Cabinet de Cope, Walter

Cabinet londonien visité en 1600 par le voyageur bâlois Thomas Platter, qui en donne alors un inventaire détaillé de plus de 50 objets, pour la plupart exotiques.

L’inventaire que fait ici Platter du remarquable cabinet de Cope semble être le seul témoignage que l’on ait de ce cabinet.

Thomas Platter observe les mœurs de Londres, et c’est au détour de considérations sur l’usage du tabac qu’il aborde l’inventaire du cabinet de Walter Cope. L’enchaînement entre les deux sujets est intéressant, puisque le tabac est un produit d’importation récente, qui était, quelques années auparavant, encore considéré comme une herbe exotique dont les voyageurs décrivaient les usages indigènes. On voit ici que la tabagie est désormais entrée dans les usages européens, même si on a encore un souvenir précis de ses origines « indiennes », et c’est ainsi que Thomas Platter passe à la liste des exotica et autres curiosités conservées dans le cabinet de ce grand voyageur que fut W. Cope.

 

Dans les tavernes à bière, on peut se procurer aussi du tabac alias herbe vulnéraire païenne. Le tavernier vous en donne chaque fois pour un pfennig. On l’allume dans un petit tube, on aspire ou suce la fumée dans la bouche, et de cette même bouche on laisse couler le plus de salive possible. Après quoi on boit un bon coup, Trunck, d’excellent vin d’Espagne. On utilise aussi le tabac comme médecine spéciale pour le rhume de cerveau. En même temps, c’est pour le plaisir. Tellement commun en Angleterre est le tabac qu’ils ont toujours leur bouffarde sur eux à portée de main ; ils la promènent en tout lieu, dans les théâtres, les auberges ; ils battent le briquet, allument la pipe, et boivent. C’est comme chez nous quand on apporte du vin. Ca les excite furieusement, ça les rend gais ; au point que la tête leur tourne, comme s’ils s’étaient saoulés. Mais bientôt le malaise se dissipe. Et ils abusent tellement de ce tabac, en vue du plaisir que ça leur donne, que les prédicateurs poussent des hurlements : « Fumeurs, vous courez à votre perte ! » On m’a même raconté qu’on avait disséqué les veines d’un homme atteint de tabagie. Elles étaient revêtues de suie à l’intérieur, comme le dedans d’une cheminée ! Cette herbe est importée des Indes en grandes quantités. Il y a diverses variétés de tabac, l’une plus forte que l’autre. On fait la différence en les goûtant avec la langue, sous forme plus ou moins liquide. Ils font des gestes bizarres, à l’instant où ils tâtent de cette « boisson ». Les Indiens, en tout premier lieu, leur avaient enseigné ce « remède ». C’est ce que m’a indiqué Monsieur Cop, un bourgeois londonien qui a longtemps vécu aux Indes. J’ai visité son cabinet de curiosités en compagnie de Monsieur Lobel, médecin à Londres ; j’y ai surtout vu les pièces suivantes, que je vais énumérer dans un instant.

Ce Monsieur Cop habite à Sneegras, en une belle maison. Il nous a conduits dans une chambre ; elle était littéralement farcie d’objets bizarres, étranges, exotiques, et je garde le souvenir d’un certain nombre d’entre eux, sur lesquels s’est posé mon regard :

