Cabinet de Chevalier, Nicolas (1702)
Seconde Edition. A Amsterdam, Chez l’Auteur, Marchand Libraire. 1702. Nicolas Chevalier décrit avec précision les objets et la configuration de ce qu'il appelle sa "chambre des raretez", gravures à l'appui, en seconde partie d'un petit ouvrage intitulé Remarques sur la piece antique de bronze... (1694 pour la 1ère édition).
La pièce antique dont il s’agit, trouvée selon les termes de la Préface aux environs de Rome et publiée par Marc Mayer sous la forme d’une gravure en taille-douce sans que le monde des savants et des curieux réagisse, est formellement identifiée par l’auteur comme un objet de culte, du type cuiller à encens. Ce qui nous intéresse au plus haut chef, c’est que, par manière de publicité, Nicolas Chevalier profite de la publication (à ses frais) de cette mise au point savante pour annoncer un ouvrage de plus grande envergure, qui consistera en la description de son propre cabinet de curiosité. Pour en démontrer l’intérêt et, probablement, pour achever de se faire une place dans le monde des curieux, sinon des savants, il propose à ses lecteurs une description abrégée de ce cabinet, qu’il annonce en ces termes :
« Je joins à ce petit Traité une Description de ma Chambre des Raretez ; mais j’en ferai une bien plus ample et bien plus exacte de toutes les choses curieuses qu’elle renferme, qu’on trouvera dans l’Ouvrage que je destine au Public, et qui paroîtra bien-tôt sous le tître de, Cabinet de NICOLAS CHEVALIER, contenant une Description de la Peinture dont il est orné ; l’Histoire des Empereurs en abregé, comprise dans les Médailles antiques qu’il renferme ; une Dissertation sur plusieurs Piéces aussi antiques, qui ont été trouvées dans la maison de Bret prés de Leide ; et sur quelqu’autres Piéces de marbre, accompagnées de Bas-reliefs, d’Agates et autres Pierres précieuses ; avec encore une Description de plusieurs Figures Chinoises, et des Animaux les plus rares et les plus dignes de la Curiosité. »
On l’aura compris, la différence entre l’ouvrage qu’il promet et le « petit Traité » qu’il donne à lire réside dans les commentaires érudits que l’humaniste se propose d’accompagner chaque objet recensé. Aussi peut-on estimer que nous avons là une description presque complète du petit cabinet de curiosités de Nicolas Chevalier (il faut en excepter le « grand cabinet » objet de la publication annoncée) et, ce qui est précieux, de sa configuration (et nous avons supprimé de notre transcription les quelques paragraphes de pure érudition qui ne correspondaient pas à la stricte description des objets et du lieu, mais on pourra en lire le texte dans les photographies numériques du document, disponibles dans notre Galerie). Huit planches gravées pleine page accompagnent le texte : selon les termes de la table des matières, la première planche représente la « premiére face de la Chambre des Raretez», la deuxième la « seconde face », la troisième « la troisiéme face, où se voit le Cabinet, dans lequel sont renfermez, les Instrumens pour la fabrique des Medailles », la quatrième « represente le Cabinet ouvert des instrumens de la fabrique des Medailles », les cinquième, sixième et septième montrent les quatrième, cinquième et sixième faces, et enfin la huitième planche offre une vue du plafond.
Le texte que nous reproduisons ici a été saisi sur l’exemplaire conservé à la bibliothèque de l’Arsenal (Paris). Comme indiqué entre crochets, il commence à la page 104. Les gravures liées au texte ont été photographiées sur un exemplaire de la première édition (1694) conservé à la Bibliothèque de l’INHA (Paris) : ce sont strictement les mêmes.
[104]
Description de la chambre des raretez de Nicolas Chevalier.
Premiére Planche, et premiére face de la Chambre.
Cette Chambre a six faces. La premiére qu’on découvre en entrant est ornée d’une Bibliotheque, qui consiste en plusieurs bons livres, arrangez sur neuf planches, et dont la plûpart sont des meilleurs Au-
[105]
teurs qui traitent des Médailles. Au haut de la Bibliotheque on voit plusieurs Vases, Pots, Figures et Bas-reliefs antiques, posez sur une autre planche ; et au dessus de toutes ces Piéces, une corne de Licorne suspenduë, à laquelle sont attachées plusieurs Lampes antiques, avec deux têtes d’yvoire aussi antiques, dont l’une represente l’Empereur Severe, et l’autre Julia Damna, femme de Severe.
[106]
[gravure]
[107]
Seconde Planche, et seconde face.
