Cabinet de Contant, Paul (1600)
C'est là la première version du cabinet de Paul Contant à Poitiers.
Il ne reste qu’un seul exemplaire, à notre connaissance, de cette première version du poème de Paul Contant, qui, considérablement augmentée dans sa deuxième partie, deviendra en 1609 le Jardin, et cabinet poetique. Le poème en effet, accompagné d’une seule gravure dépliante représentant une superbe composition végétale, ce qui justifie pleinement ce premier titre de « bouquet printanier », est presque entièrement consacré aux plantes rares du jardin du pharmacien. On pourra découvrir, à la lecture de cette plaquette unique conservée à la Marsh Library de Dublin, ce qui fut l’embryon du cabinet de Contant, – son cabinet poétique tout au moins. Chaque numéro renvoie au dessin d’une plante identifiée (en principe !) par le même numéro sur la gravure : vous ferez apparaître ces détails du « bouquet » en cliquant sur les passages du poème qui apparaissent en rouge.
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A MONSIEUR
DU LIGNERON
MAUCLERC, GENTIL-HOMME
POICTEVIN, SEIGNEUR DU
Ligneron Mauclerc, La Brossardiere et Reman-
guis, pres Aspremont sur Vie, Parroisse de
Coex et du Fenoiller,
SALUT.
MONSIEUR,
J’ai appris des mieux nourris en la Philosophie naturelle, qu’il est impossible à l’homme, pour curieux qu’il puisse estre, de comprendre entierement l’immense diversité de ses plus occultes secrets ; soit tant pour la production des choses metalliques aux entrailles de la terre, que pour la singularité, rarité, vertus et proprietez admirables des plantes ; soit de celles qui portent fruict, soit de celles qui ont des fleurs pour leur dot et parta-
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ge seulement. Tant d’obscures raritez à ceux qui ont esté curieux d’en cognoistre et rechercher peniblement les causes et les effects, ont faict que les anciens n’y pouvant donner atteinte à leur souhait, representoient de leur temps l’image de nature, la face voilee, pour s’excuser si on ne pouvoit comprendre la cause de tant de miracles en la nature, et mesmement aux plantes. Aristote ne pouvant trouver la raison du flux et reflux impetueux de l’Euripe, se noya de despit dedans cet endroit de mer, voulant estre compris en la chose qu’il n’avoit peu comprendre. C’est pour monstrer que la curiosité ne se doit pousser jusques à l’impossible, afin que le violent desir de bien cognoistre une cause occulte de quelque chose, ne nous prive de la cognoissance de celles, qui sont plus que familieres au sens commun. Pour mon regard, ma curiosité n’a jamais passé plus loing que le sueil de ma profession. La cognoissance des simples est tres-necessaire à mon art, pour la composition des medicamens, veu mesme les divers simples desquels ils sont composez, soit des fleurs, des fueilles, et racines, qu’autres choses propres et necessaires pour aider à la nature à chasser la cause efficiente de la maladie, et ce pour conserver la santé. De discourir de la nature et proprieté des plantes, ce seroit plustost d’une main sacrilege prophaner les escrits de tant d’excellens autheurs, qui ont en-
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tre les anciens et modernes choisi ce subject, pour un theatre propre à manifester leur suffisance inimitable, en bien discourant de la nature des plantes. Mon dessein est plus recreatif que profitable, aiant sur la seule imagination de vostre singuliere erudition, en la cognoissance des simples, resveillé ma Muse à ceste entree du Printemps, pour vous presenter un recueil, comme un bouquet de tous les plus beaux arbres et herbes portans fleur qui soient venus à ma cognoissance, en toutes les parties de l’Europe, et de l’Asie : et pour vous faire paroir quel a esté le fruict de nostre curiosité en ce pais, et que nous avons recueilli de nos voisins, ce qui est mesme de nostre creu rare aux autres, et pareillement ce que nos amis des provinces voisines nous ont partagé de rare et singulier en leur climat. De ce bouquet j’ai desiré vous faire hommage, comme à un des mieux entendus en toutes sortes d’exercices vertueux. Si ce poëme n’est bien poli, excusez l’ouvrier qui n’a pas les Muses si favorables, que le subject le merite. Pardonnez à sa temerité. Ce subject se devoit traicter par un esprit plus facile, et plus cheri des Graces et des Muses. Prenez toutefois ce bouquet, comme un essai de nostre bonne volonté, pour un avorton, non pour un fruict parfaictement meur : Le temps et le travail pourront addoucir ce qui est trop aigre, n’aiant autre but pour le present, que de vous donner des arres de ce que l’Avril de nostre aage
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pouvoit, esperant que l’aage produira quelque chose de plus savoureux à l’avenir à vostre goust. Que si je cognois que cela vous soit agreable, je me propose de vous en faire voir toute la suitte. M’asseurant donques de vostre bon accueil, j’ai façonné ce bouquet à ma mode. Prenez-le, non pour l’artifice, mais pour gage d’un cœur qui est du tout vostre, plus riche de fecondes affections à vostre service, que la nature n’est de diversitez en l’esmail bizarre de ses fleurs. Adieu. Par
Vostre tres-humble et affectionné
serviteur, Paul Contant.
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A MONSIEUR DU LI-
GNERON MAUCLERC,
SONNET.
Ce bouquet printanier, de mille fleurs nouvelles
Richement bigarré, je presente à vos yeux :
Voiez qu’il est plaisant, et d’accueil gracieux,
Et tel qu’entre les fleurs il ne s’en voit de telles.
Ainsi que vos vertus eternellement belles
N’ont point de parangon, j’ai choisi curieux
Ce bouquet au plus beau de l’Eden de mon mieux,
Ne voulant vous offrir que choses immortelles.
Sans fanir il sera verdissant pour tousjours,
Sans fanir couleront heureusement vos jours
D’un renom merité, sans fanir il demeure :
Sans fanir vous vivrez : ainsi puissiez tous deux
Vivre, lui tousjours verd, vous tousjours bien-heureux
En ce terrestre val, et mortelle demeure.
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A L’AUTHEUR, SUR SON
BOUQUET PRINTANIER,
SONNET.
Toy qui n’as point atteint que l’Avril de ton aage,
Qui tournoies autour de l’Helicon coupeau,
Qui des neuf Seurs hardi vas suivant le troupeau,
Pour avoir sur Parnasse un jour quelque avantage.
Qui as fait un bouquet rempli de tout herbage
Que l’on peut desirer, estant d’aspect si beau,
Qu’il passe les beautez que le luisant flambeau
Nous fait voir parfaisant son journalier voiage.
Tu y as apporté les simples d’Epidaure,
De la docte Medee, et de la blonde Aurore,
Descouvrant les beautez à la posterité.
Que doit-on esperer de ton futur Automne
Sinon fruicts excellents, lesquels sans crudité
Agenceront ton front d’une riche couronne !
H. Betault, Bour.
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AD PAULUM CONTENTUM
EPIGRAMMA.
Quod dicam sine fraude tuæ dulcissime famæ,
Hoc opus ingenij vix reor esse tui.
Lemniscos ludens conchili hos murice Pallas
Texuit, ipse suà legit Apollo manu.
Corycio Musæ crocino tinxère: bonusque
Quinta parte sui nectaris vnxit Amor.
Laguiller.
TRADUCTION DE CET EPIGRAMME.
Pour dire franchement sans frauder ton renom,
Je n’osoy ce bouquet croire de ton ouvrage ;
Pource que ce qu’on void au front de ton visage
Surpasse ce qui est soubs le ciel, plus mignon :
Il semble que ce soient quelques fleurs, que Pallas
Avecq’ son Apollon ayent ainsi choisies :
Que ce soit un bouquet, que de leurs mains pollies
Ils ayent composé, pour leurs plaisants esbats.
Qu’il aye des neuf Sœurs les plus riches couleurs,
Et qu’Amour tout ravi de sa beauté divine
L’aye encor’ adouci d’une odeur Nectarine,
Bref qu’il soit œuvre faict des mains de tous les Dieux.
Mais puis qu’Amour, Pallas, Apollon et les Muses
Ont chez toi de nouveau choisi leur Helicon,
Je confesse que seul tu peux aveq’ raison
Autant qu’Amour, Pallas, Apollon, et les Muses.
P. P. A. D. P.
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SUR LE BOUQUET PRINTANIER
DE PAUL CONTANT.
Mais, qu’est-ce que je sens ! quel musc delicieux !
Quel bausme ! quel parfum ! quelle senteur choisie !
Quelle douceur, ô Dieux, a mon ame ravie !
Avez vous espanché toute l’odeur des Cieux ?