  1. Une scie africaine avec des dents ;
  2. Beaucoup d’armes, des flèches et autres, faites avec des arêtes et ossements de poissons ;
  3. De la belle plumasserie indienne, et des parures et robes venues de Chine ;
  4. Un joli bonnet fait avec des pattes d’oie, importé du royaume de Chine ;
  5. Une robe bizarre en provenance de Japha ;
  6. Un manteau de feutre originaire d’Arabie ;
  7. Des souliers venus de nombreux pays étrangers ;
  8. Une hache de pierre, d’origine indienne : sa forme évoquait un éclair ou un rayon de lumière ;
  9. De belles robes venues d’Arabie ;
  10. Un instrument de musique, à cordes… qui n’avait qu’une seule corde ;
  11. Un autre instrument à cordes, venu d’Arabie ;
  12. Une corne et une queue de rhinocéros : c’est un gros animal, à dimensions éléphantesques ;
  13. Un petit éventail, fait d’une seule feuille ;
  14. De bizarres épées de bois… ou de pierre ;
  15. De la corne torsadée d’un bœuf de mer ;
  16. Une corne ronde : elle avait poussé sur le front d’une femme anglaise ;
  17. La momie embaumée d’un enfant ;
  18. Des armes de cuir ;
  19. Le fou d’Henri VIII avec ses bouteillons et sa marotte ;
  20. La queue d’une licorne ;
  21. Un papier fait d’écorce, avec un texte écrit dessus ;
  22. Un rasoir en pierre, indien ;
  23. Une pierre de foudre, comme un trait ou un « carreau » : on l’avait extraite du mât d’un navire, foudroyé en mer pendant un orage. Elle ressemblait à la pierre de Judas [ou à la pierre Judaïque ? NdT] ;
  24. Une pierre pour soigner les douleurs de la rate ;
  25. Une jolie petite boite, artistement ouvragée, venue de Chine ;
  26. Des pichets en terre cuite, chinois également ;
  27. Un rhinocéros volant ;
  28. Un mille-pattes ou scolopendra : espèce de ver ou de myriapode ; il était couvert de poils ;
  29. Des mouches qui brillent en Virginie la nuit, en lieu et place des lumières ; car celle du jour, dans ce pays, disparaît souvent pendant plus d’un mois ;
  30. Une petite main en os qu’on utilise dans l’Inde pour se gratter ;
  31. Le sceau des rois d’Angleterre ;
  32. Le sceau d’or de l’empereur de Turquie ;
  33. Quantité de porcelaine chinoise ;
  34. Une tête de faucon avec de jolies plumes ;
  35. De nombreuses reliques, en provenance d’un navire espagnol que Cop avait aidé à capturer ;
  36. Une image de la Vierge Marie, fabriquée avec des plumes indiennes ;
  37. Une cruche turque et des plats ;
  38. Une chaînette indienne, faite avec des dents de singe ;
  39. Le nid d’un oiseau martin-pêcheur, d’habitat maritime, nid qui signifie le calme de la mer ;
  40. Le bec d’un pélican, oiseau d’Egypte : il tue ses petits ; ensuite, il déchire sa propre poitrine et il arrose avec son sang ses enfants morts, jusqu’à ce qu’ils ressuscitent ;
  41. Un miroir qui reflète et multiplie d’innombrables fois les objets ;
  42. Des couronnes faites d’ungulis, alias sabots de cheval ;
  43. Des idoles païennes ;
  44. Des selles en provenance de nombreux pays étrangers ; elles étaient placées tout en haut, en cercle, sur des étagères ;
  45. Deux chapeaux indiens en peau de mouton, superbement teints. Ils brillaient comme de la soie ;
  46. Un rémora. C’est un petit poisson. Il arrête les navires ou il les retient, à telle enseigne qu’ils ne peuvent pas poursuivre leur route dès lors qu’il a touché l’un ou l’autre de ces bateaux. Et puis encore une autre espèce de poisson appelée torpédo ou torpille. Elle insensibilise et engourdit la main des matelots, par le seul fait de toucher la rame dont ils ont la charge ;
  47. Une souris de mer, mus marinus ;
  48. De nombreux instruments en os ;
  49. Des flûtes faites avec des roseaux comme celles dont jouait le dieu Pan ;
  50. Un canot indien, tout en bois, long et mince, à l’usage des pêcheurs en mer, avec leurs rames et leurs chaussures. Il était accroché au plafond de la chambre où étaient exposés tous ces objets de collection.

Ce Monsieur Cop, par ailleurs, possédait aussi beaucoup de vieilles monnaies païennes ; et puis de belles peintures, ainsi que toute espèce de coraux et d’algues diverses en grande abondance. Il y a encore, à Londres, d’autres collectionneurs de bizarreries. Mais ce gentleman, le sieur Cop, l’emporte de loin sur tous les autres quant à son cabinet de curiosités exotiques. Et tout ça, du fait de son voyage en Inde, qu’il a effectué de la manière la plus assidue.

Sur le pont qui traverse la Tamise, dans une maison, j’ai même vu un grand chameau vivant.

Source : Le siècle des Platter. III, L’Europe de Thomas Platter : France, Angleterre, Pays-Bas, 1599-1600, Le Roy Ladurie, Emmanuel (éd. , trad.) et Liechtenhan, Francine-Dominique (trad.) Paris, Fayard, 2006, p. 368-371.