La seconde face est au côté droit de la Bibliotheque, où il y a deux croisées de fenêtres, au dessous desquelles on voit deux Termes. Celui qui est à gauche soûtient une trés-belle Urne antique de marbre ; et sur l’autre à droite est posé un Instrument, qui rend le son d’une Flute-douce, par le moyen d’une certaine machine qu’il faut tourner. Les Fenêtres, sous lesquelles est le premier Terme, sont ornées tout autour de Coquillages, et de Corail de mer, en
[108]
maniére de Festons ; et les autres sont embellies de Piramides d’yvoire fort belles, de Tableaux d’ecriture, et d’autres de pailles et de fleurs de Jericho.
Le milieu qui sépare les deux croisées est orné de sept planches, dont les trois plus hautes sont remplies de livres, et les quatre autres contiennent plusieurs Bustes de marbre fort curieux, des Bas-reliefs, des Vases, des Cruches, et d’autres ustensiles, qui servoient autrefois aux Sacrifices des Payens.
[109]
[gravure]
[110]
Troisiéme Planche, qui represente la troisiéme face et le Cabinet, où sont renfermez les Instrumens pour la fabrique des Médailles.
La troisiéme face est celle, qui est vis à vis de la Bibliotheque. On y découvre un Cabinet placé dans une Alvoce [sic], sur lequel on apperçoit le Buste du Roi Guillaume, et celui de la Reine Marie, et au dessus un Ange qui les couronne tous deux d’une couronne de Laurier. Ces deux Bustes sont séparez par une très-belle Figure de marbre, faite avec beaucoup d’art. Elle represente deux hom-
[111]
mes, dont l’un soûtient l’autre, qui tient une femme élevée entre ses bras ; ce qui signifie l’enlevement des Sabines.
Sur les deux portes de ce Cabinet fermé, on voit les Sciences et les Arts, qui s’occupent à la fabrique des Médailles, et des autres Monumens, sur lesquels on grave les actions des Hommes illustres, pour en conserver la mémoire. Cela nous est representé en forme d’une Médaille autour de laquelle on lit ces paroles : singularis in singulis, in omnibus unicus, ce qui signifie en François, seul dans chaque chose, et unique en toutes. Sur le Piédestal on lit cette autre Inscription.
[112]
Repositorium Numismatum, ac Instrumentorum, ad ea signanda pertinentium.
Ce qui signifie en François.
Cabinet qui renferme des Médailles, et les Instrumens dont on se sert pour leur fabrique.
Et au bas de l’Alcove à chaque côté du Cabinet, on apperçoit deux figures, qui representent deux Sabines. Le dessus de l’Alcove est orné de sept belles figures antiques. Celle qui est au milieu represente Artemise, qu’on
[113]
nomme la Reine des femmes, parce qu’il n’y en a point eu, qui ait aimé son Mari avec autant de tendresse qu’elle chérissoit le sien. […]
[114]
…
Les deux figures qui sont aux deux côtez d’Artemise, representent deux Gladiateurs prêts à se battre. […]
[117]
…
La Figure qui suit le Gladiateur qui est à la gauche d’Artemise, represente le Dieu Terme.[…]
[120]
…
Après le Gladiateur placé à la droite d’Artémise, paroît une figure, qui represente la belle Omphale, Reine de Lybie, dont les charmes furent si puissans, qu’ils obligérent hercules à quitter sa Massuë, pour filer auprés d’elle. Cette Figure est suivie d’une autre, qui represente la Justice tenant une balance de la main gauche, et
[121]
une épée de la droite.
La derniére figure au côté gauche d’Artemise represente les trois Graces, qui se tiennent par la main. […]
[124]
[gravure]
[125]
Quatriéme Planche, qui represente le Cabinet ouvert.
Cette Planche a tous les ornemens de celle du Cabinet fermé, à la réserve de la face qui se change par son ouverture. On y voit un Balancier pour la fabrique des Médailles, au côté droit duquel paroît un Mouton, qui frape ces monumens. Sur la porte, du même côté, est peinte la fable de cet homme, qui faisoit tous les jours des priéres et des sacrifices à son Idole, dans l’espérance d’en recevoir du secours ; et qui se fachant enfin de d’en rien obtenir, la brise avec un levier, et
[126]
y trouve un Tresor, qui le récompense du culte qu’il avoit rendu inutilement à son Dieu de bois. Sur l’autre Porte à gauche, paroît l’Histoire, à qui l’on presente des Médailles, des Vases, des Urnes et autres Piéces antiques, dont on a fait la découverte.
[127]
[gravure]
[128]
Cinquiéme Planche, et quatriéme face.
La quatriéme face qui est à côté de celle, où est la porte de la Chambre, regarde les fenêtres vers le Cabinet, dont je viens de faire la description. Elle est ornée de douze rangs de Médailles, et de divers Portraits en mignature, au dessus desquels il y a deux planches, qui soûtiennent des Vases antiques, trouvez dans la maison de Bret, avec plusieurs Figures du Japon.
[129]
[gravure]
[130]
Sixiéme Planche, et cinquiéme face.