Je n’ai jamais senti dans ces terrestres lieux
Un flair si odorant ; et jamais la Syrie
N’a de tel enfanté, ni l’heureuse Arabie :
Aussi n’est-il cogneu que de vous autres Dieux.
Ha ! je le voi, vraiment : c’est l’odeur florissante
Du printanier bouquet, que Contant nous presente ;
Pour nous faire admirer de ce grand Univers
Toute la rareté, et richesse declose
En un petit bouquet entierement enclose,
Et voir son bel esprit en un millier de vers.
I. Olivier.
P. CONTENTIO PHARMACEVTAE
peritissimo, in suum Vernum Sertum,
EPIGRAMMA.
Hæc ego tam vario miratus picta colore
Serta, nec vllius disperijsse decus:
Nunc tandem agnoui Phœbæo numine plena
Pectora, quæ formam, quæque dedere modos:
Vnde tibi assurgunt virides in tempora lauri,
Per quas Pieridum iam tibi sacra patent.
Fortunate parens cui tantùm verna corona
Victura æterno tempore serta parit.
F. Citoys. D. Med.
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A MONSIEUR CONTANT
SUR SON BOUQUET POETIQUE.
SONNET.
Heureux celuy, Contant, que la jalouse envie
N’a jamais talonné, ni serré dans ses rets,
Qui cultivant son art, ainsi comme tu faits,
N’a perdant son loisir, fait escouler sa vie.
Heureux celui, Contant, lequel ne se soucie
Que de bien agencer de si riches bouquets,
Faisant voir la nature en ses plus beaux secrets,
Et en si peu de lieu l’esmail d’une prairie.
Trois fois heureux encor, celui qu’un aiguillon
Pousse d’eterniser aux siecles son renom,
Foulant la mesme envie, et le destin, et l’aage.
Ainsi qu’on te peut voir, qui cheri des neuf Sœurs,
Domptes l’ambition par ton bouquet de fleurs,
Preferant la vertu à l’arene du Tage.
T. Garnier
p. 12
ODE DE LA PHARMATIE
A MONSIEUR DU SIN,
TRES-FAMEUX APOTICAIRE
DE LA ROCHELLE.
1.
Repensant à la vie humaine,
Et la voyant de maux si pleine,
Je dis celuy bien fortuné,
Lequel ne voit ceste lumiere,
Mais qui le coup d’Atropos fiere
Reçoit, premier que d’estre né.
2.
Oisive n’est jamais la barque
Du vieil Charon, veu que la Parque
Sille nos yeux de toutes parts :
Et avant le temps nous assomme,
Prenant aussi tost le jeune homme,
Que les froids et tramblants vieillards.
3.
Quand l’audacieux Promethee
Eut du ciel la flamme emportee,
Jupin si fort se courrouça,
Que de son haut throne celeste
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De contagion et de peste
Tout ce bas monde ensemença.
4.
Qui n’ont despuis parti de terre,
Faisant continuelle guerre
Aux pauvres et chetifs humains :
Ainsi nostre incertaine vie
Incessamment est poursuivie
De cent mille maux inhumains.
5.
Mais je suis bien fol de me plaindre
Veu que tout mal se peut esteindre
Ou alenter par le secours
Que le Pharmatien nous donne ;
Car il remet en santé bonne
Ceux la qui ont vers luy recours.
6.
Assez vraiment on ne te prise
O Pharmatie, qui transmise
Fus jettee du ciel ça bas,
Quand Jupin ce haut-tonnant pere
Ayant digeré sa colere
Voulut retarder nos trespas.
7.
Tu és la garde seure et ferme
De tout homme : veu que le terme
De ses brefs jours vas alongeant
Tu remets és membres la force
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Qu’une langueur perdre s’efforce,
Et les va sans cesse rongeant.
8.
Sans toy, heureuse Pharmatie,
Au tombeau cherroit nostre vie,
Comme elle fit premierement.
Sans toi encor toute la race
Des hommes en bien peu d’espace
Se periroit totalement.
9.
Combien que la cruelle fille
Lachesis, qui nos destins file
A la fin de son œuvre soit ;
Tu faits qu’Atropos sa sœur palle,
Pour couper la trame fatale
D’elle approcher ne s’oseroit.
10.
Jadis le pudic Hippolite
Esteint par une mort subite,
Tu fis au monde revenir :
J’adis encore la Colchide
Le vieillard Eson par son aide
Fit beau et gaillard devenir.
11.
Ainsi que durant la nuict brune
Au ciel on void luire la Lune,
Entre tous les autres flambeaux :
Ainsi entre toutes sciences
p. 15
Reluire on voit tes excellences
Escrites en maints livres beaux.
12.
Or plusieurs Esprits s’evertuent,
Et au labeur presque se tuent,
Pour comprendre tes beaux secrets.
Mais mon du Sin, toute sa vie
T’a si vivement poursuivie
Que familiere tu luy és.
13.
Tu luy és donc si familiere,
Que tout ainsi qu’és la premiere
Entre les arts plus renommés.
Il faut, du Sin, que je te nomme
De ce siecle le premier homme
Des Pharmaciens estimés.
P. C.
p. 16
A MES INTHIMES
TRES-COURTOIS
GARSONNET, GARNIER
ET CITOIS,
Si quelcun me blasmoit d’avoir trop entrepris,
Faisant à mon bouquet si tost voir la lumiere.
Tous trois dites pour moi, qu’au temps qui court, le pere
Peut à peine tenir les desirs de ses fils.
A Monsieur Garnier.
Garnier j’aime ma Muse
C’est tout mon passe-temps.
Quand docte elle m’amuse
Je ne perds point mon temps.
P. C.
p. 17
A MONSIEUR ROBIN TRES-
FAMEUX SIMPLISTE ET
HERBORISTE DU ROI.
SONNET.
Si mon petit bouquet en quelque part qu’il aille
Est de tous caressé, et soit le bien venu,
Il t’en est obligé, seul il t’en est tenu :
Car de toy seul il tient tout l’honneur qu’on lui baille.
Tout ce qui luit en lui, ce qui son chef émaille,
Ce qui le faict paroir, ce qui le rend cognu
Ce qui le rend aimé, est de toi seul venu :
Seul tu l’as enrichi d’une amour cordiale.
Tout ce qui luit de beau, de rare et singulier,
Dans l’immortel gazon de son verd printanier,
C’est de tes larges dons la richesse infinie :
Toy seul dois emporter l’honneur de mon bouquet
Robin, m’ayant tout seul mis en main ce subject,
De descrire ces vers, sans toi privez de vie.
P. Contant.
QUATRAIN AUX ZOILES.
Ceux qui liront comme envieux
Ce verd bouquet pour le reprendre :
Je les prie sans plus attendre
Qu’ils essaient de faire mieux.
p. 18
SUR LE BOUQUET
POETIQUE DE PAUL
CONTANT.
De ton bouquet la forme industrieuse
Qui d’Atropos ne redoute l’effort,
Errant du Su, de l’Est jusques au Nord,
Malgré les ans restera vigoureuse.
Divin bouquet dont l’odeur amoureuse,
Charme des sens l’harmonieux accort,
Lors qu’agitez par un mutin discort,
Ils vont roulant vers la terre poudreuse.
L’Astre jumeau qui premier te forma,
De ses raions ensemble t’anima,
Pour avec lui nouvel astre paroistre.
Si qu’eslevé sur le plancher luisant
Tu te feras malgré le mesdisant
Par les deux bouts de l’univers cognoistre.
T. Garnier. A. D. P.
p. 19
AU LECTEUR LE
PRIANT DE ME DISTRIBUER
DE SES SINGULARITEZ, TANT
pour mon Jardin, que pour mon
Cabinet.
Reçoi ce verd bouquet, lecteur, de bon courage,
Ainsi que de bon cœur je le mets en tes mains,
Juge sans passion ; car mes foibles desseins
Ne peuvent pas attaindre à un si haut ouvrage.
La curiosité, au milieu de mon aage,
Seule a guidé ma plume, et mes esprits tous pleins
De curiosité, ont de mes foibles reins,
Tiré cet avorton, que je t’offre pour gage.
Prens le donc de bon cœur, et si dans ton Jardin
Quelque plante tu as qui ne soit pas au mien ;
Ou si ton Cabinet de quelque drogue rare
Se voioit foisonner, soit fruits, soit animaux,
Soit conches, soit poissons, soit pierres, soit metaux,
Pour m’en distribuer ta main ne soit avare.
P. C.
p. 20
SOUHAIT AU LE-
CTEUR SUR L’ENTREE DU SIECLE
1600.
