bec sur un corps sans repart.

    Mais si tu es si grand, si facond, et si riche,

Si Phoebus dans ton sein comme un Roitelet niche.

O bel Orphée nouveau fais moy cognoistre un jour

Ton nom, ta qualité, ta face, et ton sejour :

Alors tu sentiras si ma Muse est bastarde

Et si un autre plus l’advance ou la retarde.

    Creve donc cependant, vomis ton noir venin,

Peins comme tu voudras mes Vers et mon Jardin ?

Malgré-toy leur beauté, leur grace, leur faconde,

Naistra dans peu de jours heureusement au monde :

Et ce brave Parnasse où dormir tu me fais

Pour ton los imparfaict n’en grossira ses faicts

« D’un tout semblable à toy le los et la loüange

« Qui provient sans mesure, en deshonneur se change ;

Car le premier motif de ton fardé discours

Est plus pour m’offençer que pour lustrer ses jours.

Bref dans mon Cabinet, les larmes, les resines,

Les gommes, bois exquis, les metaux les plus dignes,

Et mille fruicts loingtains s’y trouvent largement.

Bref encor s’y peut voir, soit du froid Element,

Soit du chaud, soit du sec, ou bien soit de l’humide

Cent mille raretez, il n’y a rien de vuide.

Que si vous l’ignorez, pour n’estre dit menteur,

Voyez-le à la bonne heure : et certes de bon cœur

Je le vous ouvriray : car rien je ne desire

Tant que de contenter tout esprit qui aspire

Aux celestes vertus ; ma bonne volonté

I a le Curieux des long-temps incité ;

Promettant de montrer tout ce que la nature

Tient de rare et de beau soubs la ronde cambrure.

Mais pourois-je oublier le reste de mes fleurs

Pour vous Monstres divers, poussé de ces fureurs ?

Non, belles, non si tost : puisque mon Luth releve

Son premier son par vous, par vous faut qu’il acheve.

     54. Je ne t’oubliray pas Meleagride fleur

Qui és des prez herbus de sainct Benoist l’honneur,

Où la neuvaine troupe avecques sa sequelle

Du Printemps desiré la saison renouvelle ;

Où les Naïades font du Jaspe de tes fleurs

Des Guirlandes afin d’en coronner leurs sœurs,

Gisantes ça et là par les verdes collines

Et dans le sein du Clain aux ondes christalines.

    Mon cher Clain murmurant dont le doux-grave-son

Des hostes bocagers, imite la chanson ;

Quand un Zephire frais d’une soüefve haleine

A flots entrecoupez pousse ta moite plaine ;

Plus haut j’exalteray ton beau cours serpentant

Que du Tibre, ou du Po, n’est le cours loing-flotant :

Plus que Loyre, que Seine, et plus que la Garonne

La Vienne, la Charente, et la Creuse, et le Rhosne

Bref je te chanteray mon Clain à tousjours-mais

Et ma Muse de toy ne se tayra jamais.

     52. Ni de vous bel honneur du mont de Corycie,

Thresor presque infini de la grand’ Carmanie.

Car outre la beauté que l’on cognoist en vous ;

Il se recueille encor dans vos fleurs, un poil roux

Doux-leger odorant ; dont la richesse exquise

Des Abderoises mains en œuvre est souvent mise :

Dont la jaune couleur teignoit anciennement

Les theatres marbrez ; quand prodigallement

Ce grand Domitian, dans son Amphitheatre

Faisoit couler par tout ceste couleur jaunastre

Monstrant au Thracien, au Sarmathe, à l’Anglois,

Et à l’Egyptien, à l’Arabe, au François,

Sa liberalité ; faisant comme à l’envie,

Desgoutter en tous lieux le suc de Corycie ;

Pour un simbole vray, que d’un Prince Romain

On ne peut limiter le pouvoir souverain,

     55. Toy fils Cynirien frere et fils de ta mere,

Engendré des vieux reins de ton pere-grand-pere ;

Quand ta mere sentant des brandons allumez

Du mignard Paphien ses esprits consumez,

D’un deshonneste amour ; (amour illegitime)

Toute pleine d’horreur, de frayeur et de crime,

Affecta d’assouvir ses charnels appetis

Avec son geniteur ; lors que tous ses esprits

De rage bouillonnants ; ne craignit des-honneste.

