Cette contribution d'Yves Moreau prend place dans les Actes des journées d'études "LYON ET LA CULTURE DE LA CURIOSITÉ" organisées en 2016 au Musée des Confluences de Lyon par Myriam Marrache-Gouraud et Dominique Moncond'huy.

 

 

Jacob Spon fut considéré comme le principal curieux de Lyon dans la seconde moitié du XVIIe siècle par Antoine Schnapper dans son ouvrage Le Géant, la licorne et la tulipe. Les cabinets de curiosités en France au XVIIe siècle. Ce médecin protestant se tenait lui-même pour un curieux d’antiquités et vouait son temps libre à l’étude matérielle des artefacts gréco-romains : médailles, statuettes, bas-reliefs, inscriptions, etc. Spon n’était pas le seul curieux à Lyon, mais il se démarqua de ses compatriotes par la publication d’ouvrages consacrés à quelques-uns des artefacts et inscriptions antiques dignes d’intérêt. Si la curiosité est ce qu’il appelle une « maladie », elle était en son temps contagieuse. La passion de l’Antiquité le poussa à sortir de son cabinet, et à visiter les collections d’antiquités et de curiosités les plus illustres, de Paris à Rome, d’Utrecht à Aix-en-Provence, pour accumuler un solide corpus d’études. Il donna dans deux de ses livres des « listes » de curieux de Lyon, Paris, Rome et d’Europe… Mais Jacob Spon ne se cantonna pas à inventorier et collectionner les curiosités antiques. Entre ses mains, l’objet n’avait plus uniquement le rôle illustratif du passé gréco-romain où les historiographes se plaisaient à les ranger, il devenait un objet d’étude en soi.

 

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1. Jacob Spon, la curiosité et le collectionnisme

Définir la curiosité

On connait l’aversion des moralistes comme Jean de La Bruyère pour la curiosité dans le chapitre qu’il consacre à la mode dans Les Caractères parus en 1687. Par l’expérience sensible intense qu’elle procure, la curiosité est accusée de détourner de Dieu. Plus de cent cinquante ans auparavant, le réformateur Jean Calvin écrivait quelques pages analogues. Il associait curiosité et vanité et les opposait à la connaissance des « choses vraies, certaines et utiles ». La parole de Dieu instruit les chrétiens dans la « vraye piété » et non en « questions frivoles ». De cette science, il faut se contenter[1]. Il ne fait pas de doute que le calviniste Jacob Spon a lui aussi médité sur les écrits du Réformateur.

Mais qu’est-ce la curiosité ? Si on suit les définitions qu’en donnent Furetière et Richelet dans leurs dictionnaires respectifs, la curiosité est le goût pour les choses rares, uniques, inédites. La quête de la rareté semble guider le curieux, qui collectionne ces objets dans un cabinet. L’objet recherché et acquis est exposé dans une collection à la vue des visiteurs du cabinet. Il n’est jamais un objet caché, c’est un objet montrable, observable et observé, décrit et représenté[2] par le biais des correspondances et des publications.

Jacob Spon définit la curiosité dans ses ouvrages de manière analogue à ses contemporains. Il utilise le mot dans son premier ouvrage curieux publié à Lyon en 1673 : la Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon. On trouve les termes de « curiosité », « curieux » dans tous ses ouvrages sur l’antiquarisme mais aussi dans sa correspondance. Il se qualifiait lui-même de curieux, et estimait la curiosité indissociable de l’étude des artefacts.

Le curieux est, plus encore, selon Jacob Spon, celui qui est capable de discernement. Il possède « le goût des bonnes choses[3] ». La curiosité n’est pas l’accumulation désordonnée d’objets rares, mais le résultat d’un jugement porté sur l’artefact. Motivé par son inclination pour un type d’artefacts, par la rareté, la facture et l’état de conservation de l’objet, le curieux opère alors une sélection. La collection reflète donc le goût du collectionneur et sa capacité à distinguer l’objet rare du commun.

 

 

Curieux et collections à Lyon

Jacob Spon n’était pas le seul curieux lyonnais. Certains riches négociants possédaient des collections de curiosités dont quelques-unes étaient assez remarquables. Des médecins et apothicaires, mais aussi des orfèvres et des membres du clergé avaient réuni aussi des collections intéressantes. Il fut cependant le seul à publier en 1673 dans la Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon une liste des curieux de la ville, qu’il disait connaître « presque tous ».

Cette liste fit l’objet d’une étude de Marie-Félicie Pérez et Jean Guillemain qui soulignèrent le manque d’information sur la nature des collections citées[4]. Pour leur article, ils s’appuyèrent sur un exemplaire de l’ouvrage conservé à la Bibliothèque nationale de France annoté par son auteur[5]. Les collectionneurs lyonnais énumérés par Spon possédaient des « fleurs », mais aussi des antiques et médailles, des tableaux[6]. L’antiquaire précise parfois le contenu de quelques collections de tableaux. Celle de l’échevin Jean de la Fourcade, par exemple, comprenait 6 tableaux de Nicolas Poussin[7] : Histoire de Jacob et de Laban ; Le Baptême de N. S. ; La Descente de la croix ; Adoration des trois rois, un Satyre, une Annonciation. Celle de Germain Panthot, peintre de la ville de Lyon, conservait des tableaux du peintre Charles Le Brun, qu’il  avait côtoyé à Rome entre 1649 et 1656…

À l’époque de Jacob Spon, le cabinet de mécanique de Nicolas Grollier de Servière et la bibliothèque et le médaillier du collège jésuite de la Trinité constituaient les principales attractions pour les curieux de passage à Lyon[8]. Lors de son séjour en 1658, Louis XIV visita plusieurs fois le cabinet de Nicolas Grollier de Servière, place Bellecour, dont la description nous est connue par l’ouvrage de son petit-fils[9]. La collection de médailles des jésuites reposait surtout sur celle du Père La Chaize, qu’il laissa à Lyon en 1675 lorsqu’il fut nommé confesseur du roi.

Les curieux lyonnais se réunissaient régulièrement chez le trésorier Laurent Pianello de la Valette connu pour sa bibliothèque et sa collection d’inscriptions romaines. Il accueillait chez lui place Bellecour à l’hôtel de Malte, sans distinction de religion. Outre Jacob Spon, on y trouvait le médecin Louis de Puget, l’intendant de la généralité du Lyonnais François Dugué de Bagnols, l’avocat Nicolas Chorier, le mathématicien François de Regnaud du Buisson, le banquier protestant Jean Case, l’abbé Charles de Silvecane…

 

Si nous ne connaissons pas le contenu exact des cabinets listés par le médecin, nous avons un aperçu plus ou détaillé d’une partie des collections du cabinet de Philippe Sylvestre Dufour (1622-1687), un apothicaire protestant originaire de Manosque. Il fut le grand ami de Jacob Spon qui le conseilla dans l’achat d’artefacts et de médailles pour ses collections. Philippe Sylvestre Dufour publia des ouvrages sur la médecine et de morale[10]. Il introduisit à Lyon, avec Spon, le thé, le café et le chocolat, ainsi que le riz à des fins thérapeutiques[11]. Il correspondait avec les consuls de France en Orient : le chevalier d’Arvieux à Alep où un de ses fils s’était installé comme marchand, Bonnecorse au Caire ; avec les voyageurs Jean-Baptiste Tavernier et Jean Chardin, et de lointains contacts « en Turquie, en Perse et jusqu’au fond des Indes[12] ». Ils lui fournissaient les drogues et épices nécessaires à son commerce mais aussi des curiosités et des descriptions de ces pays lointains.

Philippe Sylvestre Dufour possédait une des plus importantes collections de médailles de la ville qu’il augmentait régulièrement. Avec Spon, ils étaient à l’affût des ventes de collections ou de la découverte de trésors monétaires dans la région. Dufour s’intéressait aux médailles romaines du Haut-Empire. En 1674, il espérait acheter, avec le médecin-numismate Charles Patin (1633-1693) installé alors en Italie, les médailles du cabinet vénitien Marco Rosini et récupérer ainsi 126 monnaies d’or. Il souhaitait donner 1000 écus pour en faciliter l’acquisition[13], mais la vente n’aboutit pas. La somme proposée à Charles Patin témoigne cependant de la capacité de Dufour à mobiliser des fonds importants pour assouvir sa passion.

Au début mois de septembre 1685, Spon comme Dufour ne pouvaient plus exercer leur profession en raison des interdictions données par édits royaux aux protestants. La situation devenant intenable à Lyon, ils se résignèrent à l’exil.