Puissent tes jours en servant Dieu
Voir de ce siecle le milieu ;
Et si Dieu le vouloit encore,
Que de ce siecle tout entier
Tu puisse voir le jour dernier,
Loué soit son nom qu’on adore.
P. C.
QUATRAIN A MONSIEUR CON-
TANT SUR SON BOUQUET
PRINTANIER.
C’est odorant bouquet aussi tost que j’odore,
Du Nimphal Helicon j’aperçoi que les fleurs
Des Hymnides les prée, et les jardins de Flore
N’ont jamis souspiré plus souefves odeurs.
AUTRE DU MESME.
Vos levres arrousant au Cabalin bruvage
Cheminant d’Apollon dans le toffu bosquet
Vous avez double honneur, aiant cet advantage,
Que d’estre decoré d’un florissant bouquet.
F. C. A. D. P.
p. 21
LE BOUQUET
PRINTANIER DE PAUL
CONTANT, A MONSIEUR DU
LIGNERON MAUCLERC, LA
Brossardiere et Remanguis,
pres Aspremont sur Vie,
Parroisse de Coex et
du Fenoiller.
Je ne veux point chanter des discordes civiles
Les tragiques effects, ni les assaus des villes.
Je ne veux point chanter les armes d’un Castor,
Du grand Tirinthien, ni du Troyen Hector
Les combats furieux, ni la sanglante guerre
Des soldats qui sont morts pour deffendre leur terre.
Je veux tant seulement, Aonien troupeau,
Chanter un verd bouquet, qui tout riche et tout beau,
Rie de tous costez, un bouquet delectable,
Un bouquet seul honneur de ce temps agreable,
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Qui façonné par moi, d’aromates divers,
Descouvre les thresors de ce grand Univers.
Je te baise et rebaise, ô bouche toute pleine
De Serpolet, de Thim, d’Aspic, de Marjolaine,
D’Anet, de Basilic, d’Yssope, et de Jasmin,
De Lis, et de Soucis, d’odorant Romarin,
De Mirthes Paphiens, et d’œillets, et de Roses,
De beau Passe-velours, de doubles passe-roses,
Qui produits en tout temps tant de rares couleurs,
Tant de simples plaisans, tant de sortes de fleurs,
Que le ciel n’a point tant de brillantes estoilles,
La terre tant de grains, ni la mer tant de voiles,
Ni le fonds des ruisseaux tant de sablons mouvants,
Que dans toi nous voions renaistre tous les ans
De differantes fleurs, salutairement pleines
Des odorants parfums des terres Sabéennes.
Car cet œil qui tout void, qui tous les jours visite
Le feu, l’air, et la terre, et qui dans l’Amphitrite
Trempe ses blonds cheveux, ne voit rien de si beau,
Du matin jusqu’au soir, que ce bouquet nouveau,
Sur lequel au printemps les mousches mesnageres
D’un suc chargent leur dos et leurs aisles legeres,
Puis par une faveur que leur a fait le ciel,
Miracle, elles en font et la cire et le miel.
Je te salue donc bouquet, dont la surface
Tous les objects plus beaux de ce monde surpasse :
Dont le front orgueilleux, superbement enflé
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D’arbres et d’arbrisseaux est de tous contemplé :
Et principalement en ceste saison belle,
Que le Phylanthe gay prend sa robe nouvelle.
Pour mon object premier, Je te salue donc,
1. Toi des arbres le chef, dont le tres-riche tronc
Du coupeau Sirien jadis dedans Solime
Fut conduit à grand frais dans la maison sublime
Du grand Dieu d’Israel : Je te saluë aussi
2. Honneur Savoisien, honneur du mont transi,
Dont jadis le Gregois pour Ilion destruire,
Un cheval montueux de ton bois fit construire.
3. Et toi dont le regard atriste mes espris,
Qui decores le rang des arbres de grand pris,
Qui de tous les costez mille morts faits paroistre,
Si de toi quelqu’un veut les grands effects cognoistre,
Qu’il tente seulement d’un morphean sommeil
Le dormir chasse-ennui, s’asseure à son reveil,
Qu’une fievre tramblante hasardera sa vie
Soubz les mornes rameaux de ton ombre obscurcie.
4. Je m’incline à tes pieds reverant ta grandeur,
Arbre Plutonien, dont la triste verdeur,
Jadis environnoit d’une funebre sorte
La porte du logis de la personne morte.
Et lors que le corps mort au buste estoit randu,
Tu estois tout autour largement espandu,
Ainsi ceux du convoi par ta senteur presente
N’estoient point offensez d’aucune odeur puante1.
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Tousjours verd Bourdelois, rare piramidal,
Propre pour fabriquer un arceau triumphal,
Tels que sont ceux qu’on voit pour ce jourd’hui reluire,
Dans l’esmaillé jardin de celle qu’on peut dire
Digne de gouverner les vergers Alcynois,
Et ceux de Chante-loup, le plaisir de nos Rois :
Tant curieuse elle a de soin de faire croistre
Ce que son feu mari d’excellent a fait naistre
Dans son ombreux bosquet, pour donner volontiers
Un plaisir rare et grand aux dames de Poictiers.
Un docte medecin, dont la longue prattique
Avoit d’honneur chargé sa personne publicque,
Presageant son trespas en sa religion,
Des plus sages blasmé de superstition,
Conjura ses amis d’orner sa sepulture
De tes tristes rameaux d’une idolatre cure :
Afin de tesmoigner par ce desir d’honneur
Qu’il estoit le premier de tes arbres culteur.
5. Toi qui de tous costez mille pointes aigues
As pour seure deffence autour de toi cousues,
Qui herisse tes flancs propre à faire buissons,
Dont l’Itale se sert en ses seures cloisons,
Fidelle gardien d’un escarté vignoble,
De peur que le larron ravageur et ignoble
Ne cueille avant le temps d’un malicieux cœur
Le fruict au bois pendu qui n’est encore meur.
6. Dieu te gard Delphien qui soubz ta tendre escorce
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Jadis allas cachant pour eviter la force
D’un Dieu trop amoureux, les membres beaux et nuds,
Qui avoient à mespris2 les plaisirs de Venus :
Dont le chef tousjours verd va couronnant les testes
Des guerriers tous chargez d’honorables conquestes.
Que tu puisse tousjours sacré Thessalien,
Honorer de mes fleurs le sejour Paphien,
Que tu puisse tousjours loin rejetter la guerre :
Que nos estocs sanglants sur l’Othomane terre
Tournent leur fil tranchant, et qu’en France à jamais
Tu sois signe certain d’une eternelle paix.
Et qu’avec le haut chant des clairons et des trompes
On te voie porter aux pacifiques pompes
Du Louvre de Paris, que ses Jaspés arceaux
Soyent eternellement ornez de tes rameaux.
7. Je t’honore arbrisseau, dont les dames d’Athenes,
Qui de la chasteté donnoient preuves certaines,
Guirlandoient leur haut chef, et des feuilles faisoient
Leur couche, en la saison qu’elles3 sacrifioient
Aux manes de Ceres, pour que leur sacrifice,
Dit Thesmophorien, vers les dieux fust propice.
8. Mais voila pas celui qui au goust de pinon
Porte un fruict rapportant, et profite dit-on
A ceux qui impuissants dans leurs rameuses veines,
N’ont pas dequoi fournir aux joutes Cypriennes,
Defaillant le motif du comble des amours,
Fait que deffaut en eux le plaisir de leurs jours.
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Mais par un laps de temps son noyau moelle verte,
A infus’ dedans lui une vertu axperte,
Aiguisant les esprits aux combats amoureux,
Qui doublant les efforts, les rends plus vigoureux.
Comme à ceux qui auroient mangé de l’Erithrone
Pour onc ne se lasser aux faveurs de Dione.
9. Voici vraiment celui dont le bois excellent
Est pris pour façonner le pointu curedent,
Qui beau va decorant les garigues plaisantes
Du Languedoc, où sont ses beautés verdissantes :
Arbre petit au pres de celui, soubs lequel
Le vieillard faux tesmoing, disoit à Daniel
Avoir Susanne veu commettant adultere
Avec un jouvenceau : dont la larme tres-claire
Distilant de son tronc a cent mille vertus,
Dont mille et mille maux sont en nous combatus.
10. Que je t’embrasse aussi dont la feuille produit
Un excrement cornu, inestimable fruict,
Qui au printans cueilli heureusement colore
Et la soie des Turcs, et des Gregeois encore.