Detestable forfaict ! de commettre un inceste ;

Sois propice à mes vœux ? pource qu’en ta faveur

Je veux à ta Cipris ordonner quelque honneur.

     56. Mais qu’est-ce que j’entens ? tout estonné je tremble ?

Je fremis de frayeur ; ha ! je voy ce me semble

Un troupeau Lethean : troupeau chez qui la mort

Tient forte garnison, tient un rempart tres-fort,

Troupeau qui perilleux sa naissance rapporte

Du baveux Chien d’Enfer, de Pluton garde-porte.

Plantes belles de fleurs, mais de trop fort venin

Vostre ventre est farci, et vostre estomach plein ?

Mais bien que vous portiez la pasle mort en croupe,

Il faut qu’honneur soit fait par vous à ceste troupe,

Laissez vostre venin, faites seullement voir

Vos fleurs dont les couleurs vous font belles paroir ;

Imitant le serpent qui son venin delaisse

Quand d’amour la Lemproye ardemment il caresse,

Affin que sans danger mille autres belles fleurs

Apportent à ce bal leurs bizarrees couleurs.

     57. Vous belles qui portez dans vos tendres racines,

Mille sortes de morts, et mille medecines,

Qui faites mourir l’un, qui l’autre guarissez

Qui retardez la mort, et qui trop l’avancez,

Qui seules guarissez ceux à qui l’on peut dire

Qu’ils doyvent voyager en l’Isle d’Antycire ;

Qui du Cabrier Melampe avez reçeu le nom,

Comme ayant le premier acquis un grand renom,

Pour avoir sçeu guarir par vos noires racines

Les mugissants abboys des beuglantes narines

Des Proëtides sœurs, quand de sauvages voix

Elles remplissoyent l’air, les pleines et les bois.

C’est de ceste herbe icy ame desesperée

Que tu doibs entourner ta teste mal timbrée,

Ame qui sans raison pour ton contentement

Veux picquer mes labeurs trop indiscrettement.

Si les fols par son suc, par ses fleurs et racine,

Reçoyvent guarison du grand mal qui les mine,

Sois plustost attentif d’embrasser sa vertu

Qu’esplucher mon Jardin tout de gloire vestu :

     58. Et vous dont les beautez ne sont moins admirables

Que vos effects se font trouver espouventables :

Qui portez dans vos fleurs, racines, feuilles, fruits,

Mille morts, mille horreurs, mille eternelles nuits.

Bien qu’entre tant de morts, qu’avec vous on espreuve,

Une de vostre espece à ce jourd’huy se treuve

Tres parfait aliment, dont un monde nouveau

Se nourrit tout ainsi que d’un friand morceau :

    Beau morceau tubereux, dont la racine riche

Ne se demontre avare, et encore moins chiche.

Car un fruit radical en terre replanté

En produict chascun an si grande quantité ;

Que d’un pied seullement deux cens et pres de trente

Miracle ! j’ay cueilly de couleur rougissante :

Miracle si parfaict que soubs le grand flambeau

L’homme n’admire rien de plus grand, riche, et beau.

Fruict dont l’Americain pour mets plains de delices

Tout ainsi que du Maïs, fait ses exquis services,

Dont il vit pauvrement, n’ayant pas comme nous,

Le froment au gros grain, blanc dedans, dessus roux.

Je te rends mille fois et mille fois encores

Humbles remercimens ; toy qui docte decores

Par tes rares vertus, la ville dont le nom

Est recognu par tout d’un merité renom.