Avant de quitter Lyon, l’apothicaire avait réussi à mettre la plupart des pièces de ses collections à l’abri à Genève, chez sa fille Anne Dufour, mariée au banquier Jean Ployard ; le reste de son cabinet demeurant rue de Flandres. Une fois arrivé en Suisse, il finit toutefois par acheminer les biens restés à Lyon. Une partie du livre de raison de Dufour concernant ces collections a été retranscrite dans la seconde édition de La France protestante d’Émile et Eugène Haag en 1886 par son éditeur Henri Bordier[14] grâce aux documents fournis par l’historien vaudois Ernest Chavannes-Dufour (1869-1947). Ce texte d’une quarantaine de pages[15] fut rédigé par Dufour lui-même entre 1686 et 1687. Les quatre premières pages contiennent un inventaire de ses collections daté du 20 juillet 1686. Il estime ses biens à près de 117 196 livres 17 sous 2 deniers. Parmi ces biens les médailles antiques sont évaluées à 1495 livres, et les tableaux à 866 livres. Mais cet inventaire n’est pas exhaustif : d’autres caisses sont réceptionnées par Dufour ultérieurement. Plus de 123 monnaies antiques arrivent de Lyon le 25 septembre 1686. Le livre de raison fait mention d’artificialia, relevant d’une curiosité large, bien dans le goût de son temps et des générations précédentes. Les objets mentionnés dans La France protestante sont hétéroclites : boîtes en tous genres, pierres précieuses, urnes antiques en jaspe, robes en soie du Japon, toiles du Bengale, couteaux à manches d’agathe d’Orient… À Lyon, Dufour possédait une momie égyptienne venant de Memphis, acquise en 1673. Le père jésuite Athanase Kircher en avait fait une relation publiée en 1676[16]. Philippe Sylvestre Dufour collectionnait aussi des curiosités naturelles, dont le sort est inconnu[17]. Elles ne sont pas évoquées dans la liste des curieux lyonnais donnée par Jacob Spon, mais Laurent-Josse Le Clerc, dans La Bibliothèque du Richelet publiée en 1726, rapporte l’existence d’une collection[18].

 

 

Le cabinet de Jacob Spon : un aperçu des collections

Jacob Spon avait une fortune plus modeste que celle de son ami apothicaire Philippe Sylvestre Dufour. Nous ne disposons pas d’inventaire conservé de son cabinet. Le médecin possédait des collections de médailles, de petits objets antiques (vases, inscriptions, bas-reliefs) marquant sa curiosité pour le passé romain.

Jacob Spon vivait à Lyon avec son père Charles Spon, sa mère et ses sœurs et n’était pas marié. Spon père et fils louaient un appartement au second étage d’un bâtiment de la rue du Mulet composé de quatre chambres, deux caves et deux greniers pour la somme de 230 livres par an[19]. L’une des chambres devait certainement servir de cabinet.

De nombreux curieux et savants sont passés par son cabinet : son ami l’avocat dauphinois Nicolas Chorier, le gentilhomme suédois Peter Scheffer, l’historien écossais Gilbert Burnet, l’étudiant strasbourgeois Jean-Philippe Boecler… Tous les voyageurs anglais de passage à Lyon faisaient étape chez lui ainsi que beaucoup de Hollandais comme l’antiquaire Jacob Gronovius en mars 1682. Mais le cabinet de Jacob Spon n’a, semble-t-il, jamais été un theatrum mundi, comme ce fut le cas chez d’autres curieux lyonnais, où la richesse des collections contribuait au prestige de leur possesseur. Il constituait plutôt un lieu d’étude comprenant des collections d’artefacts, une bibliothèque fournie et des recueils de dessins et d’inscriptions sur l’objet même de sa curiosité : l’antiquité gréco-romaine.

 

 

 Jacob Spon et les médailles

Jacob Spon aimait collectionner et étudier les médailles. Ces objets sont facilement échangeables et transportables pour les curieux de l’époque. Elles constituaient des monuments commémoratifs de l’Antiquité dont l’étude contribuait à améliorer les sciences et les arts, et à mieux comprendre l’Histoire[20].

A Lyon, le jeune Jacob Spon fut assez tôt sensibilisé aux médailles. Dans les années 1660, la ville abritait des collections intéressantes sans toutefois atteindre la richesse et la renommée des collections parisiennes. Mais c’est le médecin Charles Patin, l’un des plus grands collectionneurs de médailles de son temps, qui l’initia à cette science entre la fin de l’année 1669 et l’été 1670 à Strasbourg, alors que, jeune médecin, il logeait chez le professeur d’histoire Jean-Henri Boecler. Pendant six mois environ, Jacob Spon reçut une véritable formation de la part de son ami sur les médailles : discerner les vraies des fausses, apprécier leur rareté et leur état de conservation, interpréter les inscriptions et effigies…

À son retour à Lyon, l’été 1671, il possédait une collection d’environ 300 médailles de bronze et d’argent de grande qualité dont nous connaissons la composition par une lettre écrite de Lyon et datée du 10 octobre 1671. Elle est envoyée au collectionneur bâlois Sébastien Faesch[21] que Spon avait rencontré à l’automne 1669. Dans ce catalogue, les médailles sont ordonnées en fonction de leur métal et de leur état de conservation, par empereurs, avec quelques détails sur la légende et le lieu de frappe. Le médecin lyonnais indiquait même à son correspondant leur provenance : elles furent achetées à Charles Patin principalement[22], qui les possédait en double ; d’autres l’ont été lors d’un long séjour parisien entre l’hiver et l’été 1671. Jacob Spon avait fréquenté, sur les conseils de Patin, les meilleurs collectionneurs de Paris et le cabinet des médailles du roi, rue Vivienne, tenu par Pierre de Carcavi qui l’autorisa à venir y étudier. Tout collectionneur de médailles tentait de reconstituer la suite des règnes impériaux avec les plus belles pièces possibles. La petite collection de Spon le fit aussi très imparfaitement puisqu’elle s’étend de Pompée le Grand à Constantin mais contient quelques lacunes chronologiques. Elle constitue toutefois un bon corpus d’étude pour débuter l’étude physiognomonique des empereurs et méditer sur leur moralité.

À l’issue de sa formation de numismate, Jacob Spon avait mis sur pied un véritable commerce d’achat et de revente ; d’abord pour Patin qui le guidait par lettres interposées depuis Strasbourg, Bâle et Padoue, puis pour son propre compte[23]. Au début de l’année 1672, il achetait avec son cousin Charles Spon la collection de médailles d’un curieux lyonnais comprenant 1500 médailles, dont 300 qu’il estimait fausses[24]. En juin 1674, il acquit avec Philippe Sylvestre Dufour une collection de 60 médailles impériales romaines d’or de grande qualité[25]. En juillet 1676, il ramena de son voyage de Grèce et d’Asie mineure avec George Wheler près de 600 médailles grecques antiques[26], mais se défit entre Venise et Lyon d’une partie de ses doubles pour financer la fin de son parcours. Il ne rapporta à Lyon qu’une centaine des plus belles pièces pour son cabinet[27]. Il achetait occasionnellement des trésors monétaires de l’époque romaine déterrés par les paysans dans les environs de Lyon. Il gardait les meilleures monnaies pour sa collection et ses acheteurs, et revendait les plus médiocres aux fondeurs.

Un carnet de comptes conservé à la Bibliothèque nationale nous permet de retracer quelques-unes de ces opérations commerciales pour la période courant de 1677 à 1682[28]. Il vendait ses médailles au duc de Verneuil, l’oncle du roi, à l’abbé François de Camps, coadjuteur de l’évêque de Glandèves, au confesseur du roi, le jésuite François d’Aix de La Chaize, à Jean Foy-Vaillant. En Italie, il vendait ses médailles à Giuseppe Magnavacca et Francesco Lotti à Bologne, au Baron de Tassis à Venise. Une partie de la correspondance conservée à Lyon et à Paris concerne ces échanges entre curieux de médailles.

À partir de 1680, Il recevait régulièrement de ses contacts au Levant des monnaies grecques antiques qu’il revendait, assez chèrement, aux médaillistes français et italiens pour arrondir ses plus-values. Il existait une petite communauté de marchands lyonnais installée à Alep. On y comptait le fils de Philippe Sylvestre Dufour, et son frère cadet Jean-Jacques Spon (1650-v. 1685) qui s’y installa en 1679[29] et lui facilita l’approvisionnement. Quelques-uns des plus beaux spécimens furent achetés par Pierre Rainssant, le successeur de Pierre de Carcavi à la garde du cabinet royal des médailles à partir de 1684.

En raison de l’absence de sources, nous ignorons ce qu’il est advenu de la collection de médailles de Jacob Spon ni quelle en était la composition exacte, avant son exil.

À la veille de son départ pour le Refuge, l’apothicaire Philippe Sylvestre Dufour organisa un dîner chez lui rue de Flandres auquel Spon participa. Spon et Dufour donnèrent à cette occasion quelques médailles antiques et des ouvrages à un jeune curieux de médailles, le chanoine de l’île Barbe Jean-François Romans de Rives (1666-1740)[30]. Une infime partie de la collection de Spon se trouve actuellement au médaillier du Musée des Beaux-Arts de Lyon par la collection Romans de Rives[31]. On trouve aussi des pièces de la collection de l’antiquaire au département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. François Planet y a identifié une rare monnaie de bronze frappée sous le règne de l’empereur Septime Sévère dans la cité cilicienne de Séleucie de Calycadnos. Elle provient de la collection de Jacob Spon[32] qui en donna lui-même une explication en 1683 dans les Recherches curieuses d’antiquité.