Dont la riche liqueur chez le Venitien
D’Hybla5, de Macedoine, et du port Cyprien
Aborde abondamment, et qui tres-excellente,
Porte le nom de l’arbre où elle est resudante
21. Toi qui te plais le long d’un dous coulant ruisseau,
Qui jadis paroissoit si superbe et si beau
Au bord d’une fontaine, au pais de Licye,
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Où par diverses fois la grandeur aguerrie
D’un chevalier Romain, soubs son toict aresté
A lui dixhuictiesme en son creux banqueté.
Et soubs lequel aussi le puissant fils de Rhée
D’Europe viola la chasteté sacrée :
Arbre malencontreux, où jadis se pendit
Marcie le fluteur, furieux et despit :
Et qui d’or tout massif à ce grand Roi de Perse,
Ce grand Roi conquerant, pere du puissant Xerce
Par un Bithinien Pithie surnommé,
Celuy duquel on a de tout temps renommé
Les thresors innombreux, fut donné par merveilles
Avec autres joiaux de valeurs nompareilles.
12. Approche, ne crains point comparois hardiment,
Petit Acatien usurpé faussement
Pour l’espineuse plante en Egypte naissante,
Dont les feuilles on peut jusqu’à trois cens cinquante
D’un seul poulce couvrir ; nous faisant à l’œil voir
Que la sage nature a beaucoup de pouvoir ;
Que ta fleur, fleur de poix, de sa couleur pourprine
Embelisse ce lieu de sa beauté divine.
13. De là est l’arbrisseau qui du Dodonien
Piquant et tousjours verd a le feuillu maintien,
Dont le fertil pais, et la fameuse ville
De Mont-pellier reçoit un thresor tres-utile,
Par le suc rubicond d’un vermeus excrement,
Qui soubs sa feuille croist fort copieusement :
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Dont l’ouvrier Gobelin d’une richesse exquise
Colore de ses draps l’estoffe plus requise :
Dont le Pharmacien docte et soigneux d’avoir
Remede tres-exquis, fait par lui seul, revoir
Le jour, à ceux qui prés de l’Orque impitoiable
Vouloient passer du Stix la rive inexorable.
14. Toi taneur arbruisseau, dont le rougissant fruict
Aigre-doux, fait en grappe, attraiant apetit,
Es cuisines gardé, graine delicieuse,
Qui la viande au goust nous rend tres-savoureuse
Sur le tablier de lin, où se voit ordonné
L’appareil sumptueux du matinal disné.
15. Je revere sur tous cet6 arbre chasse-guerre,
Donne-paix, tousjours-vert ; dont la fertile terre
De Provence fournit la France de liqueur,
Que son fruict savoureux nous rend, quand il est meur.
16. Toi qui vas honorant d’un beau vert qui recree
Les coustaus où se voit la fontaine sacree
Du roc passe-lourdin, et qui portes le nom
Du pais, où tu prens ton Cyprien renom,
Bien qu’en divers endroits ta tousjours verte plante
Sans culture se voit abondamment naissante :
Pourtant le grand thresor que ta feuille nous rend
Fait qu’à te cultiver un grand plaisir se prend.
Non pas en ce païs, où ta feuille peu veue
En ses rares effets n’est encores cognue ;
Ains en toute l’Asie, et aus terres qui sont
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A l’infidelle Turc, où les dames se font
De ta feuille seichee une double merveille,
Qui teint en couleur jaune, et en couleur vermeille
Et leurs pieds, et leurs mains, et leurs beaux cheveux longs,
Qui leur pendent du chef jusque sur les talons.
17. Je t’admire arbrisseau, dont le fruict de la fraise
Ressemble, ou du platan, ou bien de la framboise :
Beau, digne d’estre7 veu, qui decores les bois
Taillis marecageus des sables Olonnois.
18. Vien porte-rose-verd approche Delien,
Stigienne poison pour l’Asne et pour le Chien,
Pour beaucoup d’animaux venin par trop contraire,
Et à l’homme tout seul remede salutaire,
Quand mordu du serpent, craintif te va querir,
Pour un remede utile et prompt à le guarir
Du venin, qui desja dans ses vaines tremblantes
A mortel congelé ses chaleurs violantes :
Qui de l’Apulëen en Asne transformé
De ta fleur as deçeu le sçavoir consommé,
Lors qu’il8 te pensoit estre une vermeille rose,
Qui devoit mettre fin à sa metamorphose,
Pource que par le ciel il estoit arresté
Qu’il prendroit par la rose encore sa beauté.
Mais lui qui n’ignoroit en sa figure asniere
Chose qui lui peust nuire, il se retire arriere,
De crainte de gouter un si funeste appas
p. 30
Qui au lieu de sa vie advançast son trespas,
Esperant par le temps avoir autre ouverture
De trouver guerison en sa triste adventure.
19. Arbre à Venus sacré qui dés l’aube du jour
Jusques à l’occident, ne chantes que d’Amour,
Convoque ce troupeau, que ta plante amoureuse
Aimee de Cypris deesse gratieuse
Commande à ce balet, fai qu’aujourd’hui tu sois
L’honneur des monts, des prés, des valons, et des bois.
Qu’aujourd’hui tu sois veu assisté de la sorte,
Que chasque feuille et fleur reverence te porte :
Et que du beau printemps les printanieres fleurs
Soient conduites par toy au comble des honneurs.
20. Bon jour, belles, bon jour, Dieu vous gard chere troupe,
Qui le printemps aimé nous amenés en croupe,
Qui malgré les Autans ne laissez de paroir,
Qui dans les froids glaçons faites qu’on vous peut voir
Toutes couvertes d’or, vous soiez bien venues,
Comme aussi celles la qui de vous sont tenues,
Et qui vont ressemblant vos feuilles et vos fleurs,
Vostre vertu puissante et vos vives couleurs.
21. Sois aussi de la troupe, ô toi qui as la feuille,
Et qui portes le nom de la mouvante oreille
Du jusneur animal, qui de deux fois sept jours
D’un sommeil Morphean vas terminant le cours
Dans ta grotte escartee, animal foible veue
Sur l’eschine duquel, la personne eperdue,
N’a pas si tost monté, que la tremblante peur
Ne soit au mesme instant bannie de son cœur ;
Hardie montre toi. Et toi mignardelette,
22 . Toi belle perse fleur, fleurante violette
Simbole des amours : ah ! je voi que tu veux
Du printanier bouquet anneler les cheveux
De ta celeste fleur, dont la beauté j’admire,
Je baise autant de fois que Flore son Zephire.
Car tant de doux baisers dans mes membres mi-morts
Font rentrer la santé qui en estoit dehors.
23 . Toi jaune chef penchant qui ne crains la froidure
Du venteux Scityen, dont la verte coiffure
Apparoist au milieu de tant de froids glaçons,
Et monstre son chef d’or dans les laineux floccons
D’un par-terre blanchi. Sui, toi qui de toi mesme
24. Te rendis amoureux, dont en fin la mort blesme
Mit fin à tes amours, montre nous ton plus beau,
Et de grace sois chef du trois fois dix troupeau
Que porte ton beau nom, dont les fleurs blanchissantes,
Des jaunes, de beaucoup ne sont pas differentes.
25. Et toi Amiclean qui jeune et tendrelet
Ne fus prompt d’eviter la cheute du palet,
Quand ce grand Cynthien dans le champ de Mercure
Perçoit presque les cieux de mainte pierre dure,
Serene toy le front, et te plains qu’à grand tort
Le blond Latonien fut cause de ta mort :
p. 32
Las ! povre tu mourus en l’Avril de ton aage,
Rendant au noir Pluton ton âme pour hommage :
Car le palet lancé du haut d’Olimpe en bas,
Tumbant dessus ton chef, te donna le trespas,
Dont les ondes de sang à flots flots decoulantes
Font germer tout soudain mille fleurs excellentes,
Qui retiennent ton nom, de qui le pouvoir beau,
Ne se voit en vigueur, sinon au renouveau :
J’idolatre en ta fleur la couleur azuree,
Et ton pers, et ton blanc, ta grace desiree,
Et de celles encor, qui diverses ont pris,
Par leur forme et couleur, ton nom de si haut pris.
26. Printaniere beauté dont la feuille ternaire
Du trois-fois tout-puissant nous sert de formulaire,
Individu en toi dés ta nativité,
Ainsi qu’est le triple-un dés toute eternité.
