Introduction à la publication des Actes des journées d'études "LYON ET LA CULTURE DE LA CURIOSITÉ" organisées en 2016 au Musée des Confluences de Lyon par Myriam Marrache-Gouraud et Dominique Moncond'huy.

Lyon et la culture de la curiosité

Journées d’étude

Musée des Confluences (Lyon)

25-26 février 2016

 

 

 

 

 

Confluences temporelles

 

 

Dans le cadre de l’exposition temporaire « Dans la chambre des merveilles » présentée jusqu’en avril 2016 par le musée des Confluences de Lyon, nous avions choisi d’organiser deux journées d’étude en partenariat avec l’équipe du musée afin d’accompagner l’exposition d’une réflexion portant sur « Lyon et la culture de la curiosité », les 25 et 26 février 2016. Que les membres de cette équipe des Confluences, Marie-Paule Imberti, Cécilia Duclos, Bruno Jacomy, soient ici chaleureusement remerciés pour leur collaboration scientifique et leur excellent accueil.

L’exposition « Dans la chambre des merveilles » marquait de manière inaugurale l’ouverture de ce nouveau musée en décembre 2014. Le musée des Confluences choisissait ainsi de mettre en avant sa genèse et son histoire, lui qui doit beaucoup à différentes collections lyonnaises, dont les objets très divers forment à eux tous une sorte de Wunderkammer, des minéraux géants aux momies, du squelette d’éléphant aux carnets de  voyages et autres fioles contenant maints échantillons mystérieux, entre les costumes exotiques les plus anciens et les objets techniques les plus récents. L’exposition consacrée aux cabinets de curiosités, qui proposait un parcours en plusieurs étapes amenant le visiteur à appréhender les différents « mécanismes » constitutifs de ces cabinets, montre ce que doit l’actuel musée des Confluences à ces traditions de collecte, et à quel point l’état actuel des « confluences » qu’il met en scène en est le digne héritier, tant dans les rencontres inattendues qu’il rend possibles entre les objets et les disciplines que dans le rapport qu’il entretient avec sa propre mémoire, puisque l’histoire de ses collections et de l’institution prend sa source dans le premier muséum d’histoire naturelle en 1777, lui-même issu des cabinets d’illustres collections lyonnaises comme celles des Monconys ou du génial horloger Grollier de Servière.

L’exposition « La Chambre des merveilles » ne prétendait nullement reconstituer l’un ou l’autre des cabinets des collectionneurs lyonnais du XVIIe siècle, mais avait fait le choix de proposer une réinterprétation contemporaine joliment scénographiée, une invitation à rêver au gré d’un parcours où trouvaient à s’exprimer la magie ou l’aura d’objets bizarres, souvent chargés de mystère, sans négliger la puissance esthétique de certaines pièces, ni les effets de séries, de formes ou de couleurs induits par la muséographie. Cette exposition, qui connut un véritable succès, présentait ainsi une sélection de 800 objets principalement issus des collections du musée, et donna lieu à une publication[1].

 

 

Les deux journées d’étude que nous avons organisées avec la complicité du musée ont été ponctuées par une table ronde qui a réuni Pascal Duris (Professeur en épistémologie et histoire des sciences, Université de Bordeaux), Antonella Romano (Directrice d’études à l’EHESS en Histoire des sciences, Directrice du centre Koyré) et Myriam Marrache-Gouraud (Maître de conférences en Littérature du XVIe siècle, Université de Brest) sous la houlette de Dominique Moncond’huy (Professeur de littérature du XVIIe siècle, Université de Poitiers) qui animait les débats. Dans le grand auditorium du musée, la table ronde avait choisi pour thème directeur le devenir des collections, en interrogeant le passage « Des cabinets de curiosités aux musées et à la science moderne », sorte de confluence temporelle et matérielle en somme, replongeant vers les premiers musées pré-modernes, pour envisager leur devenir contemporain, sinon post-moderne.