 

Monnaie de Séleucie de Calycadnos reproduite dans les Recherches curieuses d’antiquité, Lyon, Thomas Amaulry, 1683, douzième dissertation, « Sur une médaille de Sévère et Julia Domna », p. 180.

 

 

Sur les collections du cabinet de Jacob Spon et leur sort après la Révocation de l’Édit de Nantes

Lorsque Jacob Spon ne pouvait acquérir des pièces pour son cabinet, il les dessinait pour les étudier ensuite. Le dessin remplaçait l’objet, mais il s’agissait moins d’en posséder une représentation fidèle que d’avoir sous la main une description des principales caractéristiques pour en permettre l’étude. Il constituait des recueils d’inscriptions, de dessins de bas-reliefs, de monuments, de médailles, de statuettes, qu’il laissa dans son cabinet lors de son exil. Un recueil de dessins de son voyage en Grèce en 1676[33] est conservé au département des estampes de la Bibliothèque nationale. Il se compose d’une centaine de feuillets d’illustrations au bistre de monuments et d’artefacts antiques : statues, vases, etc.

Son cabinet disposait aussi d’une bibliothèque. Sa correspondance épistolaire nous donne de nombreux indices sur sa composition : par devoir professionnel et par curiosité, les références aux ouvrages de médecine et surtout à l’Antiquité gréco-romaine sont nombreuses dans ses lettres. Les livres de théologie et de controverse religieuse sont aussi mentionnés. Après l’obtention de son doctorat, il souhaitait débuter des études de théologie pour devenir pasteur. Ses amis l’en dissuadèrent mais il fut toujours intéressé par le sujet.

À la mort de son père Charles Spon, le 21 février 1684, le médecin vendit la bibliothèque du défunt, à l’exception d’une douzaine d’ouvrages médicaux, en justifiant qu’il n’avait pas la « marotte des livres[34] », ce que dément l’étude de sa correspondance et de ses ouvrages.

Spon achetait ses livres chez les imprimeurs-libraires lyonnais, Jean Anisson, Thomas Amaulry, Antoine Cellier, Jean-Antoine Huguetan et ses fils, mais aussi à l’étranger. À Genève, ville d’imprimerie la plus proche, il était en relation avec Jean-Louis Du Four, Jean Hermann Widerhold et Léonard Chouet. À Rome, il se fournissait auprès de Giovanni Giacomo de Rossi en livres sur l’Antiquité. Grand lecteur, Il acheta 41 ouvrages au libraire genevois J.-L. Du Four entre le mois janvier 1682 et le mois septembre 1684[35]. Une quinzaine de livres de numismatique lui sont prêtés par l’imprimeur-libraire Marc Mayer le 2 novembre 1682 pour la réédition d’un ouvrage de Filippo Paruta sur les médailles siciliennes[36]. Sa bibliothèque comptait aussi de nombreux tomes de périodiques savants français, italiens, hollandais et anglais. Il fournissait également ses proches et amis en livres : l’abbé Claude Nicaise à Dijon, Charles Patin à Padoue, son frère Jean-Jacques Spon à Alep[37]

L’antiquaire s’intéressait aussi aux manuscrits. Lors de son voyage en Grèce en 1676, il acheta des textes grecs de théologie à des caloyers dans les environs d’Athènes[38]. Il possédait quelques manuscrits d’histoire et de littérature. Comme pour les médailles, il pouvait acheter et revendre aussitôt ses documents. Dans une lettre à Claude Nicaise en novembre 1683, il proposait de vendre des manuscrits achetés huit jours plus tôt[39].

La régie des biens des religionnaires fugitifs fit un inventaire des biens de Jacob Spon laissés à Lyon dans son appartement de la rue du Mulet lors de son exil. En 1686, la vente de ses effets rapporta à la régie 1405 livres 3 sols, 5 deniers[40]. On ignore le détail des biens vendus, mais il ne s’agit que des biens immeubles. On sait toutefois que l’estimation de sa bibliothèque demanda une journée au libraire Antoine Thomas[41].

La santé précaire dont souffrait Jacob Spon a grandement influencé son activité de collectionneur. Une tuberculose chronique le rendait sujet à des fièvres et des crachements de sang répétés qui s’aggravèrent avec l’âge et qu’il espérait guérir en buvant du café au lait[42]. Ces épisodes le forçaient à s’aliter sans pouvoir vivre de sa pratique médicale, ni étudier. Ces indispositions lui causaient un manque de revenus l’empêchant d’acquérir à sa guise ouvrages imprimés, antiquités et médailles. La maladie, conjuguée à la mort de son père en 1684, le priva d’une clientèle composée de marchands protestants aisés qui lui préférèrent son cousin.

Une partie de ses écrits, dont nous connaissons une liste non exhaustive fournie par Vincent Minutoli dans une lettre à Pierre Bayle[43], ont été récupérés par ses amis et sa famille. Jacob Spon avait rédigé, sur le modèle des Vies parallèles de Plutarque, des dissertations sur des hommes illustres qu’il laissa à Lyon en septembre 1685. Jean-Baptiste de Solizor, un protestant originaire d’Aurillac installé à Genève, que Spon avait aidé et à qui il s’était lié, avait pu obtenir quelques-unes de ces dissertations[44]. Il transmit un manuscrit de ces Vies à Pierre Bayle[45]. La seule dissertation qui nous soit parvenue est la Vie de Scipion l’Afriquain. Elle fut préservée par la famille du médecin, et publiée en 1718 par son neveu, le pasteur Gabriel Dumont (1680-1748) à Amsterdam[46]. Son ami, l’apothicaire protestant Henri Moze, garda des observations sur les eaux minérales, et des œuvres sur l’Antiquité gréco-romaine, notamment l’ébauche d’un second volume des Miscellanea eruditae antiquitatis.

 

 

2. Dépasser la curiosité : l’étude des artefacts antiques

L’approche informationnelle des realia antiqua

Les objets antiques intéressent Jacob Spon pour leur nature « informationnelle ». Il n’apparaît pas comme un curieux trop attaché à ses collections. Il pouvait s’en défaire sans état d’âme. Son intérêt consistait moins à acquérir un objet pour son caractère naturel ou artéfactuel, insolite, qu’à en connaître l’usage dans le passé. Le médecin lyonnais accorda aux objets une fonction « sémiophorique » pour reprendre le néologisme de Krzysztof Pomian[47] : maintenu hors du circuit économique, la valeur de l’artefact n’est plus fixée par son usage initial mais par sa signification. Mais ce statut de sémiophore ne prend son sens qu’en comparaison avec d’autres traces de l’Antiquité : les textes des Anciens. Qu’ils soient païens ou chrétiens, religieux ou historiques, les textes sont constamment mobilisés par Jacob Spon dans ses travaux pour instaurer un rapport comparatif et critique à l’objet. Les artefacts antiques sont selon lui une source bien plus fiable sur le passé gréco-romain, car ils permettent de s’affranchir des manuscrits médiévaux qu’il soupçonnait d’être parsemés d’erreurs dues à l’ignorance des copistes. Cette critique n’est pas anodine. Un enjeu polémique apparaît en filigrane dans son œuvre et sa correspondance, celui de la défense du protestantisme contre le catholicisme par l’utilisation d’arguments historiques tirés de l’Antiquité. Nous y reviendrons.

La connaissance exacte des objets qu’il aime à collectionner permet au curieux de se « faire l’œil » et de déceler, après un peu d’étude et d’observation, le vrai du faux. Le discernement est une qualité qui s’acquiert pour le curieux par l’expérience ; mais Jacob Spon ajoute à la curiosité la méthode du médecin.

Dans ses ouvrages, chaque vestige fait l’objet de la même méthode d’analyse. L’étude commence par une description autoptique : l’observation s’inspire de la pratique médicale qui débute toujours par l’examen du patient. Après l’observation vient la comparaison. Spon expose les commentaires des auteurs antiques et modernes sur l’objet étudié, et tente de trouver l’interprétation la plus plausible. En l’absence de texte référentiel, il s’en remet aux indices que l’on peut trouver çà et là chez les auteurs antiques et modernes. Cela suppose une connaissance livresque étendue. L’étude s’achève souvent par une hypothèse sur la datation de l’objet et une recontextualisation de son usage.

Prenons l’exemple d’une urne cinéraire en bronze qu’il possédait dans son cabinet à Lyon. Il publia en 1674 à Lyon chez Jacques Faëton une relation de 32 pages sous forme de lettre sur cette urne : Discours sur une pièce antique et curieuse, du Cabinet de Jacob Spon[48]. Elle est dédiée à un curieux protestant de Nîmes, l’avocat François Graverol. Cette même année, Spon vendait l’urne à un de ses amis curieux, Georg Friedrich Stoffel, conseiller et médecin du duc Frédéric-Auguste de Wurtemberg.

 

Urne de Bronze reproduite dans les Recherches curieuses d’antiquité, Lyon, Thomas Amaulry, 1683, dix-neuvième dissertation, p. 249.