27. Mais quelles celles-ci dont les couleurs diverses,
Riches de cent beautez, des magnifiques Perses
Nous font voir les Turbans, dont les fronts affetez
Montrent je ne sçai quoi rempli de majestés,
Ca ça montrez vous donc, haussez vos riches crestes,
Et nous faittes paroir les beautez de vos testes :
Car on admire en vous mille belles couleurs,
Brillantes dans le jour de vos diverses fleurs ;
Fleurs au nombre infini, qui belles et aimables,
Remplissez ce bouquet de couleurs variables ;
Fleurs dignes d’enrichir d’un invincible Roi
p. 33
Les jardins sumptueux, apres qu’un desarroi
D’un peuple mutiné soubs quelque faux pretexte
A voulu de son Roi descouronner la teste,
Qui se voiant vainqueur paisible en ses estats
Recherche les moyens, hors des sanglants combats ;
Le plus souvent quil9 peut d’une ame curieuse
Le plaisir d’admirer de l’Inde precieuse
Les simples non encor dans nos jardins venus,
Et ceux qui ne sont pas du vulgaire cognus,
Ains des chers nourissons du divin Epidaure
Pidoux, Lavau, Milon, le Coq, Cytois encore,
D’un Robin, dont le nom vole par l’univers,
Qui merite avec eux, place dedans ces vers.
Or mon cheri Robin, mon Robin que j’honore10
Ami, seul instrument qui faits que ma muse ore
S’esveille avant le temps : ami de qui je tiens
Tant de sortes de fleurs, pran comme d’un des tiens
En gré ces quatre vers : non pas qu’en eux je chante
Ce que doit meriter ta vertu renaissante :
Ains pour gaige d’un cœur, du tout voué pour toi,
Et qui mesme est plus tien qu’il ne peut estre à moi.
Herboriste fameux du plus puissant monarque
Qui ait oncques passé dans l’infernale barque,
Autre Anazarbeen, d’un chacun estimé,
Comme estant d’Apollon le fils plus renommé,
Suplée à mon defaut : Robin fai que ma Muse
En un si beau chemin à chanter ne refuse
p. 34
Les plus rares beautez que le ciel fasce voir,
Desous son clair manteau du matin jusqu’au soir.
Car toutes les couleurs qui dans la mer se voient
Qui dans l’air, dans la terre, et aux cieulx se desploient
Dans le nombre infini de ces superbes fleurs,
De ce vaste Univers se voient les couleurs.
28. Quelle est cette beauté folatrement superbe,
Qui d’un pied glorieux foule la plus basse herbe,
Fachee de se voir en ses riches habits
Compaigne d’avortons trop foibles et petits.
Mais quel est son beau nom, sa majesté roiale
Me semble le Lalé11 Couronne Imperiale,
Couronne qui jadis as le peuple François
Conduict onze cens ans soubs tes saliques loix.
Ores qu’un temps brouillé fait que morte on te pense,
La France et les François tumbent en decadence.
29. Et l’autre qui la suit de son pas mesuré,
Semble seule embelir ce bouquet azuré,
Semble seule effacer de sa riche apparence,
Tout ce qui naist12 autour de sa chere presence ;
Semble seule effaçer les plus riches beautez
Des simples tout autour du verd bouquet entez.
Tout ainsi que Phebus des rais de sa lumiere,
Efface la clarté de la brune courriere.
Premiere de son rang, du parterre l’honneur,
Du doux-flairant bouquet, dont l’estrangere fleur
Semble le bras François rouge du feu carnage
p. 35
Du sang concitoien, lors que rempli de rage
Abandonnant son Prince et delaissant sa foi
Il se rendit subject d’une etrangere loi,
Pour chetif demeurer tout le temps de sa vie
Esclave sous le joug du Roi de Cantabrie.
C’est l’unique beauté, c’est13 ceste unique fleur
Ditte le beau d’un jour, qui parfaite en couleur,
Merite que l’on face un hymne de louange,
Qui publie son nom de l’Inde jusqu’au Gange.
30. Et toi grosse d’honneur, richesse du bouquet,
Dont la racine porte un merveilleux effet
A ceux qui travaillez d’une incurable peine
Tombent du mesme mal, duquel le fils d’Alcmene
Fut jadis surmonté, toi belle dont la fleur
Simple et double se voit, dont la vive couleur
Semble un glaive vincueur qui sort de la bataille,
Apres avoir donné et d’estoc14 et de taille
Un million de coups, sans qu’un seul ait trouvé
Lieu qui peust resister au trenchant esprouvé.
Ouvre ton rouge sein, que ta fleur pavotee,
Paree richement ne soit plus depitee ;
Et ne face refus de faire voir son beau
Soubs le brillant aspect du Delien flambeau.
31. Et toi blanche sa seur dont les beautez exquises
Ne sont moindres d’honneur, ni de vertus acquises,
Tres-rare en tes effects, et qui n’as point encor
Fait voir en ce bouquet ton florissant thresor,
p. 36
Thresor qui ne vaut moins que la riche abondance
Du Lidien Pactol, de Crœsus la chevance.
Car j’aime mieux ta fleur, lors qu’elle15 est de saison,
Que tout l’or de Midas, que le gain de Jason.
32. Mais quelles celles-cy ? dont les pas lens et graves
Superbes au marcher rendent mes sens esclaves
De leurs perfections, et dont les riches fleurs
Me font voir en un bloc mille belles couleurs ?
Ça ça je vous cognoi, ça ça venez mignardes,
Recevez de bon cœur ces caresses gaillardes,
Telles que vos beautez meritent : car sans vous
Nous n’aurions rien de beau, nous n’aurions rien de doux.
Venez premierement vous riche, à larges feuilles,
Dont la verdastre fleur double de trente feuilles,
Tachetee du jus du pourpre precieux,
Qui jadis coloroit de nos Rois demi Dieux,
Les habits sacro-saincts : Toi double Coccinee,
Qui portes la couleur du teint de Cytheree,
Toute mignardelete ; et toi blanche où és tu ?
Vien vien, approche toi, deploie ta vertu,
Ores que l’escadron de ta bande gaillarde
Se serene le front pour faire l’avant-garde
A tant de raretez, qui te suivent de pres,
Comme sur les buissons s’eslevent les Cypres.
[32.] Toi jaune, toy celeste, et toi belle azuree,
Et toy estroitte feuille, à la fleur empourpree,
Marche en rang, ne crains point : car certes tu auras
p. 37
De l’honneur, quand au nom de toutes tu diras,
Pour contenter vos yeux, pour resjouïr vos ames,
Pour orner les bouquets des plus accortes Dames :
Ce grand, dis-je16 premier, qui nous a descouvers,
Et qui pour nous trouver, de ce grand Univers
A fait presque le tour, nous aiant de Bisance,
D’Espagne et Portugal tirés dés nostre enfance,
Pour esclaves nous voir reverdir chacun an
Du printemps desiré, dans le flandrois Leidan :
Honneur qui ne reçoit soubs ceste riche voulte,
Prix qui puisse egaler ceste richesse toute,
C’est ce grand de l’Ecluse, à qui nostre pouvoir
A esté decouvert, comme bien pouvez voir
En tant de ces labeurs, dont la docte science
A faict que tout le monde en ait eu cognoissance.
Car non content d’avoir de nous tout le plaisir
Qu’il pouvoit souhaitter d’un louable desir,
Premier nous fit paroistre aux Jardins des grands Princes,
Et depuis transporter en cent mille provinces :
De sorte que chacun ores desire avoir
Le bien tant seullement que de nous pouvoir voir,
Attendant qu’un Hymen d’une bonne semence
Face multiplier le rare en abondance,
Et de ce doux Hymen, de ce nopcier heureux,
Le mesme de l’Ecluse à ceux qu’il aime mieux,
Non chiche a departi par tous les coins de France,
Les enfans procreez de si rare semance :
p. 38
Aux lieux à tout le moins, qui pour leur grand sçavoir
Ont tous seuls merité le bien de nous avoir :
Et nous faisant passer par incertaine voie,
A l’hasard à Poitiers, en paquets nous envoie
A ce grand Coq fameux, l’honneur de nostre temps,
Ce Coq qui reverdit, comme l’herbe au printemps :
Ce Coq qui fut de nous l’avancoureur fidelle,
Tout ainsi que le coq, dont la ba-batante æsle
Nous presagist l’honneur de l’Orizon vouté,
Lors que son chant nous fait certains de sa clarté.
Ainsi ce docte Coq, de qui la renommee
En Flandre, en Allamagne, en Itale est semee.
Or cheri dans Poictiers Epidaure17 Gaulois
Premier nous a receus du bas pays Flandrois ;
Estant digne d’avoir de nous la cognoissance,
Et le bien de jouir de si chere chevance.
Qui joieux nous receut, et cognut estre aimé
De ce grand de l’Ecluse en ce monde estimé ;
Et en faveur de lui nous loge et nous retire,
Et d’un parfait amour le printemps il desire,
Pour voir nos riches fleurs, pour s’egaier en nous,
Et dans la mer du temps recevoir un temps dous.