La cinquiéme face comprend la porte de la Chambre et ses deux côtez vis à vis de la Bibliotheque. Au dessus de la porte on voit sur deux planches des Urnes antiques, et plusieurs Amphores, qui sont aussi du nombre des Piéces trouvées dans la maison de Bret. On voit encore sur ces deux planches un Cabinet d’Ambre très-curieux, et un autre du Japon.
A la plus haute planche pendent plusieurs Animaux, et des Fruits très-rares, et à la se-
[131]
conde les douze Empereurs Romains. Le côté droit de la porte est orné de divers beaux Tableaux, et l’autre est embelli de plusieurs Armes Indiennes, propres aux expéditions de terre, avec d’autres Instrumens servans à la Marine. On voit aussi sur la porte plusieurs Armes à feu, à l’usage des Peuples d’Europe.
[132]
[gravure]
[133]
Septiéme Planche, et sixiéme face.
La sixiéme et derniére face est opposée aux fenêtres du côté de la Bibliotheque. C’est là qu’est placé au milieu d’une Alcove le grand Cabinet, dont je fais la description ailleurs.
[134]
[gravure]
[135] Huitiéme Planche, qui represente le Plat-fond de ladite Chambre. Le Plat-fond de la Chambre est orné de plusieurs Animaux, des plus rares et des plus singuliers. On y voit. 1. Une Armadille. 2. Un Lezard du Bresil de quarante pieds de longueur, et presque aussi gros du côté de la tête que de celui de la queuë. 3. Une Corne jumelle de Rinocerot, trés-rare et très-curieuse, du poids de trente livres. 4. La tête d’un Rosmarus, et un petit Cameleon très-curieux et très-entier. 5. Plusieurs Tor-
[136]
tuës entiéres avec l’écaille de quelques autres. 6. Trois Crocodiles, dont l’un a vingt pieds de long. 7. Une Remore, poisson fort curieux, à cause de la vertu et des qualitez qu’on lui attribuë. 8. Un Pristis, ou Serra, que les Hollandois nomment Spadon ; il a dix-huit pieds de long, et c’est, à ce qu’on dit, le seul poisson, qui résiste à la Baleine. 9. Plusieurs poissons volans fort curieux, et quantité de Mouches des Indes très-singuliéres. 10. Un Dauphin, et un autre Poisson armé comme un Porc-épic. 11. Plusieurs Oeufs d’Autruche, des Plantes de Corail en quantité, beaucoup de Gousses de
[137]
Chataignes, de Coco et Caco, et d’Oüate, avec quantité de fruits d’Araca, d’Eponges en arbrisseaux, et de Corails de mer. 12. Un Poisson qu’on nomme Stockfiche, qui a la forme d’un Dauphin. 13. Un Vaisseau fait d’une maniére fort curieuse, plusieurs Miroirs des Indes et de la Chine, une Lanterne Chinoise, et une Rame double, dont, suivant le rapport des Anciens Auteurs, les Indiens et les Chinois se servoient autrefois pour conduire de petits Bateaux, faits d’une certaine peau semblable à du Velin, avec lesquels ils alloient ramasser les débris des Vaisseaux maltraitez par la tempête.
[138]
14. Plusieurs Cannes de Sucre, un Poisson nommé Acularius Frigonis, et un autre appellé Acularius Tetragonici. 15. Plusieurs pieds et mains de Monies [sic] en leur entier, avec la main d’un Singe en Momie.
FIN.
*
SOURCE: Nicolas CHEVALIER : Remarques sur la piece antique de bronze, trouvée depuis quelques années aux environs de Rome, et proposée ensuite aux Curieux de l’Antiquité, pour tâcher d’en découvrir l’usage : Avec une Description de la Chambre des Raretez de l’Auteur. Par Nicolas Chevalier.
En relation :
- Cabinet de Chevalier, Nicolas (1721)
Catalogue de vente après décès de la collection de curiosités de Nicolas Chevalier (1721).
- Cabinet de Chevalier, Nicolas (1712)
Second cabinet de Nicolas Chevalier, situé à Utrecht (1712).
- Cabinet de Chevalier, Nicolas (1694)
C’est là le premier état de la publication du cabinet de Nicolas Chevalier ; cette description date de 1694.
- Cabinet de Chevalier, Nicolas (1685-1720)
La collection de raretés de Nicolas Chevalier consiste en trois cabinets de curiosités, constitués entre 1685 et 1720, dont nous donnons ici les quatre publications détaillées.
- « Statuette des trois Grâces » de Nicolas Chevalier
Cette statuette, que Chevalier mentionne pour chacun de ses cabinets successifs et que l’on retrouve proposée à la vente dans le catalogue de vente après décès édité par la veuve Desbordes, est en réalité une statuette qui représente la triple Hécaté.