Ville blanche jadis, ô Ligneron lumiere

Qui comme un autre Phare aux Rochelois esclaire ;

De cest âge l’honneur, qui sçais si dextrement

D’un compas mesuré faire un compartiment,

Et qui tresdocte fais par tes Mathematiques

Mille sortes d’engins que si bien tu appliques ;

Que ton esprit hardy desireux de l’honneur,

(Aguerry de long temps à ce chery labeur)

A docte fabriqué : chose que fort on louë :

Une simple mouvante, et double et triple rouë,

Mouvement infini ! qui par soy va tousjours ;

Tout ainsi que par soy vont cheminant les jours

Par revolution ; et pour lever les ondes,

Jusques à la hauteur des nuës vagabondes :

Et maints autres labeurs qu’escrire je ne veux

Que pour subject je laisse à nos futurs nepveux.

Mais l’envieux mourant et l’envie vivante

Jaloux de tant d’honneurs, que ton ame sçavante

Te faisoit acquerir, ont pales essayé

Rompre de tes desseins le labeur estayé.

Ont ainsi qu’à present voulu perdre ta gloire ;

Ces Zoïles fascheux qui troublans l’onde noire,

Comme Autans eslancez veulent par leurs discours

Fanir, s’ils le pouvoient et mes fleurs et mes jours

Mais comme un haut sapin que l’Aquilon agite

Or deça, or de là, de son flair tourne-vite,

Sans bransler tant soit peu resiste courageux

A ses efforts souflants d’un esprit orageux ;

Pied ferme tousjours-beau monstre sa verde tresse

Dans l’obscure verdeur d’une forest espesse

Tout ainsi tu t’es veu des mesdisans abbois,

Sans qu’ils t’ayent peu vaincre attaqué maintes-fois :

Mais ferme tu as sçeu rompre leur vive atteinte,

Ayant de la vertu au cœur la force emprainte ;

Outre tant de sçavoirs, dont tu vas decorant,

Comme un Archite vray, ce siecle doux-courant.

Tu as tousjours vacqué de toute ta puissance

De chercher les thresors, qui dans l’Inde ont naissance,

Pour en ton Cabinet monstrer en un moment

Tout ce qui naist et meurt en ce bas element :

Dont ta grande bonté et ton amour loyale

M’a daigné departir d’une main liberale :

Entre autres les Tatoüs, et l’Uletif poisson,

Maints fruicts, maints animaux, maint rare Limaçon,

Et maints autres presens dont je te remercie

Que chers je garderay tout le temps de ma vie.

Jamais rien qu’Atropos ne pouvant retenir

L’honneur que je reçoy, de ton doux souvenir.

Demeure donc heureux en la bande Celeste,

Et moy en attendant ce beau jour, je proteste

De tousjours recueillir des simples le doux fruict

Dont mon esprit se sent travaillé jour et nuict.

Car je me puis vanter que dedans mon parterre

Qui contient seulement deux fois dix pas de terre

(En longueur, et largeur) bien mille plantes sont

Differentes de nom, qui portent sur le front

Un si grave maintien, qu’à les voir on peut dire

Qu’il ne se peut rien voir de plus beau sous l’Empire

De ce grand Lyncean : et que ce large Tout

N’a rien de plus exquis de l’un à l’autre bout :

Qu’à vous grand de SULLY, j’apends, voüe et dedie,

Qu’à vos yeux je consacre : Et pource je vous prie

Le vouloir accepter : le present est petit ;

Mais pourtant tel qu’il est tousjours-verd il florist,

Tousjours un gay Printemps luit sur sa verte tresse,

Et de l’Hyble tousjours la liqueur plus espesse

Tombe sur l’infini de ses varietez :

Et le bel œil du jour chemine à ses costez.

    Tousjours doncques sur vous, belles le miel distille :

Tousjours donques en vous se trouve chose utille,

Tousjours, tousjours sur vous le beau s’aille cueillant,

Tousjours vostre beauté soit superbe foulant

Les mortels Aconits, les Napels, les Anthores,

Et la froide Ciguë, et les chauds Ellebores.

                        FIN.

            Du don de Dieu je suis

                CONTANT.

Annexes

LE NOM DES PLANTES

DESCRITES ET PORTRAITES EN CE LIVRE

Cedre. 1.

Sapin. 2.

If. 3.

Cypres. 4.

Paliürus. 5.

Laurier. 6.

Vitex. 7.