33. Mais qui sont celles ci dont les testes pointues,
Orgueilleuses quasi perçent les hautes nues,
Irritees je croi, et bouffantes d’orgueil,
Nous ressemblent montrer leur mal-talent à l’œil18,
Jalouses de l’honneur : car leur beauté merite
p. 39
Louange qui ne soit trop vile et trop petite.
Cessez mignardes donc, cessez vos justes pleurs,
N’offancez vos beautez par vos tristes douleurs,
Ce n’est point par oubli si je vous ai laissées,
Ce n’est point par desdain si vous n’estes posées
Au plus beau de ce lieu : mais chascun doit avoir
Lieu selon son merite, et selon son pouvoir.
Toi qui semble le pied de l’oiseau d’Ericine,
Pourquoi t’offences tu ? veu mesme que Cyprine
Grande, aimee des Dieux, la mere des vivants
Ne s’offence si tost : Toi, des oiseaux jouants
Dedans l’air19 balaié, le prodigue exemplaire
De l’humble charité du fils envers le pere,
Pourquoi s’arme ton bec ; ô quiconque tu sois
Qui du veillant troupeau qui forme un Y-gregeois,
Portes le bec pointu, de si superbe audace
N’ensanglante les tiens au milieu de la place.
Ains sage et bien apris au milieu du troupeau
Qui suit ta majesté, montre nous ton plus beau :
Comme aussi fai nous voir des autres les especes,
Dont les fleurs rouges sont, fusques, pourprines, perses.
34. Quoi, je pense sortir du combat d’un costé,
Et soudain je me voi par un autre arresté.
Ah ! pauvrettes cessez, que vos voix coaxantes,
Ne soient à mon discours aucunement nuisantes :
N’empruntez cette voix, contantez vous du nom,
« Assez acquiert celui qui a vogue et renom,
p. 40
Vous estes en estime, on fait de vous grand feste,
O belles, qui portez le surnom de la beste
Prophete du printemps : puis les rares vertus,
Qui vont suivant de pres vos corps de vert vestus,
Meritent que l’on face à vostre grande suitte
Un hymne triomphal, plein de vostre merite :
Car trois fois douze fleurs, ou plus encore, font
Ce bouquet glorieux des beautez qu’elles20 ont.
35. Bon Dieu quel escadron, quelle tourbe mutine
Est ce qu’yci j’entends, et qui droit s’achemine
A moi d’un pas hardi, et qui pousse au devant
Signe de sa grandeur, un je ne sçai quel vent ?
Vent supernaturel, vent qui de la Sabee
Aporte avecque soi la senteur derobee.
Tout beau, belles, tout beau, patientez un peu,
Car je vous garde bien l’honneur qui vous est deu.
Croiez que vous serez, en ce verd edifice,
Celles qui rendront beau l’œilladé frontispice.
Toi masle sauge-feuille, et toi femelle aussi,
Pourquoi n’esteignez vous mon eternel souci
Par vostre belle fleur ? vostre incarnate rose,
Qui vermeille obscurcit de l’Aurore declose
Les habits emperlez, quand son vieillard grison
Dort paresseusement dessous nostre Orizon ?
Toi qui de feuille semble à ceste herbe sublime,
A ceste herbe oste-faim, la mariniere Halyme ;
Aproche librement, toi belle qui du Thim
p. 41
Porte la feuille, aussi toi qui du Rosmarin,
Toi qui de la Lavande, et vous trois qui du Saule,
Du Mirthe et Marjolaine avez la feuille et caule,
N’usez point de desdain, ains toutes librement
Venez nous faire voir vostre beau parement,
Toutes je vous y somme, et par l’amour extreme
Dont, belles, vous sçavez qu’ardemment je vous aime
Belles, si le Soleil nous fait rien voir de beau
De sa nativité jusques à son tombeau.
Car l’eternelle main n’a d’une vertu seule
Honoré vostre espece, ains dessus vostre feuille
Il fait pleuvoir un ros, dont le barbu menton
Des chevres et des boucs, se charge, ce dit-on,
Lors qu’ils broutent gloutons les gras-gluans feuillages
De vos tendres jettons, aymez sur tous herbages :
Quand costoians autour, leur long poil blanc-barbu,
De cet humeur en fin se trouve tout imbu.
Et outre il croist au pied de vostre caule, un germe,
Dont il se fait un suc, d’une vertu tres-ferme ;
Car seiché au Soleil et par soin épuré,
Aporte à plusieurs maux un remede assuré.
Voila comme vos fleurs, feuilles, et sur-racines,
Seules ne sont par nous mises en medecines ;
Ains le tout nous est beau, tout est exquis en vous,
Et rien n’en sort, qui n’ait quelque effect bon pour nous.
36. Ici la verte-blanche et solaire fleurette
Qui du Grec en François, laict d’oiseau s’interprette,
p. 42
Marche d’un large front, et d’un envieux pas,
Ses compagnes d’orgueil cheminent sans compas,
Ne voulant pas ceder leur nombre septenaire,
A un nombre plus grand, bien que sexagenaire.
37. Sexagenaire trouppe honneur des riches prez,
Honneur des monts, des bois, des valons diaprez,
Des maleficiez tres-singulier remede,
Remede pour Venus, qui tous autres precede,
Et qui portez le nom des Faunes esvantez,
Et qui du Redempteur la main representez,
Qui du chien masle encor portez en la racine
Les dents, et les tesmoins, propres en medecine,
Dont maints glacez amants, et maints vieils amoureux
Usent pour augmenter21 plus de chaleur en eux,
Pour au doux jeu d’Amour avoir plus de puissance
De fournir au deffaut de leur chiche semence.
38. Mais quelle ceste ci qui semble avoir en main
Un Sceptre imperial guide du genre humain ?
Qui superbe en ses pas meine pour son escorte
Suitte de deux fois-trois de sa semblable sorte.
39. Vous qui belles semblez, et qui portez le nom22
Du flambeau de la nuict, qui avez le renom
D’un blanc-luisant satin, dont maintes damoiselles
Decorent par honneur leurs poictrines jumelles.
40. Vous qui du Poëte Grec aveugle avez le nom,
Dont la racine semble au cuisinier oignon,
Qui pour exorcizer estes par trop utiles,
p. 43
Et aus enchantemens remedes fort habiles.
41. Vous Letheanes fleurs, dont les testes coupees
Rendent un laict tout plein de sommeils de Morphees,
De dormirs eternels, si le suc épuré
D’antidotes certains23 n’est tres-bien preparé.
42. Vous qui portez le nom de ce Roi d’Illirie,
43. Gentie surnommé. Vous24 dont la fleur cherie
D’un astre flamboiant qui bluette semblez,
Vostre trezeine trouppe à ce bal assemblez,
Pour aporter du lustre, et pour donner lumiere
A ce bouquet, l’honneur de ceste prime-vere.
44. Mais quelles celles-ci, qui pleines de venin,
Belles pourtant de fleurs, se mettent en chemin,
Et fachees s’en vont à la teste baissee,
Prandre de ce bouquet la place mieux gencee.
Roine folle d’amour, qui pour le fils d’Eson
Endormis le Dragon, pour avoir la toison
De l’or Pactolean, Roine qui sceus bien faire
Pour agreer au fils, rajeunir le vieil pere :
Et qui traistre à la fin osa bien attenter,
Trop indiscretement, de tes yeux s’absenter :
Ton Roiaume a donné25 à ces bulbeuses plantes
Le nom, dont les vertus sont beaucoup differentes.
45. Vous qui belles semblez à l’enazé museau
Du cornu porte-Europe, alors qu’au bord de l’eau26
Au printemps il bondit en une verte pree,
Quand libre exempt du joug ses esprits il recree27.
p. 44
47. Toi dont la feuille sert, et qui portes le nom
De l’effect, pour lequel tu as vogue et renom :
Feuille porte-coton, porte-fil porte-laine,
Brulante et esclairante, en une lampe pleine
D’huile, ainsi que feroit le filet etillé,
Ou le Malthois cotton par la femme filé,
Comparois hardiment, que ta fleur rougissante
D’honorer ce bouquet ne soit point refusante :
Fai marcher apres toi d’un signal, pour la voix,
Ta suitte qui parfait nombre douze fois trois.