 

La relation comporte douze chapitres. Le premier est consacré à la description extérieure de la pièce :

 

C’est un vase de bronze pesant environ dix-huit livres, de la même grandeur qu’il est representé dans la stampe. Toutes les dimensions & propositions y sont suivies exactement selon l’original : & pour profiter du vuyde on a tiré une vûe du dedans & du dessous, dont il n’a pas été necessaire d’observer la grandeur. Elle est composée d’un fonds ou d’un ventre, d’un couvercle & d’une statuë au dessus. Ce fonds est appuyé & soutenu par trois figures de Termes femelles, dont les six pieds suportent toute la piece. Entre ces trois statuës qui sont tout-à-fait en relief hors du vase, il y a trois têtes en façon de mufles gravées en bas relief, & au dedans un tuyau du même metal que la piece, posé sur le milieu, haut de quatre travers de doigt, & percé au dessous par un trou qui le traverse. Le couvercle qui s’emboëte au dessus des fuëillages gravés tout au tour du fonds, est composé de trois Sirenes à tête de femme, d’autant de monstres à tête de Satyre qui regardent en haut, & d’un pied d’estal rond soutenant la statue, qui tient par le moyen d’un avis qui entre dedans[49].

 

Le second chapitre résume les avis qui ont été exprimés sur la fonction de cet objet. Les chapitres suivants sont consacrés aux coutumes funéraires romaines et à un inventaire des types d’urnes cinéraires. Au chapitre x, Spon justifie l’antiquité de l’urne, et explique son décor :

 

Il est tems que j’explique les figures dont cette piece est enrichie, & particulièrement celle de dessus qui n’est pas mise sans dessein ; car pour celles d’alentour, on pourroit dire qu’elles n’y sont qu’un ornement : & à dire vray nous nous tourmentons bien souvent à chercher du mystere, où il n’y en a point, & à faire dire aux Anciens ce qu’ils n’ont peut être jamais pensé. Neanmoins cette recherche n’est pas inutile : elle nous fait souvent découvrir des particularitez historiques & des circonstances ausquelles nous n’aurions pas appliqué nôtre esprit, & au fonds je ne pretens icy donner que des conjectures, que l’on peut ou recevoir, si l’on les trouve assés fortes, ou mépriser si l’on en a de plus solides.

On ne doit pas au reste trouver étrange que l’on cherche du mystere dans un sujet qui exerçoit ordinairement les plus beaux esprits de l’antiquité, comme étoit celuy de la mort & de la destinées commune de tous les hommes.

Leurs Epitaphes sont remplies de moralités, & ils les accompagnoient souvent de belles pieces de sculpture & d’architecture, qui ne servoient pas seulement d’embellissement à leurs tombeaux, mais aussi d’enseignement à la posterité, par les actions illustres qu’elles representoient & par les pensées de morale qu’elles exprimoient. Celles-cy ne sont-elles pas extremement sages ? [50]

 

Il s’appuie sur les écrits d’Horace, Plutarque, Claudien et Procope pour expliquer les figures de l’urne. Il évoque l’exemple particulier des inscriptions funéraires citées par ces auteurs. Ces références montrent l’étendue de sa culture littéraire et historique sur l’Antiquité.

Dans le dernier chapitre, considérant les arguments historiques et livresques sur les urnes funéraires, Spon avance alors une estimation chronologique en s’appuyant sur les critères figuratifs expliqués précédemment :

 

[…] je me contente de dire en general qu’elle est asseurément du tems auquel la Sculpture étoit en sa fleur, sous les premiers Empereurs. Et je ne serois peut-étre pas trop hardy d’avancer que l’air de tête & la coëffure de Faustine la jeune, femme de Marc Aurele qui vivoit à la fin du second Siecle , que l’on remarque dans nos figures me porte à croire qu’elle est un ouvrage d’environ ce tems là : & les figures de femme que le sculpteur a preferé aux autres, me feroient aussi croire, qu’elle étoit pour les cendres de quelque Dame de la plus haute qualité[51].

 

L’urne cinéraire aurait été fabriquée à l’époque des derniers Antonins, au IIe siècle après Jésus-Christ[52].

 

L’étude de l’Antiquité, du cabinet au terrain

La curiosité de Jacob Spon pour l’Antiquité ne fut pas circonscrite à son cabinet ; il ne se contenta pas d’étudier les objets qu’il achetait ou dessinait. Elle l’incita à visiter les plus belles collections d’Europe, et à se rendre à Rome, Athènes et Constantinople pour mieux la « contextualiser ».

Spon ne cessa de voyager. D’abord pour ses études, puis pour parfaire ses connaissances sur l’Antiquité, mais aussi pour ses expérimentations médicales. Après avoir fait ses humanités au collège de Genève, il obtint son doctorat à Montpellier le 7 février 1667 puis son agrégation au collège de médecine de Lyon le 3 novembre 1668. Le jeune docteur ne resta pas longtemps à Lyon puisqu’il partit pour Strasbourg approfondir sa culture antique dans le cadre d’un échange décidé par son père. Il fut logé un an environ, entre octobre 1669 et octobre 1670, chez le professeur Jean-Henri Boecler qui envoyait à Lyon son fils Samuel. À Strasbourg, Spon rencontra le médecin-numismate Charles Patin avec qui il noua une amitié très forte et qui l’initia, on l’a vu, à la science des médailles. Patin avait dû fuir Paris en 1667 en raison de la découverte d’un trafic de livres prohibés entre la Hollande et Paris. Depuis ce temps, il parcourait les cours princières d’Allemagne, vivant des libéralités princières en échange de son expertise sur les médailles et sur d’autres curiosités. Il espérait obtenir une charge de médailliste ou de médecin, ce qui lui aurait permis de financer sa passion. Spon profita des relations de son ami pour visiter les cabinets princiers du sud de l’Allemagne : Durlach, Stuttgart, Heidelberg. En octobre 1670, il quitta Strasbourg et se rendit en Hollande où il examina les cabinets de curiosités de Leyde, Amsterdam puis passa à Bruxelles, avant de s’établir à Paris pendant l’hiver 1671. Il y resta huit mois environ et servit de factotum pour Patin auprès d’imprimeurs, de graveurs et de collectionneurs d’antiquités. Spon profita là encore des lettres de recommandation de son ami pour visiter les plus belles collections parisiennes et nouer quelques relations autour des médailles.

De retour à Lyon, il donna libre cours à sa curiosité pour l’Antiquité en étudiant le passé romain de la région. Il parcourait la ville et ses environs pour recueillir des inscriptions et les interpréter. La Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon publiée en 1673 est le résultat de ces promenades érudites.

Spon ne pouvait se contenter de rester à Lyon pour accroître sa connaissance de l’Antiquité. Il profita en octobre 1674 de l’occasion que lui procura le passage de l’antiquaire Jean Foy-Vaillant à Lyon. Médecin de formation, et numismate par passion, Vaillant était missionné par le contrôleur général des finances Jean-Baptiste Colbert pour augmenter les collections royales en sculptures et en monnaies antiques qu’il devait acheter en Italie. Spon souhaitait entreprendre lui aussi un voyage en Italie pour répertorier des inscriptions antiques qui ne figuraient pas dans l’ouvrage épigraphique de référence à l’époque, Inscriptiones antiquae totius orbis romani, de Jan Gruter, paru en 1603 à Heidelberg[53].

Il devait rejoindre Jean Foy-Vaillant à Marseille pour atteindre par bateau Livourne et de là, rejoindre Rome par voie terrestre. Mais Spon tarda tellement dans ses visites des sites antiques provençaux et des collections des curieux aixois, que Vaillant, s’impatientant, embarqua seul. Le voyageur lyonnais échappa sans le savoir à une aventure rocambolesque. Le vaisseau de Vaillant fut pris par des corsaires. Captif à Alger, Vaillant fut libéré par le dey et s’embarqua pour Marseille. Mais au retour, son navire croisa des corsaires de Salé. De peur d’être encore fait prisonnier, l’antiquaire avala ses vingt médailles d’or. Par chance, le vent écarta son navire de celui des corsaires et il débarqua en Camargue après de nombreuses péripéties. Sur le chemin de Paris, il rendit à Avignon une partie de ses médailles mélangées à ses excréments, puis à Lyon le reste de son trésor par les mêmes voies naturelles avec le concours de l’apothicaire Philippe Sylvestre Dufour[54], qui les acheta.

Spon ne voulut pas abréger son voyage. Il gagna Rome en compagnie d’un curieux lyonnais, l’imprimeur Marc Mayer qui s’y rendait en pèlerinage. Une fois arrivé sur les bords du Tibre, il fréquenta pendant plus d’un mois les principaux cabinets de curiosités et d’antiquités romains. Il donna deux listes de ces visites. La première figure à la fin du premier tome du Voyage d’Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant datant de 1678[55]. La seconde est incluse dans l’édition du Voyage d’Italie[56]de l’avocat Jean Huguetan parue à Lyon en 1681. Son séjour terminé, il se rendit à Venise en compagnie du voyageur anglais George Wheler. De passage à Florence, il se lia d’amitié avec le bibliothécaire des Médicis, Antonio Magliabechi qui le présenta au cardinal Léopold, l’oncle du Grand-Duc de Toscane. Le cardinal lui fit visiter en personne ses propres collections. À Venise, les voyageurs visitèrent les cabinets remarquables de la ville.

