Les collectionneurs de curiosités amassent volontiers objets d’art, médailles, tableaux, animaux étranges, monstres, compositions artistiques, coquilles, minéraux (fossiles ou concrétions) et végétaux. Si l’on conçoit aisément le concept de merveille en matière d’art ou d’artisanat, sa transposition dans le domaine naturel implique que l’on parle du vivant, ce qui peut entraîner des contraintes techniques de conservation, voire la nécessité d’un entretien régulier, s’il s’agit d’un jardin. Cette journée d’étude souhaitait orienter son questionnement vers la place des végétaux dans les collections de curieux. Nous avons voulu y interroger les raisons et les conséquences de la présence d’éléments botaniques dans les cabinets de curiosité, de la Renaissance à l’époque moderne.
Tout d’abord, il importait de définir ce que peut être une merveille botanique. Les surprises de la nature (monstrueuses ou exceptionnellement belles) sont-elles considérées comme merveilleuses parce qu’elles sont rares, inédites, difficiles à classer ? Le choix des plantes s’oriente-t-il vers celles qui font rêver, celles qui sont réputées impossibles à cultiver, impossibles à trouver, ou simplement vers les plantes inconnues, donc nouvellement découvertes ? Aime-t-on les plantes qu’évoque la Bible ? En d’autres termes, sur quels critères sélectionne-t-on une plante pour qu’elle figure dans un cabinet de curiosités ? Comment certaines plantes acquièrent-elles – ou perdent-elles, selon les époques – le statut de curiosités ?
Jean Céard, en présentant une étude sur la racine de Baara, dont la simple odeur suffit à chasser les démons, offre à ces questions sur le rare, l’étrange, et l’admirable à la Renaissance, des éléments de réponse1.
On peut également penser que la présence de végétaux a des incidences importantes sur une collection : incidences sur la disposition des lieux, tout d’abord, puisque si la plupart des collectionneurs accumulent leurs trésors dans une chambre aux merveilles, avatar du studiolo italien, pièce secrète de contemplation ou de méditation qui abrite des meubles renfermant les précieux objets, les lieux de stockage varient lorsqu’il faut entreposer des plantes. Séchées, elles sont conservées en herbiers ; vivantes, elles sont cultivées dans un jardin. Si la collection comprend un jardin, cela implique que la présence des plantes influe plus largement sur le lieu de la collection, en déplaçant – ou en prolongeant – le trésor à l’extérieur : ce lieu annexe mérite-t-il alors encore ce nom de « cabinet » ? Organise-t-on un jardin de curiosités comme un cabinet de curiosités ? Laurent Paya a développé ces questions dans une étude qui examine les traités d’horticulture du XVIIe siècle d’après leur relation avec la disposition compartimentée d’un cabinet de curiosités, en insistant sur les influences esthétiques d’un espace sur l’autre2 ; de son côté, Flore César3, s’intéressant aux nombreux cas de collectionneurs montpelliérains du XVIe au XVIIIe siècles, montre les différents choix possibles et tente d’en analyser les fondements, ainsi que les prolongements épistémologiques.
En effet, collectionner des fleurs n’est pas sans incidences sur la conception de la collection. Les cabinets de curiosités composés de plantes intéressent non seulement les amateurs de curiosités, mais aussi les naturalistes qui viennent y contempler les nouveautés, les bizarreries, afin de faire avancer leurs connaissances. La fonction du jardin de Montpellier, dont a parlé Marie-Elisabeth Boutroue4 en étudiant une lettre que Peiresc envoya à Leyde à Charles de L’Ecluse au sujet de ce jardin, est effectivement de mettre en pratique les connaissances botaniques, de répartir les espèces par espaces distincts, d’effectuer des classifications dont les plans sont le témoignage. La finalité des végétaux collectionnés dans les premiers jardins botaniques est d’abord le reflet de l’avancée des connaissances, elle est dont en rapport avec la science et sa pédagogie. Elle est le fait de savants qui conçoivent ces collections comme « laboratoires », ou « conservatoires » d’espèces connues ou rares.
Cet aspect n’est cependant pas incompatible avec l’idée qu’une collection botanique puisse obéir à des règles de mise en scène. L’importance de la disposition spectaculaire ne doit pas être sous-estimée sous prétexte qu’il s’agirait de végétaux, et notamment lorsqu’ils sont plantés en pleine terre, configuration qui se prête volontiers aux dispositions sérielles, colorées, aux distributions visuelles et rangements par tailles, en somme à l’exposition – libertés et créations qu’un herbier ne saurait permettre.
Il importait en effet de se demander alors si la présence des végétaux, selon qu’elle initie la collection ou qu’elle arrive comme le prolongement d’une première collection d’objets non empruntés à la nature, modifie en profondeur la conception et la perception de la collection : qui sont ces curieux qui se tournent vers la botanique ? Des hommes de science, botanistes eux-mêmes ou apothicaires ? Des princes ? La question se pose du statut que prend ainsi la botanique, a priori peu spectaculaire, dans l’élaboration d’une collection, pour savoir ce qui peut amener un curieux à se tourner vers les curiosités botaniques. D’un point de vue moins scientifique que spectaculaire, quel spectacle entend proposer une collection botanique ? Se suffit-elle à elle-même ? Accompagne-t-elle d’autres objets, et les met-elle en valeur ? Si l’on s’interroge enfin sur les types de jardins curieux qui peuvent être conçus, la réflexion peut trouver à s’enrichir en s’intéressant à des projets contemporains réalisés par des plasticiens ou des paysagistes, projets éventuellement en cours d’élaboration, comme ceux des jardins du château d’Oiron, qu’a exposés à la fin de notre journée d’étude Paul-Hervé Parsy, dans une présentation qui laissait entendre l’enthousiasme du créateur mais aussi la consternation de celui qui se heurte à de nombreux obstacles idéologiques, tant l’intervention sur le paysage patrimonial est parfois en butte à de grandes résistances5.
Ces axes de recherches ne sont bien entendu pas limitatifs, et demandent à être prolongés. Nous n’avons pu mettre en ligne l’ensemble des communications, ce dont nous tenons à nous excuser au nom des auteurs, mais celles qui figurent ici donnent une idée fidèle de ce que fut cette journée, première approche destinée à se ramifier lors de manifestations à venir.
Myriam Marrache-Gouraud, Université de Poitiers (Forell, E.A. 3816)
(contact :myriam.marrachegouraud@yahoo.fr)
N.B. Cette journée n’aurait pas eu lieu sans l’aide précieuse de Dominique Moncond’huy, que je remercie ici, de la MSHS de Poitiers et du Laboratoire de Recherche Forell, E.A. 3816. L’organisation scientifique et technique s’est faite en collaboration avec L’Espace Mendès-France de Poitiers, grâce au soutien amical d’Anne Bonnefoy.
Notes