48. Vous belles, qui semblez aux griffes tres-pointues
De l’Aigle Imperial, qui domine les nues,
Dont vous portez le nom, monstrez vostre valeur,
Belles, qui de la mere à nostre Redempteur,
Portez des gans le nom, faites que vos especes
Comparoissent ici en leurs robes diverses ;
Car sans vous nous n’aurions le moien de rien voir
De ce qui beau se peut dire en ce bas terroir :
49. Toi belle qui faits voir dans ta fleur, l’excellence
Des diverses couleurs de l’arc28 de l’alliance,
Monstre nous ton plus beau, et semons librement
Le bulbeux jaune-fleur, à paroir promptement,
Assisté du bulbeux à la fleur cerulee,
Du bulbeux dont la fleur est de bleu variee,
Du deux fois florissant, et du grand Dalmatic,
Du Susianien, du blafard Illiric,
Et les autres restans, fai marcher de vitesse,
p. 45
Pour en ce beau bouquet estaler leur richesse :
Car trois fois dix et plus, d’un front bouffi d’orgueil,
S’ouvrent en cette place au lever du Soleil.
50. Et toi blanche du laict escoulé de fortune
Du tetin de la fille au pere de Neptune,
Femme et sœur de Jupin, emperiere de l’air,
Qui commande en la terre, et dans l’ondeuse mer,
Avec tout l’escadron de ta bande amiable,
Assiste ce convoi de ta grace agreable.
Vous orengées fleurs, qui florissez si tard,
Vous flammeus qui portez dans vos habits à part
Le bulbe semencier, qui semé represente
En sa perfection toute la mesme plante :
Vous rouges bien aimez, mon desir printanier,
Qui mes soucis cuisans me faites oublier,
Lors que j’admire en vous tant de graces infuses,
Tant de rares projets, tant de beautez confuses,
Tant de varietez, dignes cent et cent fois
D’enrichir les jardins des Princes et des Rois.
Ornez ce beau printemps, belles fleurs d’excellence,
Rien de beau ne se voit que par vostre presence.
53. Toi superbe croisé, dont ta fleur, le Turban
Semble du Persien, ou du Turc Othoman,
De cette belle escadre aie soin je te prie,
Et de te faire voir un long temps ne t’ennuie.
46. Toi qui portes le nom de cet oiseau Roial
Dont la parlante voix, d’un discours Jovial
p. 46
Esjouit du passant, renfermé dans sa cage,
L’humeur melancolic, qui son cerveau ravage,
Quand d’esclatante voix il se nomme tout haut,
Le cher mignon du Roi, à qui donner il faut
Le friand desjuner, et folastre babille,
Et raconte aux passants les secrets de la ville.
Mes yeux jeunes ont veu et mille et mille fois,
Dedans Romme au Palais d’un Cardinal François,
Un de ces animaux, dont l’affetté langage
Artistement apris par un frequent usage,
Raportoit proprement d’un disert orateur
Les graves-doux discours : car d’un propos flateur,
Tantost il entonnoit de Petrarque la Laure29,
Et tantost de sa voix il allumoit encore
Les feux Gregeois esteints : et tantost en latin
Il disoit quelques vers, puis quand son avertin
Le prenoit, il chantoit, tantost un vau de ville,
Tantost une Pavane, or d’une voix pupille
Contrefaisoit l’enfant, puis en discours divers
Il amusoit le peuple, or en prose, or en vers.
Si que le ciel qui voit tous les thresors du monde,
Ne voioit rien plus beau sur la terre, et dans l’onde.
Je te salue aussi toi feuille qui produicts,
Par toi seule racine, et fleurs, feuilles, et fruicts :
Fruicts du fruict du figuier aiant la resemblance,
Mais non le goust si bon, ni si plein d’excellence :
Qui rare te faits voir et te faits admirer
p. 47
Dans le riche pourpris du Romain, Bel-veder :
Où mainte et mainte fois, ma jeunesse écartee
En admiration j’ai30 senti transportee,
En voiant par merveille en une feuille tant
De feuilles qui s’aloient l’une sur l’autre entant.
C’est toi cher Moriceau, c’est31 toi fils de Permesse
Qui me faits posseder une telle richesse,
C’est de toi que je tiens un si riche thresor,
Que je n’estime moins, que les perles et l’or
De l’Inde precieuse, et que cent fois encore
Ce que voit ce grand œil qui le monde re-dore.
Ce sont de tes bien faicts, Moriceau : mais croi-moi
Qu’un jour j’entonnerai ton renom : mais pourquoi
En un subject si beau faut il que je m’arreste ?
Non il ne le faut pas ; Muses tost qu’on m’apreste
Du doucereux Nectar un hanap Pithyen
Pour monter plus dispos au mont Permessien :
Où glouton je boirai dans la vive fontaine
Des bouillons Ambrosins, de la source Hipocrene,
Pour chanter à jamais ennivré de ton eau
Les singularitez que j’ai32 par Moriceau.
Que l’on voit aujourd’hui paroistre par merveilles
Dedans mon cabinet plein de choses nouvelles,
Que l’Inde, le Peru, que le Nil, que le Nort,
Ont par faveur jetté sur le bizarre bord,
Du Clan large ruisseau, où la faveur divine,
M’a faict en cet endroict favorable Lucine.
p. 48
Toi pleureux Crocodil qui as daigné quitter
Ton Gosen serpentant, pour venir visiter
Le Poictou, qui chez soi ne voit mourir ni naistre
Reptile si puissant, qui de toi m’as faict maistre,
M’estimant estre digne, indigne toutesfois,
D’estre ton gardien : toi quiconques tu sois
Qui resemble à te voir le monstre que Regule
Attaqua vivement quand le gros de Romule
Intimidé dessa tant de sortes d’engins,
Qu’il en eust ruiné l’empire des Romains,
S’il eust voulu tourner ses armes homicides
Ennemi du repos, comme les patricides,
Vers son païs natal : montre hardi ta longueur
De treze pieds et plus, et ta ronde grosseur,
A tous ceux qui diront, mescroiant33 la puissance
Du trois-fois-Tout-puissant, qu’il ait donné naissance
A un si gros, si long, si furieux serpent,
Qui soit dessus le ventre en la terre rempant.
Et dis à haute voix, au moins si la parole
Te vient ; mais en ceci je sers de protecolle,
Faites à Moriceau, humble remerciment :
Car par lui vous avez l’heur et contentement
De me voir en ce lieu, aiant quitté mon maistre
Apollon Rochelois, pour me faire paroistre
Dans les Pharmaques mains de Contant, qui chez soi
A dequoi contenter l’esprit mesme d’un Roi.
Le reptile Toüous me sert de compagnee,
p. 49
Et l’Iuanas encor, et la pointe aceree,
Du couteau poissonnier, le furieux Dragon
Y preside d’honneur, le marin herisson
De ces pointes armé dont les vives pointures
Des Viperes en rien ne cedent aux morsures,
L’Irondelle de mer, le Tiburon denté
La Squatine, et encor le Creac haut vanté
L’Ipocampe marin, et celui qui estrange
Selon l’object prochain de couleur soudain change.
Le Stinc venerien le Remore petit
Qui des vents irritez ne craint point le despit,
Quand son foible museau sur la nef agitee
Des perilleux efforts de la mer irritée,
S’attache vivement, que tous les Aquilons
Que tous les vents en un furieux et felons
S’arment pleins de despit, que toute la machine
Pour esbranler la nef et desplacer s’obstine,
Rien, rien, le Tout-puissant qui de telle vertu
La Remore a rempli, ne peut estre abbatu,
Ains ferme restera jusqu’à ce que son moufle
Fiché contre la nef, des vents l’effort ne trouble.
Je ne suis seulement des animaux de mer
Compagnon, mais encor de ceux qui sont en l’ær.
Ceux qui rempent sur terre, et ceux que le feu mesme
Tient en sa garnison, dont la froideur extreme
Amortit la chaleur des brasiers plus ardans,
Quand pour en faire preuve on les jette dedans.
p. 50
Les fruicts que le Peru produict à grand merveilles
Y sont abondamment, et les Conches tres-belles
Que la mer jette à bord, apres le dur trespas
Des hostes casaniers qu’elle34 tient en ses35 bras.
Les gommes à foison, les larmes36, les resines,
Les bois les plus exquis, les metaux les plus dignes,
Dedans son cabinet se voient largement.
Bref chez lui l’on peut voir, soit du froid élement,
Soit du chaud, soit du sec, ou bien soit de l’humide,
Cent mille raretez, il n’y37 a rien de vuide.
Que si vous l’ignorez, pour n’estre dit menteur,
Voiez son cabinet : mon maistre de bon cœur
Montrera ce thresor. car certe il ne desire
Rien que de contenter tout esprit qui aspire
Aux celestes vertus : sa bonne volonté
Les curieux y a de long temps incité.