Son voyage d’étude ne devait pas l’emmener au-delà de l’Italie. Mais sa curiosité prit le dessus et l’incita à effectuer une « promenade » en Grèce et en Asie mineure pour enrichir son recueil épigraphique. Spon et Wheler s’embarquèrent le 20 juin 1675 dans la suite de l’ambassadeur vénitien Morosini qui se rendait à Constantinople.

Les voyageurs visitèrent les principaux sites antiques et modernes de la côte dalmate, et firent escale à Zante. Ils quittèrent le convoi vénitien et se transportèrent sur l’île de Delos pour étudier ses vestiges. Ils reprirent la mer jusqu’au détroit des Dardanelles puis rejoignirent par terre Constantinople, qu’ils atteignirent le 23 septembre 1675.

L’antiquaire parcourut la ville et ses environs en s’intéressant à son héritage antique. Les compagnons quittèrent Constantinople le 16 octobre 1675 avec des voyageurs anglais pour rejoindre Smyrne le 31 octobre 1675, après être passés par Bursa. Ils visitèrent le site d’Éphèse situé à quelques kilomètres du port. Wheler et Spon s’embarquèrent le 28 novembre 1675 pour Athènes en passant à nouveau par Zante où ils accostèrent le 3 janvier 1676. De là, ils passèrent par le golfe de Corinthe et Lépante, puis s’arrêtèrent à Delphes, à Thèbes et arrivèrent à Athènes au début du mois de février ; ils y séjournèrent une quinzaine de jours, jusqu’au 15 février 1676. Ils étaient logés par le consul d’Angleterre, le marchand lyonnais Jean Giraud. Spon détailla longuement les vestiges antiques de la ville et donna ses observations dans sa relation de voyage. Il s’intéressa aux ruines de la forteresse ottomane de l’Acropole et donna une précieuse description du Parthénon avant les dommages causés par le siège vénitien de la ville en 1687.

Après ce séjour en Attique, les voyageurs s’engagèrent en Grèce centrale. Spon quitta alors son compagnon et rejoignit seul Venise en repassant par Zante. À peine débarqua-t-il sur la place Saint-Marcon en mai 1676, qu’il croisa son ami Charles Patin. Il le rejoignit ensuite à Padoue et troqua quelques médailles contre un cheval. Il quitta la ville le 23 mai 1676 et regagna Lyon par la vallée de la Valteline, les Grisons, Zurich et Genève où il visita des cabinets de curiosités médicales. Il arriva dans sa ville natale le 22 juillet 1676 après vingt-deux mois de voyage. Ce périple fut l’occasion d’amasser pour ses collections de nombreux manuscrits grecs des Pères de l’Église, des médailles antiques et des inscriptions inédites.

Spon put assouvir sa curiosité lors de ce voyage et étudier les vestiges et inscriptions antiques qu’il put croiser. Que ce soit à Athènes ou à Delphes, il ne cessa de comparer ses connaissances et ses lectures à la réalité des vestiges antiques. La relation de son voyage, publiée à Lyon en novembre 1677 mais datée de 1678, fut un ouvrage précieux pour les curieux antiquaires : sa description et ses interprétations des antiquités grecques, alors mal connues en Europe, fut très bien reçue de la République des Lettres et le rendirent célèbre. François Charpentier de l’Académie française lui témoigna par lettre de l’engouement que suscitait son livre chez les curieux parisiens :

 

Je vous rends vos humbles graces du beau livre que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer et que je n’ay rescu que depuis quatre ou cinc jours[57]. Quelque temps auparavant j’en avois trouvé un pareil entre les mains de Monsieur L’abbé Huet, sous precepteur de Monseigneur le Dauphin a qui le R. P. De la Chaise en avoit fait present. Je vous puis dire que vous fustes le sujet de notre entretien durant une demye apres-disnée que nous passasmes ensemble dans le jardin des Tuilleries. Il l’avoit leu avec cette avidité devorante qu’excite ordinairement un ouvrage plein d’agrement et de solidités comme le vostre, et je fais tres resolution d’en faire mes delices et le compagnon de toutes mes promenades durant l’Esté. Je vous scay bon gré Monsieur de ne vous tenir pas tousjours dans le Cabinet et d’aller visiter sur les lieux mesmes les matieres de nostre curiosité. C’est de la façon qu’ont estudié les plus celebres autheurs de l’Antiquité co[mme] Herodote, Xenophon, Diodore Sicilien et Pausanias et quelques autres[58].

 

Spon entreprit d’autres voyages médicaux et curieux mais resta dans les frontières du royaume de France. Il s’intéressait aux propriétés des eaux thermales d’Auvergne et de Bourgogne. Il visita avec son compagnon apothicaire Henri Moze les sites antiques du Languedoc et d’Aquitaine en mai 1683, et les curieux qu’il y rencontra lui firent bon accueil. Pendant ce voyage, il fut victime de rumeurs lancées par les dévots catholiques lyonnais l’accusant de diffuser des lettres circulaires de désobéissance au pouvoir royal à ses coreligionnaires. Ces bruits n’entachèrent finalement pas sa réputation mais à la suite de cet incident, il ne se déplaça plus que pour des affaires familiales[59].

Son voyage en Italie, en Dalmatie, en Grèce et au Levant lui procura une extraordinaire connaissance des collections et des antiquités gréco-romaines et lui fit gagner un statut de « savant » dans la République des Lettres. Pour autant, Jacob Spon ne s’est jamais défini comme tel, mais comme un curieux.

 

3. Du curieux au savant

De fait, il récusa son statut de « savant ». Dans une lettre à un curieux provençal, le président Louis Thomassin de Mazaugues datée du 26 juin 1677, il acceptait à peine le mot de « curieux » pour se qualifier :

 

Je suis sans doute curieux ; mais la curiosité presuppose ignorance : car si j’estois veritablement savant, je n’aurois que faire de chercher avec tant de soin & de curiosité les medailles, les inscriptions, les statues & les bas reliefs qui sont autant de livres de leur sorte qui nous peuvent instruire de quelque point d’histoire, de Geographie & de Philologie[60].

 

Selon le médecin, le savant tire ses connaissances des livres tandis que le curieux tire sa connaissance des objets qu’il collectionne et étudie. Le savant et le curieux ne sont pourtant pas deux figures antagonistes, mais complémentaires. Jacob Spon est curieux tout autant que savant en liant la connaissance de l’Antiquité par son étude matérielle et livresque.

 

Définir son champ d’étude : l’antiquarisme, ou l’archéographie

L’antiquité gréco-romaine est un des principaux objets de la curiosité en Europe au XVIIe siècle. Les cabinets italiens et français sont remplis d’artefacts antiques : pierres gravées, médailles, statuettes et urnes lacrymatoires…

L’activité intellectuelle de Jacob Spon s’inscrit dans une tradition « antiquisante » propre à Lyon. L’antique Lugdunum, citée par les auteurs romains, disposait de vestiges de cette époque découverts et étudiés dès la fin du XVe siècle par les érudits locaux. Mais ses travaux tout autant que sa personnalité démarquent Spon de ses contemporains antiquaires : il est médecin et protestant dans un milieu composé essentiellement d’ecclésiastiques catholiques. L’intérêt pour l’Antiquité de Jacob Spon trouvait un de ses fondements dans les « liens faibles » qu’il entretint entre sa curiosité antiquaire et le protestantisme au nom de l’ancienneté de sa foi et de sa justification ; mais il le devait aussi, et surtout, à sa volonté de la comprendre dans toutes ses dimensions. La définition qu’il donna de son champ d’étude en 1679 et en 1685 sous le nom d’Archeographia dans les Miscellanea eruditae antiquitatis le confirme. L’Archéographie est, selon lui :

 

le fait de montrer ou de connaître les vestiges antiques par lesquels les Anciens se sont appliqués à diffuser la Religion, l’Histoire, la Politique et les autres arts ou sciences de leur temps, et à les transmettre à la postérité. Or étant donné la diversité des supports sur lesquels ces traces se trouvent gravées, l’Archéographie semble devoir se subdiviser en autant de sciences[61].

 

Ces sciences sont au nombre de huit : la numismatographie (science des monnaies), l’épigrammotographie (l’épigraphie), l’architectonographie (science des édifices), l’iconographie (science des statues), la glyptographie (science des gemmes), la toreumatographie (science des bas-reliefs), la bibliographie (sciences des manuscrits), et l’angeiographie (science des instruments).

Cependant, dès 1673, le médecin avait déjà ébauché ce qu’est l’Archéographie dans la Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon. En 1679, il donne une définition quasi similaire dans la Réponse à la lettre publiée par M. Guillet, où il utilise le mot d’Antiquarisme. Spon n’est donc pas qu’un curieux ou un « connoisseur », motivé par le goût de la rareté, mais un savant, exposant au public son objectif (contribuer à une meilleure compréhension des sociétés antiques) et les moyens qu’il emploie pour y parvenir (l’étude de ses vestiges matériels).