Car c’est bien en revenant aux premières manifestations lyonnaises des collections de raretés, celles de la Renaissance et de l’Âge classique, que les deux journées d’étude ont pu, de manière complémentaire et résolument interdisciplinaire, faire dialoguer historiens, conservateurs de musées, historiens d’art et chercheurs en littérature pour s’efforcer d’approfondir cette question de la transmission des premiers musées aux musées publics d’aujourd’hui : transmission d’un goût pour l’objet mémorable, transmission de la constitution d’un public et d’attentes voire d’exigences spécifiques des visiteurs, mais aussi d’enjeux de prestige et de rayonnement de la renommée des collections dans et hors les murs de la ville. La tradition scientifique, artistique et littéraire de Lyon, son rôle culturel et lettré éminent à la Renaissance, son poids commercial, sa situation géographique privilégiée au carrefour de grandes routes européennes en faisaient naturellement l’un des hauts lieux possibles de la culture de la curiosité telle qu’elle s’est développée en France et en Europe aux XVIe et XVIIe siècles. Depuis l’ouvrage fondateur de Léopold Nièpce sur la question[2], concernant l’attachement des collections humanistes pour les vestiges romains et la numismatique, il faut citer les travaux essentiels de Richard Cooper[3], relancés encore par l’étude qu’il propose ici sur trois personnages essentiels du petit monde des antiquaires, Sala, Simeoni et Du Choul ; quant aux autres grandes figures qu’on verra émerger au siècle suivant, Spon, Grolier de Servières ou les frères Monconys, les travaux d’Anthony Turner[4], de Frédéric Tinguely[5] avaient déjà tracé quelques pistes décisives sur leurs engouements ou leurs manières d’écrire[6].

 

En lisant les neuf communications que nous publions ici, on pourra vérifier avec Olivier Le Gouic que l’activité commerciale lyonnaise, y compris en matière de produits exotiques, n’est pas un vain mot, mais que bien avant qu’elle ne se développe aux XVIIe et XVIIIe siècles, les échanges avec l’Italie, notamment en matière d’objets antiques, de monnaies, de médailles, étaient déjà très importants, au point que Lyon était véritablement un point d’attraction pour les érudits italiens, ainsi que le montre la contribution de Richard Cooper, portant sur le XVIe siècle. Le plaisir que prennent les Italiens à converser avec les humanistes antiquaires de Lyon et à visiter leurs demeures pleines de splendeurs archéologiques n’a d’égal que la fascination qu’éprouvera Monconys en visitant la galerie des Offices de Florence, un siècle plus tard, ainsi que l’analyse Maddalena Napolitani. Quant au rôle éminent des frères Monconys, les différentes communications qu’on trouvera ici permettront de distinguer plus clairement que jamais l’exigeant Balthasar (avec la contribution de Myriam Marrache-Gouraud) du plus méconnu Gaspard, son frère aîné, le discret Prévôt des marchands souvent éclipsé par son frère voyageur, mais dont l’importance est rendue indiscutable grâce aux contributions de Véronique Meyer et d’Anne-Lise Tropato. Toutes deux éclairent cette personnalité lyonnaise d’un jour nouveau pour rendre justice à ses réseaux, ainsi qu’aux méthodes éprouvées de sa frénétique collection, scrutée par le biais de son catalogue manuscrit inédit. C’est ce document qui a permis à Véronique Meyer une investigation exceptionnelle pour retrouver nombre de ses objets, à présent éparpillés dans différents musées européens, d’Amsterdam à Londres en passant par Leyde.