54. Je ne t’oublierai38 pas Meleagride fleur
Qui ès des prez herbus de sainct-Benoist l’honneur.
52. Ni vous belles, l’honneur du mont de Coricie
Thresor presque infini de la grand Carmanie.
Car outre la beauté que l’on voit dedans vous,
Il se recueille39 encor dans vos fleurs, un poil rous
Leger et odorant, dont la couleur exquise
Des Abderoises mains en œuvre est souvent mise :
Dont la jaune couleur teignoit ancienement
Les theatres marbrés, quand prodigalement
Ce grand Domitian, dans son Amphitheatre,
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Faisoit couler par tout ceste couleur jaunastre.
Montrant au Thracien, au Sarmathe, à l’Anglois,
Et à l’Egyptien, à l’Arabe, au François,
Sa liberalité, faisant comme à l’envie,
Degoutter en tous lieux le suc de Corycie.
55. Toi fils Cynarien frere et fils de ta mere,
Engendré des vieux reins de ton pere-grand-pere,
Quand ta mere sentant des brandons allumez
Du mignard Paphien ses esprits consommez,
D’un deshonneste amour, amour illegitime,
Toute pleine d’horreur, de fraieur et de crime,
Affecte d’assouvir ses charnels appetis
Avec son geniteur, lors que tous ses esprits
De rage bouillonnants, ne craint point, deshonneste,
Avec son pere Roi, de commettre un inceste,
Sois propice à mes vœux ; pource qu’en ta faveur
Je veux à ta Cypris ordonner quelque honneur.
56. Mais qu’est-ce que j’entens ? tout estonné je tremble
Je fremis de fraieur, car j’entends, ce me semble,
Ce troupeau Lethean, troupeau chez qui la mort
Tient forte garnison, tient un rempart tres-fort ;
Troupeau qui perilleux sa naissance raporte
Du baveux chien d’Enfer, de Pluton garde-porte.
Plantes belles de fleurs, mais de trop fort venin
Vostre ventre est farci, vostre estomach est plein.
Mais bien que vous portiez la pasle mort en croupe
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Il faut qu’honneur soit fait par vous à ceste troupe.
Laissez vostre venin, faites seulement voir
Vos fleurs, dont les couleurs vous font belles paroir,
Imitans le serpent, qui son venim delaisse,
Quand d’amour la Lemprois chaudement il caresse :
Affin que sans danger mille autres belles fleurs
Apportent à ce bal leurs bigearres couleurs.
57. Vous belles qui portez dans vos tendres racines
Mille sortes de morts, et mille medecines,
Qui faites mourir l’un, qui l’autre guerissez,
Qui retardez la mort, et qui trop l’avancez,
Qui seules guerissez ceux à qui l’on peut dire
Qu’ils doivent voiager en l’Isle d’Anticire,
Qui du cabrier Melampe avez receu le nom,
Comme aiant le premier acquis un grand renom,
Pour avoir sçeu guerir par vos noires racines,
Les mugissants abois des buglantes narines
Des Proëtides sœurs, quand de sauvage voix
Elles remplissoient l’air, les plaines et les bois.
58. Et vous dont les beautez ne sont moins admirables
Que vos effets se font trouver espouvantables,
Qui portez dans vos fleurs, racines, feuilles, fruis,
Mille morts, mille horreurs, mille eternelles nuits.
Bien qu’entre tant de morts, qu’avec vous on espreuve,
Une de vostre espece à ce jourd’hui se treuve
Tresparfait aliment, dont un monde nouveau
Se nourrit, tout ainsi que d’un friand morceau :
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Morceau tout tubereux, dont la racine riche
Ne se demontre avare, et encore moins chiche.
Car un fruict radical en terre replanté
En produict chascun an si grande quantité,
Que d’un pied seulement deux cents et pres de trente,
Miracle, j’ai cueilli de couleur rougissante :
Dont les Americains pour mets pleins de delices,
Ainsi que du Maïs, font leurs exquis services,
Dont ils vivent chetifs, n’aiant pas, comme nous,
Le froment au gros grain, blanc dedans, dessus roux.
Je te rends mille fois, et mille fois encores
Humbles remercimens, toi qui docte decores,
Par tes rares vertus, la ville dont le nom
Est recognu par tout d’un merité renom :
Ville blanche jadis, ô Ligneron lumiere,
Qui comme un autre Phare aux Rochelois esclaire ;
De cest âge l’honneur, qui sçaits si dextrement
D’un compas mesuré faire un compartiment,
Et qui tresdocte faits par tes Mathematiques,
Mille sortes d’engins, que si bien tu appliques,
Que ton esprit hardi desireux de l’honneur,
Aguerri de long temps à ce cheri labeur,
A docte fabriqué, chose que fort on louë,
Une simple mouvante et double et triple rouë,
Mouvement infini, qui par soi va tousjours,
Tout ainsi que par soi vont cheminant les jours,
Par revolution, et pour lever les ondes
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Jusques à la hauteur des nues vagabondes :
Et maints autres labeurs qu’escrire je ne veux,
Que pour subject je laisse à nos futurs40 nepveux.
Mais l’envieux mourant, et l’envie vivante,
Jaloux de tant d’honneurs, que ton ame sçavante
Te faisoit acquerir, ont palles essaié
Rompre de tes desseins le labeur étaié.
Mais comme un haut Sapin que l’aquilon agite
Or deçà41, or de là, par le vent tourne-vite,
Sans branler tant soit peu, resiste courageux
Aux efforts boursoufflants d’un esprit orageux,
Pied-ferme, tousjours-beau, monstre sa verte42 tresse
Dans l’obscur bocageux d’une forest epesse :
Tout ainsi tu t’es veu des mesdisans abois,
Sans qu’ils t’aient43 peu vaincre, attaqué maintefois :
Mais ferme tu as sceu rompre leur vaine atteinte,
Aiant de la vertu au cœur la force emprainte,
Outre tant de sçavoirs, dont tu vas decorant,
Comme un Archite vray, ce siecle doux-courant.
Tu as tousjours vaqué de toute ta puissance
De chercher les thresors, qui dans l’Inde ont naissance
Pour en ton cabinet montrer en un moment
Tout ce qui naist et meurt en ce bas élement :
Dont ta grande bonté et ton amour loialle
M’a daigné departir d’une main liberale :
Entre autres le Tatou, et le Stelif poisson44,
Maints fruicts, maints animaux, maint rare limaçon,
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Et maints autres presens, dont je te remercie,
Que chers je garderai tout le temps de ma vie :
Comme aussi je receu d’un soing bien curieux
Ce trefle rouge-peau, Solanum tubereux.
C’est à toi que j’en doi faire recognoissance,
Comme à celui qui seul de toute ceste France
Le premier m’a donné le moien de l’avoir,
Et dedans mon jardin à tous le faire voir,
Et le communiquer par sa grande abondance,
A ceux qui font estat d’avoir la cognoissance
Des simples étrangers, et qui m’ont, vertueux,
Augmenté le desir d’estre45 si curieux.
Car je me puis vanter que dedans mon parterre,
Qui contient seulement deux fois dix pas de terre,
En longueur et largeur46 douze cent plantes sont
Differentes de nom, qui portent sur le front
Un si grave maintien, qu’à les voir on peut dire
Qu’il ne se peut rien voir de plus beau, soubs l’empire
De ce grand Lyncean, et que ce large Tout
N’a rien de plus exquis de l’un à l’autre47 bout ;
Que je voue à toi seul, qu’à toi seul je dedie,
Qu’à tes yeux je consacre : et pource je te prie
Le vouloir accepter, le present est petit,
Mais tel qu’il est pourtant, tousjours-vert il florit,
Tousjours un gai printemps luit sur sa verte tresse,
Et de l’Hyble tousjours la liqueur plus epesse,
Tombe sur l’infini de ses varietez,
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Et le bel œil du jour chemine à ses costez.
Tousjours doncques sur vous, belles, le miel distille,
Tousjours tousjours en vous se trouve chose utile,
Tousjours tousjours sur vous le beau s’aille cueillant,
Tousjours vostre beauté soit superbe, foulant
Les mortels Aconits, les Napels, les Anthores,
Et la froide Ciguë, et les chauts Ellebores.
Du don de Dieu je
suis CONTANT.
FIN.
Notes de base de page numériques:
En relation :
- Cabinet de Contant, Paul (1600-1628)
Cabinet partiellement décrit et versifié dans un poème de 1609 par Paul Contant lui-même, Le Jardin, et Cabinet poetique, version développée d’un primitif Bouquet printanier (1600). Ce cabinet est encore cité par Pierre Borel en 1649, vingt ans après la mort de son propriétaire.