Pistachier. 8.

Lentisque. 9.

Therebinthe. 10.

Platan. 11.

Acacia. 12.

Kermes. 13.

Sumach. 14.

Olivier. 15.

Cyprus. 16.

Arbouzier. 17.

Laurier-Rose. 18.

Mirthe. 19.

Prime-vere. 20.

Oreille d’Ours. 21.

Violette. 22.

Narcisse jaune. 23.

Narcisse blanc. 24.

Jacinthe. 25.

Trinitere. 26.

Tulipes. 27.

Corone Imperiale. 28.

Lis de Perse. **

Hemerocalle. 29.

Peoine double. 30.

Peoine blanche. 31.

Anemones. 32.

Geranium. 33.

Ranunculus. 34.

Cistes. 35.

Ornitogalon. 36.

Satyrium. 37.

Asphodelles. 38.

Bolbonar. 39.

Moly. 40.

Pavot. 41.

Sesamoïde. 42.

Asteraticus. 43.

Colchiques. 44.

Anthirrinum. 45.

Aloës. 46.

Licnis. 47.

Aquiligia. 48.

Iris. 49.

Lis blanc. 50.

Lis rouge. 51.

Safran. 52.

Martagon. 53.

Fretillaires. 54.

Adonis. 55.

Aconit. 56.

Hellebores. 57.

Solanum. 58.

Opontia. **

LE NOM DES ANIMAUX

descrits et protraicts en ce Livre.

Crocodille. 1.

Serpent. 2.

Toüous. 3.

Tiburon. 4.

Herisson. 5.

Creac. 6.

Dragon. 7.

Orbis. 8.

Orbis. 8.

Uranoscope. 9.

Toucan. 10.

Canoë. 11.

Uletif. 12.

Xiphis. 13.

Lezard cresté. 14.

Armadille. 15.

Tatoü. 16.

Remore. 17.

Chauve-souris. 18.

Chancre molucan. 19.

Melon espineux. 20.

Diable de mer. 21.

Soleil de mer. 22.

Estoiles de mer. 23.

Poisson qui a deux

cents dents 24.

Grenoille pescheresse. 25.

Renard de mer. 26.

Chameleon. 27.

Hypocampe. 28.

Porc-Espy Marin. 29.

Orbis pointu. 30.

Tortuë de mer. 31.

Poisson en triangle. 32.

Enfant monstrueux. 33.

Aigneau monocule. 34.

Pigeon à deux testes. 35.

Chien à huict pieds. 36.

Chat à huict pieds. 37.

Salemandre. 38.

Maracas. 39.

Phœnicoptere. 40.

Ganga. 41.

Caraca. 42.

Manucodiate. 43.

FIN.

*

SOURCE : Le Jardin, et Cabinet poetique de Paul Contant Apoticaire de Poictiers. A Tres haut et trespuissant MonSeigneur, Maximilien de Bethune, Duc de Sully, Pair de France, Chevalier, Marquis deRosny, Con[seill]er du Roy en ses Conseils D’estat et privé, grand M[aistr]e et Cap[itai]ne g[ene]ral De son artillerie, grand Voyer, et superIntendant des Finances de France, Gouverne[ur] Et Lieutenant g[ener]al pour Sa Ma[jes]te en poictou. A Poictiers. Par Anthoine Mesnier, Imprimeur ord[inai]re Du Roy. DU DON DE DIEU JE SUIS CONTANT. 1609.

Localisation :

– Paris, Bibliothèque nationale (8 exemplaires) : S-3726 ; S-4044 ; Res-YE-593 ; Res-Ye-32 ; microfilm M-121117 ; microfilm M-6163 ; SR 94/57 ; R 89741.
– Paris, Arsenal (2 exemplaires) : 4-BL-2934 ; 4-BL-2935.(la description du CCF est erronée : il manque au premier exemplaire la planche gravée du bouquet, le second est bien complet de toutes ses planches)
– Poitiers, Médiathèque (4 exemplaires): CM 27 ; DM 1453 ; DM 1452 ; CM 27 (exemplaire sans les gravures).