 

Le savant et sa réputation : impartialité, modestie et intermédiation

La figure de l’antiquaire est celle du savant : l’érudit spécialisé dans une discipline. Si on s’en tient à l’acception weberienne, le savant est celui qui cherche une compréhension intégrale des faits tout en conservant une « neutralité axiologique[62] ». Quoique anachronique pour l’époque qui nous concerne, cette définition correspond bien à l’idée que se faisait Spon de son rôle d’antiquaire : il faut garder son impartialité par rapport à la vérité lorsqu’on invoque le passé ; car ce passé peut être instrumentalisé. Le contexte français de la controverse théologique opposant les théologiens catholiques à leurs homologues protestants dans les années précédant la Révocation de l’Édit de Nantes favorise l’exploration et l’exploitation de l’Histoire à des fins polémiques[63]. Les textes comme les faits peuvent être détournés, manipulés, et contestés. Jacob Spon en fit les frais lors de la publication de L’Histoire de la ville et de l’estat de Genève en 1680.

L’antiquaire lyonnais donnait l’image d’un homme totalement désintéressé et honnête, allant jusqu’à dévoiler ses propres limites, par une modestie que ses contemporains qualifiaient de « flegme » proprement « sponien ». Ainsi répond-il en 1679 au polygraphe Georges Guillet, qui l’avait attaqué sur la véracité de sa description d’Athènes dans la relation de son voyage :

 

J’avoueray mon ignorance dans le détail, de peur que M. Guillet ne croye que ce soit une fausse modestie, plutôt que la connoissance de ma propre foiblesse qui tire de moy cet aveu. Je ne sçay le Grec que mediocrement. Je n’entens ni les Auteurs trop guindés, ni les Poëtes Grecs. J’entens pourtant les Inscriptions Grecques par la grande routine que j’en ay. Je ne sçay rien dans l’Astronomie, ni dans les Mathematiques. Je ne suis pourtant pas tout-à-fait ignorant dans la Geographie ancienne ni dans la moderne. Je ne sçay presque rien de l’histoire de nos derniers siecles que par oüi dire. Je n’ay jamais lû celle des Turcs, ni ne m’en soucie point. Pour ce qui est de l’histoire ancienne, j’en sçay quelque chose davantage : neanmoins je ne me pique point d’y exceller. Ce que j’en ay leu a esté plutôt par divertissement que par estude. J’ay cité dans mes relations des auteurs anciens, dont j’avois confronté les paroles avec ce que j’avois vû : cela n’est pas un grand effort. Outre la raison de ma santé, le peu d’inclination que j’ay à la lecture & la mediocrité de ma fortune, qui ne me permet pas d’avoir une Bibliotheque nombreuse, j’ai esté encore rebuté de la lecture des livres par les contrarietez que j’y trouvois[64].

 

Si sa santé reste un prétexte pour minimiser l’état de ses connaissances[65], son humilité affichée avait aussi des fins publicitaires : pour garantir sa réputation et le débit de ses ouvrages destinés à un public majoritairement catholique en France, il fallait jouer la carte de la neutralité religieuse dans un contexte intellectuel défavorable aux savants protestants.

Spon recevait pourtant de nombreuses sollicitations sur l’Antiquité de la part de curieux. Son ami Philippe Sylvestre Dufour le rétribuait en échange de ses connaissances sur les antiquités romaines[66]. Les lettres arrivaient à Lyon de toute la République des Lettres. Le savant caennais Louis de Touroude lui demandait des précisions sur l’emplacement supposé de l’Académie à Athènes[67] ; un noble du Comtat Venaissin, le comte de Saint-Tronquet le priait d’expliquer une inscription trouvée à Lagnes datant du Haut Moyen-Âge[68]… À Paris, Spon était en contact avec les antiquaires rassemblés autour du duc d’Aumont entre 1680 et 1683. Ce cercle se réunissait chez le duc une fois par semaine, le mercredi, pour discuter des curiosités antiques, en particulier des médailles. On comptait parmi ses membres son ami le mathématicien Adrien Auzout, l’abbé François de Camps, le père jésuite Claude-François Ménestrier, le dessinateur numismate André Morell Hartmann, le diplomate Ezéchiel Spanheim, Jean Foy-Vaillant… Mais les sollicitations étaient aussi matérielles. Le savant s’appuya sur l’importance géographique de Lyon, étape incontournable entre Paris et l’Italie, pour jouer le rôle d’intermédiaire dans les échanges matériels. Ainsi il favorisa les sollicitations d’antiquaires italiens tels que Francesco Mezzabarba à Milan ou Giuseppe Magnavacca à Bologne auprès de ses contacts parisiens.

Ses publications, sa correspondance épistolaire, son intermédiation entre les pays protestants, l’Italie et Paris font de Jacob Spon un savant pleinement intégré à la République des Lettres. Il est un membre éminent de « l’escadron volant des antiquaires » pour reprendre le trait méprisant de G. Guillet à l’égard de ces spécialistes de l’Antiquité. Mais en dépit des critiques, les antiquaires ont permis à leur science de s’affranchir d’un lien de subordination à l’Histoire.

 

Du curieux au savant : spécialisation et autonomisation ?

La carrière antiquaire de Spon annonce-t-elle la « professionnalisation » du savant, qui intervient au XVIIIe siècle ? L’antiquarisme se démarqua lors de ce siècle par deux éminentes figures : le comte de Caylus (1692-1765) et Johann Joachim Winckelmann (1717-1768). L’archéologie devint une science à part entière et donna lieu à une rémunération du savant pour son expertise.

Par son activité de savant, Spon contribua en son siècle à modifier le rapport au Savoir : l’érudition passa de l’encyclopédisme à la spécialisation et occasionna un cloisonnement en « disciplines ». Il en va de même pour la curiosité. La numismatique s’autonomisa au Grand Siècle en une science particulière, par la publication de catalogues et de classifications réalisées par des curieux éclairés comme Ezéchiel Spanheim et Patin. Il existait aussi des numismates et des antiquaires rétribués pour leurs seules compétences sur ces sujets mais ils se cantonnaient aux cours d’Europe et témoignaient souvent d’une faveur princière ou aristocratique. Parmi les contemporains et correspondants de Spon, Giovanni Pietro Bellori, antiquaire romain, fut nommé par le pape Clément X commissario delle Antichità du Saint-Siège en 1670 alors qu’il officiait déjà pour le cardinal Camillo Massimo ; le médecin numismate Charles Patin espérait être nommé gardien du médaillier de l’empereur Léopold Ier à Vienne à la mort du bibliothécaire Peter Lambeck en 1679. En 1683, un commensal de la famille Le Tellier, le médecin antiquaire Pierre Rainssant, est nommé garde du médaillier du Roi en remplacement de Pierre de Carcavi, une créature de Colbert.

La spécialisation de l’érudition en autant de disciplines laisse apparaître une ébauche d’autonomisation. La correspondance laisse penser que le médecin disposait d’une certaine autonomie, et la cultivait ; contrairement à d’autres antiquaires de son époque, Spon semble s’être démarqué de toute obligation trop appuyée à l’égard de protecteurs comme le Père La Chaize et l’abbé Claude Nicaise qui favorisèrent pourtant sa réputation à la Cour et à Paris.

Jacob Spon tirait ses revenus de sa pratique de la médecine, des opérations d’achat-vente sur les médailles et les artefacts et à la fin de sa vie, de son activité d’« expertise » en grec et sur les inscriptions gréco-romaines[69]. Sa relative autonomie est liée à une tradition familiale de rejet des honneurs au nom d’un ethos calviniste. Son père Charles Spon déclina, avant de se résigner à l’accepter, la charge de médecin du roi en 1643 sur l’insistance de son collègue et maître parisien Jacques Cousinot (1585-1646), le médecin du roi, mais il ne chercha jamais à faire valoir son titre. En janvier 1680, en refusant de se convertir au catholicisme comme l’y incitait le Père La Chaize, Jacob Spon échappait au tropisme royal attirant à Paris les meilleurs savants du Royaume. Mais en septembre 1685, par attachement à la pratique, il rejetait l’offre d’une chaire de médecine à l’université d’Utrecht par ses coreligionnaires[70]. Quelques années auparavant, Charles Patin et ses amis de l’université de Padoue lui avaient fait une proposition analogue.

Le savant minimisait dans ses ouvrages et sa correspondance sa curiosité pour l’Antiquité, qu’il présentait avant tout comme un modeste « délassement » et insistait sur la pratique médicale qui l’emportait sur toute autre activité. En bon calviniste, Jacob Spon cultivait sa curiosité pour chasser l’ennui. L’oisiveté et les bavardages creux sont en effet proscrits par Calvin car ils mènent à l’arrogance et à l’ignorance de Dieu. Tout travail est effectué pour la gloire de Dieu seule[71] ; mais en exerçant ses talents d’antiquaire et en appliquant, modérément, sa curiosité, Spon pose en actes la volonté de mieux connaître Dieu par une quête de vérité matérielle qui conforte une vérité spirituelle à laquelle il croit. Son otium constitue ainsi un véritable travail intellectuel visant à rappeler la fidélité du protestantisme à la Parole et à l’Église paléochrétienne. Il applique un don pour l’étude qui serait perdu en mondanités s’il acceptait une quelconque gratification.