Cet éparpillement est une autre question essentielle posée par le fonds actuel des collections du musée des Confluences : il s’avère que les copieuses collections de Gaspard de Monconys, d’abord léguées à son frère Balthasar qui savait ce qu’elles valaient – pour les avoir lui-même copieusement alimentées – reviennent, à la mort de ce dernier, à son fils peu intéressé, qui les revend au plus offrant. La dispersion du fonds est donc mise en œuvre par un Monconys qui porte ironiquement le même prénom, Gaspard, que celui qui a amoureusement recueilli, pièce à pièce, ce fonds remarquable. Le constat des éparpillements et déperditions reste prégnant jusqu’au XIXe siècle, puisque l’ambitieuse mission pour la Chine qui donna lieu à une collecte d’exception à cette époque reste désormais introuvable en tant que telle, ayant été redistribuée entre différentes institutions muséales, ainsi que le montre la contribution de Christiane Demeulenaere-Douyère.

C’est ainsi que les contributions que nous présentons ici feront revivre quelques grandes collections perdues, et s’imposer les figures de collectionneurs éminents : Pierre Sala, Guillaume Du Choul, Gabriele Simeoni, les frères Monconys, Balthasar et Gaspard, sans oublier le fameux Jacob Spon, dont la profession de médecin et les voyages ont éveillé et formé un esprit savant (ce que montre Yves Moreau) doublé d’une immense curiosité, en particulier pour la materia medica traitée quasiment selon les méthodes de l’histoire et des numismates, comme l’illustre l’étude sur les terres sigillées de Lemnos menée par Lorenzo Cirrincione.

 

Ces journées d’étude nous ont offert l’opportunité d’ouvrir de nouvelles pistes de recherches, par le développement et l’approfondissement des connaissances que nous avions sur les réalités lyonnaises de la curiosité, qu’il s’agisse des cabinets que la ville a pu abriter, qu’il s’agisse des écritures multiples qu’elle a générées, tant par des échanges épistolaires que par la rédaction de catalogues ou d’actes officiels, sans oublier les nouveaux savoirs et la prospérité économique qui ont construit la renommée de la ville dans le monde des curieux, qu’il s’agisse enfin des grands collectionneurs qui ont durablement marqué son histoire.

 

 

Myriam MARRACHE-GOURAUD et

Dominique MONCOND’HUY

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Sommaire

Première partie

Collections humanistes lyonnaises : l’art d’être savant

  • Richard Cooper, Collections d’antiquités dans les cabinets de curiosités lyonnais au XVIe siècle. (à paraître bientôt)
  • Lorenzo Cirrincione, De la terre au cachet. Destins croisés de quelques curiosités sigillées de cabinet et l’interprétation des cachets antiques à collyres dans les Miscellanea eruditæ antiquitatis de Jacob Spon. (à paraître bientôt)
  • Yves Moreau, La curiosité de Jacob Spon (1647-1685), du connoisseur au savant.

 

 

Deuxième partie

Les frères Monconys et leurs collections

 

Troisième partie

Exotisme et curiosités à Lyon

 

 

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Notes

[1] Dans la chambre des merveilles, Paris, Flammarion-Musée des Confluences, 2014.

[2] Niepce, Léopold, Archéologie lyonnaise (2) : Les Chambres de merveilles ou cabinets d’antiquités de Lyon depuis la Renaissance jusqu’en 1789, Lyon, Henri Georg, 1881.

[3] Cooper, Richard, Roman Antiquities in Renaissance France, 1515-65, Farnham & Burlington, Ashgate, 2013.

[4] Turner, Anthony, « Grolier de Servière, the brothers Monconys, curiosity and collecting in seventeenth-century Lyon », Journal of the History of Collections, vol. 20-2, 2008, p. 205-215.

[5] Tinguely, Frédéric, « ‘Le catalogue des ignorans’ : voyage et mystification chez Balthasar de Monconys », dans La Lecture complice. Culture libertine et geste critique, Genève, Droz, 2016, p. 179-196.

[6] Marrache-Gouraud, Myriam, « ‘C’est un amas d’une infinité de choses rares et recherchées…’ Le Journal de Balthasar de Monconys, des cabinets de curiosités aux curiosités du texte », dans le catalogue d’exposition Dans la chambre des merveilles, op. cit., p. 117-125.

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