Le médecin lyonnais ne connut cependant pas le sort de quelques-uns de ses amis curieux protestants à la Révocation : l’avocat François Graverol, victime de la duplicité d’un compatriote nîmois alors qu’il tentait de rejoindre Genève[72], fut emprisonné et dut abjurer le protestantisme. Il continua toutefois à étudier l’Antiquité après sa libération. André Morell Hartmann, bien que Bernois, fut embastillé pour avoir demandé avec trop d’insistance ses gages liés à sa charge de dessinateur au cabinet des médailles du roi, mais aussi pour ne pas s’être converti au catholicisme[73].

 

L’antiquarisme n’est jamais qu’une forme poussée de curiosité à laquelle Jacob Spon apporta une méthode d’étude basée sur l’observation. De connoisseur de l’Antiquité il devint savant par la fréquentation des vestiges matériels d’un passé idéalisé. La République des Lettres sut louer ses mérites. De Dublin à Bucarest, son Voyage d’Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant fut lu, commenté et célébré par les curieux d’Europe.

Bien qu’il écrivît le contraire, la curiosité ne fut pas pour Jacob Spon un simple délassement mais un travail intellectuel à part entière. Le médecin ne fut pas le « singe antiquaire » dépeint avec ironie par Jean Siméon Chardin au XVIIIe siècle, jouissant de l’observation de ses médailles, ni celui caricaturé par Georges Guillet dans ses Lettres écrites sur une dissertation d’un voyage de Grèce, publié par M. Spon. La curiosité et le collectionnisme servaient l’étude de l’Antiquité, laquelle concourait à rétablir l’exactitude chronologique des faits par des preuves qui n’étaient pas textuelles. C’était une nouvelle manière d’écrire l’Histoire universelle, où l’antiquaire, libéré de toute subordination excessive à l’égard des auteurs anciens, fut libre de lancer ses hypothèses et de contribuer, à son niveau, aux progrès de la Science.

 

Yves MOREAU

Docteur en histoire moderne

Chercheur associé au LARHRA -UMR 5190

Université de Lyon

 

 

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Notes

[1] Calvin, Jean, Institution de la religion chrestienne, I, XIV, 4, cité d’après l’article de Vial, Marc, « La curiosité, anti-modèle de la théologie : Calvin et Gerson », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, vol. 155, 2009, p. 29-40.

[2] Voir Merlin, Hélène, « Curiosité et espace particulier au XVIIe siècle », dans Jacques-Chaquin, Nicole et Houdard, Sophie (dir.), Curiosité et libido sciendi de la Renaissance aux Lumières, Fontenay-aux-Roses, ENS Éditions, 1998, t. I, p. 115-116.

[3] Spon, Jacob, Voyage d’Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant, fait aux années 1675 & 1676, Lyon, Antoine Cellier, 1678, t. III, p. 23.

[4] Pérez, Marie-Félicie, Guillemain, Jean, « Curieux et collectionneurs à Lyon », dans Mossière, Jean-Claude et Roland, Étienne (dir.), Jacob Spon, un humaniste lyonnais du xviie siècle, Paris, de Boccard, 1993, p. 39-50.

[5] Paris, BnF, Tolbiac, 8-LJ9-319.

[6] Sur la qualité des collections de tableaux à Lyon, voir Lépine, Laurence, Recherches sur certains curieux lyonnais d’après la Liste de Spon, Mémoire de maîtrise de l’université Lyon 2, 1986.

[7] Un article récent de Pierre Rosenberg détaille les liens du peintre Nicolas Poussin avec Lyon à l’occasion de l’acquisition en février 2016 par le musée des Beaux-Arts de Lyon d’une œuvre de jeunesse du peintre, La Mort de Chioné. Le tableau appartenait à la famille Reynon, voir Rosenberg, Pierre, « Poussin et Lyon. La mort de Chioné », Paris, Somogy, 2016, p. 15-33, en ligne : https://issuu.com/baranes/docs/poussin_et_lyon__extrait_.

[8] Guillemain, Jean, « Le médaillier du collège de la Trinité sous le règne de Louis le Grand », dans Sabatier, Gérard (dir.), Claude-François Ménestrier : les jésuites et le monde des images, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2009, p. 39-62.

[9] Grollier de Servière, Nicolas, Recueil d’ouvrages curieux de mathématique et de mécanique ou description du cabinet de Monsieur Grollier de Serviere, Lyon, David Forey, 1719.

[10] Un ouvrage, Instruction morale d’un père à son fils qui part pour un long voyage publié à Lyon chez Antoine Cellier en 1678, connut un beau succès. Des passages de son livre furent lus à l’Académie française, qui le complimenta par la plume de François Charpentier. Le livre connut plusieurs rééditions.

[11] Il publia avec Jacob Spon une relation sur leurs vertus médicinales, De l’usage du caphé du thé et du chocolate, Lyon, Jean Girin et Barthélémy Rivière, 1671.

[12] Lettre de Jacob Spon à Pierre Bayle datée du 31 janvier 1685, voir la lettre n° 382 de la Correspondance de Pierre Bayle, Oxford, Voltaire foundation, t. V, 2007, p. 229-233.

[13] Paris, BnF, ms NAF 24171, f° 29, Lettre du 15 février 1674 de Charles Patin à Jacob Spon.

[14] Haag, Eugène et Émile, La France protestante, Paris, Librairie Fischbauer, 1886, t. V, p. 686-691.

[15] Nous ne trouvons aucune trace de ce livre de raison dans les dépôts publics de Suisse.

[16] Kircher, Athanase, Mystagoga sive Diatribe hieroglyphica qua mumiae ex memphiticis pyramidum adytis erutae, Amsterdam, Jansson van Waesberghe, 1676.

[17] Ce renseignement est donné dans Moréri, Louis, Supplément au Grand Dictionnaire historique généalogique et géographique, Paris, Lemercier, Vincent, Coignard et Boudet, 1735, article Du Four, t. I, p. 476.

[18] Le Clerc, Laurent-Josse, Bibliothèque du Richelet ou abrégéez de la vie des auteurs citez dans ce dictionnaire, Lyon, s.n., 1726, notice Dufour, p. lviii.

[19] Lyon, Archives municipales, régie des biens des religionnaires fugitifs, 3GG079, compte Spon.

[20] Voir Veillon, Marie, « La science des médailles antiques sous le règne de Louis XIV », Revue numismatique, 6e série, t. 52, 152, 1997, p. 359-377.

[21] Cette lettre manuscrite est conservée à la Bibliothèque universitaire de Bâle, G 2-I-32, fol. 71-75. D’autres lettres inédites envoyées à Sébastien Faesch et Charles Patin sont d’un grand intérêt pour comprendre la passion numismate de Jacob Spon. Ce fonds épistolaire nous a été signalé par M. Guy Meyer.

[22] Lettre du 10 octobre 1671 à Sébastien Faesch, ibid. En parlant de sa liste, Spon écrit « Il y en a quelques rares, mais elles sont toutes assés belles et bien conservées parce que j’en ai acquis une bonne partie de Mr Patin, car il en avoit quantité de doubles dont il m’a accommodé ».

[23] Dès 1670, la plupart des lettres envoyées à Sébastien Faesch et conservées à la Bibliothèque universitaire de Bâle concernent cette activité.

[24] Lettre de Jacob Spon à Sébastien Faesch, datée du 25 septembre 1672, Bâle, Bibliothèque universitaire, G 2-I-32, fol. 86 v.

[25] Lettre de Jacob Spon à Sébastien Faesch, datée du 6 juillet 1674, Bâle, Bibliothèque universitaire, G2-I-32, fol.  89 r.

[26] Spon, Voyage d’Italie…, op. cit., t. II, p. 387.

[27] Ibid., t. II, p. 314.

[28] Paris, BnF, ms lat., 10810.

[29] Il est probable que le fils de Philippe Sylvestre Dufour et Jean-Jacques Spon partirent ensemble de Lyon au mois de janvier 1679 pour Alep.

[30] Le Clerc, Bibliothèque du Richelet…, op. cit., p. lviii.

[31] La collection du chanoine fut rachetée en 1717 par Jacques Annibal Claret de la Tourrette, président de la cour des monnaies de Lyon pour la somme de 2500 livres contre une pension viagère annuelle de 75 livres (Lyon, Archives Départementales du Rhône, 3 E 4343 A, fol. 2). Elle fut revendue en 1733 par son fils Jacques Claude au consulat de Lyon pour 2400 livres et constitue une des collections primitives du médaillier de la ville de Lyon actuellement au Musée des Beaux-Arts. Voir Guillemain, Jean, « La numismatique à Lyon au XVIIIe siècle », Revue numismatique, 6e série – t. 34, 1992, p. 212.

[32] Planet, François, « Jacob Spon et la ‘science des médailles’ », dans Mossière et Roland (dir.), Jacob Spon, un humaniste lyonnais…, op. cit., p. 134-135. La médaille a fait l’objet d’une étude particulière de Spon publiée dans son ouvrage Recherches curieuses d’antiquité, Lyon, Thomas Amaulry, 1683, p. 180-194. Il s’agit de la douzième dissertation « Sur une médaille antique de Sévère et Julia Domna ».

[33] Paris, BnF, département des estampes et photographies, Réserve, FB-18 (B)-4.

[34] Lettre de Jacob Spon à l’abbé Claude Nicaise, c. Mars 1684, Paris, BnF, ms fr 9360, fol. 317-318.

[35] Lyon, Archives départementales du Rhône, BP 3994, compte Spon, fol. 1 et 4, document non daté. Du Four n’a jamais été payé par Spon pour ces ouvrages et demanda en 1686 à l’intendant de la généralité du Lyonnais qu’on les lui paie sur la vente des effets du défunt par la régie des biens des religionnaires fugitifs.

[36] Lyon, Archives départementales du Rhône, BP 3994, compte Spon, copie du document original, perdu.

[37] Une partie de ces envois est mentionnée dans son livre de compte pour la période 1677-1682, Paris, BnF, ms lat. 10810.

[38] Dans une lettre du 15 octobre 1676 écrite depuis Lyon à Antonio Magliabechi, il donna une liste d’une vingtaine de ces manuscrits grecs, Florence, Biblioteca Nazionale Centrale, carteggio magliabechiano, s. II, t. II, fol. 140. Parmi ces auteurs figurent Jean Climaque, Jean Xiphilin, Sérapion d’Antioche, Eusèbe de Césarée, Maxime le confesseur, Irénée de Lyon…

[39] Lettre datée du 11 novembre 1683, Paris, BnF, ms fr 9360, fol. 292-293.

[40] Lyon, Archives municipales, 3GG079, compte Spon.

[41] Lyon, Archives départementales du Rhône, BP 3994, compte Spon.

[42] « Je m’accoutume au crachement de sang, qui vient peut estre de ce que j’en ay trop. J’ay pourtant envie d’essayer l’usage du lait caffeté qui est une invention de Mr Monin, Medecin de Grenoble, qu’il dit estre excellent pour la toux et les maladies du poumon, le café l’empechant de se cailler et d’oppiler. ». Lettre du 16 décembre 1683 de Jacob Spon à Claude Nicaise, Paris, BnF, ms fr 9360, fol. 298-299.

[43] Lettre de Vincent Minutoli à Pierre Bayle, du 15 février 1686, publiée dans la Correspondance de Pierre Bayle, Oxford, Voltaire Foundation, t. VI, lettre n° 517, 2008, p. 260-272. Minutoli tirait ses renseignements de l’apothicaire Henri Moze, un grand ami de Spon qui s’exila à Genève à la Révocation.

[44] Dans une lettre écrite de Genève et datée du 28 mai 1686 à Bayle, Minutoli s’en désole. Il juge Solizor pervers et mauvais. Il craint surtout que cet homme ne fasse paraître les dissertations de Spon sous son nom. Voir lettre n°565, ibid., t. VI, p. 393-394.

[45] Bayle en informa Minutoli par lettre. Voir la lettre n° 593 datée du 8 juillet 1686, Correspondance de Pierre Bayle, Oxford Voltaire Foundation, t. VII, 2009, p. 12-13.

[46] « Vie de Scipion l’Afriquain par feu M. Jacob Spon », éditée par Dumont, Gabriel, dans Histoire critique de la République des Lettres tant Ancienne que Moderne, Amsterdam, 1718, vol. 15, p. 1-83. Cet écrit est cité par Spon dans une lettre adressée à Bayle datée du 31 janvier 1685, publiée dans la Correspondance de Pierre Bayle, Oxford, Voltaire Foundation, t. V, lettre n° 382, 2007, p. 229-233. On peut donc dater la rédaction de cet écrit entre le mois de décembre 1684 et le mois de janvier 1685.

[47] Pomian, Krzysztof, Collectionneurs, amateurs et curieux, Paris, Venise, XVIe XVIIIe siècles, Paris, Gallimard, 1987, p. 42.

[48] Cette dissertation, la dix-neuvième, a été republiée en 1683 dans les Recherches curieuses d’antiquités, p. 249-282.

[49] Spon, Jacob, Discours sur une pièce antique et curieuse, du Cabinet de Jacob Spon, Lyon, Jacques Faëton, 1674, i, p. 4.

[50] Ibid., x, p. 18.

[51] Ibid., xii, p. 31.

[52] La datation avancée par Spon a néanmoins été contestée dès le xviiie siècle.

[53] Spon justifie ainsi son voyage dans le premier tome du Voyage d’Italie…, op. cit. (préface).

[54] Spon exposa lui-même la mésaventure de Vaillant dans son Voyage d’Italie…, op. cit., t. I, p. 15-22.

[55] Ibid., t. I, « Liste des cabinets et palais de Rome, et des pièces les plus curieuses qu’on y remarque, & qu’on n’a pas voulu inserer dans le discours suivi de cette relation », p. 388-405.

[56] Huguetan, Jean, Voyage d’Italie curieux et nouveau : enrichi de deux listes, l’une de tous les curieux et de toutes les principales curiositez de Rome, et l’autre de la pluspart des sçavans, curieux et ouvriers excellens de toute l’Italie à présent vivans, Lyon, Thomas Amaulry, 1681, « Première liste des Cabinets, Eglises et Palais de Rome, & des pieces les plus curieuses qu’on y remarque », p. 282-316.

[57] Il s’agit des trois volumes du Voyage d’Italie…, op. cit.

[58] Lyon, Bibliothèque municipale, ms fonds général 1720, fol. 64, lettre du 2 mars 1678 de François Charpentier à Jacob Spon.

[59] Le médecin se rendait occasionnellement à Crest, où résidait une de ses sœurs, Marie, mariée au marchand Louis Dumont.

[60] Lettre de Jacob Spon à Louis Thomassin de Mazaugues datée du 26 juin 1677, Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, ms 439, t. 1, fol. 28-29.

[61] Spon, Jacob, Miscellanea eruditae Antiquitatis, Lyon, Huguetan, 1685, préface non paginée. Citation traduite du latin par François Baratte.

[62] Weber, Max, Le Ssavant et le politique, Paris, 10-18, 2006 (parution en allemand en 1919, première édition en français 1959). La neutralité du savant ne l’empêche cependant nullement d’avoir une opinion, mais elle doit rester au second plan.

[63] Sur ce point, nous renvoyons à notre article, « Calvinisme, Histoire et Antiquité(s) : les originalités du médecin lyonnais Jacob Spon », Revue d’Histoire du Protestantisme, vol. 1, n°1, 2016, p. 77-98 ; en ligne, https://www.jstor.org/stable/44851094?seq=1.

[64] Spon, Jacob, Réponse à la critique publiée par M. Guillet sur le Voyage de Grece de Iacob Spon. Avec quatre lettres sur le mesme sujet, le Iournal d’Angleterre du sieur Vernon, & la liste des erreurs commises par M. Guillet dans son Athenes ancienne & nouvelle, Lyon, Antoine Cellier, 1679, p. 26-27.

[65] Ibid., p. 25.

[66] Le Clerc, Bibliothèque du Richelet…, op. cit., p. lviii.

[67] Lyon, Bibliothèque municipale, ms fonds général 1721, fol. 173, lettre du 18 septembre 1680 de Louis Touroude à Jacob Spon.

[68] Lyon, Bibliothèque municipale, ms fonds général 1721, fol. 176, lettre du 15 février 1681 de François-Gabriel-Marie de Poli, comte de Saint Tronquet à Jacob Spon.

[69] Hormis l’apothicaire Sylvestre-Dufour, qui le rétribuait contre ses services d’antiquaire, les imprimeurs libraires lyonnais Jean Anisson et Marc Mayer embauchèrent Spon en 1682 pour corriger des ouvrages qu’ils souhaitaient imprimer : le Glossaire grec de Charles Dufresne Du Cange pour Anisson, et un ouvrage de numismatique pour Marc Mayer. Ce dernier passa contrat devant notaire avec Jacob Spon ; il lui promettait en échange de son travail une rétribution 15 louis d’or et des livres pour faciliter sa tâche. Lorsque l’antiquaire lyonnais s’exila en septembre 1685, les corrections pour Anisson n’étaient toujours pas achevées. Ce fut le père jésuite Dominique de Colonia qui termina ce travail, et le Glossaire fut imprimé en 1688.

[70] Cette information est donnée par le père Léonard de Sainte-Catherine dans ses papiers. Paris, BnF, ms fr 22583, fol. 228.

[71] Weber, Max, L’Éthique protestante et l’esprit du Capitalisme, Paris, Gallimard, collection « Tel », 2003, p. 114-116.

[72] Voir Ménard, Léon, Histoire civile et ecclésiastique de la ville de Nismes, Paris, Chaubert et Herissant, 1755, t. VI, p. 335-337.

[73] Sarmant, Thierry, Le Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale, 1661-1848, Paris, thèse de l’École nationale des Chartes, 1994, p. 52-53.

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